De Villiers réinvente le fusil à tirer dans les coins
- André Touboul
- 19 mars 2019
- 5 min de lecture

Le nouvel anathème, qui a tendance à remplacer celui de populiste, est l’étiquette de complotiste.
Quelle que soit la critique que l’on formule, l’idée que l’on avance, ou la proposition que l’on fait qui n’a pas l’heur de plaire à votre vis à vis, on est définitivement discrédité par la mention de populiste.
Dans les années de fin du 20ème siècle, le vocable final qui tôt ou tard clôturait tout débat était le terme excommunicatoire de "nazi". Il a été tant et tant galvaudé par des étourdis, godelureaux et des péronnelles, celles et ceux qui n’avaient pas la moindre notion de cette horreur terrifiante que fut le National Socialisme, que le terme est devenu banal.
Peu à peu, le Diable à la croix gammée s’est dé-diabolisé. Il a revêtu d’autres habits. S’est acheté une conduite. Traiter son interlocuteur de nazi voire de fasciste, n’a plus cours que dans les réunions vintage de gauchistes nostalgiques d’un temps où il était facile de désigner l’ennemi. On s’y compte sur les doigts d’un seul pied quand on parvient à écarter les fumées de chanvre indien.
Le rejet est désormais signifié par le qualificatif de populiste, synonyme d’infréquentable. Il s’applique d’autorité à toute personne qui se permet d’exprimer une opinion que l’on rejette. Au départ, le populisme est un phénomène "antiélite", mais le terme est vite devenu équivalent à "précurseur du nazisme", car, chacun le sait, dégager les élites en place est une première étape vers la dictature.
Il n’y a rien de faux dans cela, mais le terme populiste se vide de sens quand il est appliqué à toute mention dans laquelle il s’agit de l’élite des gouvernants. Ces derniers temps, populiste s’est trouvé affadi, par l’arrivée au pouvoir de partis désignés comme antisystème, donc populistes.
Désormais, le mot à la mode est "complotiste". Vous êtes ainsi qualifié si vous pensez hors des clous. Dites que l’élite gouvernante préfère ses intérêts à ceux de la Nation, vous êtes complotiste. Laissez entendre que certains privilégient les informations qui les servent, et occultent celles qui les gênent, vous en êtes ! Avancez que certains cercles monopolisent la pensée qu’ils désignent comme correcte... complot !
Complot ! Le seul énoncé de ce mot fait de vous un adepte de la théorie maudite, c’est à dire un mal pensant. Pis, un irrécupérable dont il est superflu de discuter les arguments.
Afin de mieux asseoir la pertinence de ce nouvel anathème, les statisticiens ont déclaré que plus d’un quart des Français croyaient en l’existence de complots et près de 40 % accordaient crédit à au moins une théorie. On a du mal à penser que tant de nos compatriotes soient à ce point décérébrés, mais si l’on évoque les arrière-pensées des sondeurs, on verse de facto dans le complotisme.
Le dernier à faire les frais de cette distinction qu'avec fierté il arbore comme une décoration, est Philippe de Villiers qui signe un ouvrage de mémoires intitulé : J’ai tiré le fil du mensonge et tout est venu. Certains vont, en outre, jusqu'à le le qualifier de plagiaire. Il ne mérite ni cet excès d’honneur, ni cette indignité, et en tout cas, il ne peut être question de s’en tenir à une accusation de complotisme, qui pour beaucoup ne fait qu’accréditer l’idée qu’il aurait tapé juste... là où cela fait mal.
Dans ce livre de "révélations" l’homme du Puy du Fou nous apprend que la fondation de l’Europe a été souhaitée et favorisée par les Etats-Unis, et que les Pères Fondateurs de notre Union étaient des pro-Américains, et non des patriotes européens.
Aujourd’hui, évidemment, quand on constate que le Président Trump considère l’Europe comme un concurrent, donc une ennemie à qui il souhaite le pire, et qu’il est clair que la discorde européenne est vue d’un œil plus que favorable Outre-Atlantique où l’on se retient à peine de souffler sur les braises, la nouvelle peu paraître surprenante.
Mais le fait invoqué par de Villiers pour discréditer l’Europe n’est pas une révélation. Il n’est pas secret que les Américains ont aidé à la reconstruction des pays européens après la seconde guerre mondiale, notamment par le plan Marshal. Leur intérêt, rejoignant celui des Européens, était aussi de voir se constituer une communauté d’intérêts de pays libres face au bloc soviétique.
Que dans le monde binaire de cette époque, les partisans d’une union européenne aient été les mêmes que ceux qui avaient des amitiés atlantiques relève de l'évidence. La vraie surprise fut de voir De Gaulle s’y rallier. N'était-ce pas lui qui raillait les pro-européens en les comparant à des cabris. Mais au bout du compte, en visionnaire, le Général a fini par voir l’instrument d’indépendance que serait une communauté organisée dans laquelle la France pourrait compter. Parler d’un patriotisme européen, à une époque où deux guerres avaient causé des saignées sans précédent, n’a aucun sens. S’il parvient à exister un jour, le patriotisme UE sera la conséquence d’une épreuve commune, contre le monde extérieur, tant il est vrai que la Patrie ne s’affirme pleinement que dans le danger et contre ses ennemis.
L’Europe n’a jamais été prise au sérieux par les Américains. Kissinger demandait qu’on lui en fournisse le numéro de téléphone et Rumsfeld la considérait comme une simple réserve immobilière pour les entreprises US. Elle est peut-être une "création" de la CIA, comme le prétend de Villiers, mais alors, comme bien d’autres créatures, elle a dépassé les vues de son créateur.
Il aurait été plus intéressant de documenter la manière dont les USA ont promu l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’Union Européenne en 1973, conçue comme une garantie qu’il n’y aurait aucune cohésion politique et que l’on s’en tiendrait à un marché commun ayant vocation à s’élargir et non à se fortifier politiquement.
La sortie du Royaume Uni en 2019, rend de nouveau possible une intégration politique du vieux Continent. Tout d’abord, il s’agira de substituer la convergence à l’élargissement prôné par les Britanniques. Et cela fera le même effet au nain politique qu’est l’Europe que de prendre des hormones de croissance.
De Villiers avance aussi que les institutions européennes ont été imaginées par un juriste nazi. Quelle que soit la fiabilité de cette affirmation, il suffit de rappeler que la conquête spatiale aussi a bénéficié du savoir faire allemand, et que cela ne la disqualifie pas pour autant.
Ce qui surprend le plus dans la démarche du fervent identitaire qu'est de Villiers, c'est l'impasse qu'il fait sur l'une des vertus les plus évidente de l'Europe : celle de réunir des peuples dont la culture est compatible. en attaquant l'Europe, le vendéen se tire une balle dans le pied, ce qui n'est pas inhabituel quand on utilise un fusil à tirer dans les coins.
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