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Toute une vie virtuelle

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 17 juin 2019
  • 3 min de lecture

Le jour de ma naissance, dont j’ai un peu honte car elle fut le résultat d’une copulation bestiale entre deux êtres de sexe différent, le médecin qui officiait avait l’air d’un brave type et je n’ai pas compris pourquoi il m’a flanqué en rigolant une énorme gifle sur les fesses. J'ai protesté en hurlant. Et je crains que cet acte inconsidéré n'ait été la source de bien des brimades que j'eus a subir par la suite. Ce fut le premier être humain que je rencontrais, et, de fait, le dernier. Je veux dire, en vrai, en chair et en os.


Ne me demandez pas ce que mes géniteurs sont devenus, car si vous le faites, je serais très en peine de répondre. Ma famille sitôt composée se trouva décomposée en raison d’une double recomposition.


Pris en charge par l’Etat, je passais les premiers mois de ma vie dans une couveuse, en ma qualité de prématuré. Mon enfance se déroula ensuite à l’écart de tous, pour une raison obscure, tenant je crois à la fragilité de ma constitution.


A l’âge scolaire, je reçus mon éducation par internet, des Mooc de haut niveau. Mes professeurs furent les meilleurs. Ma bibliothèque sans limite. Et là, j’appris que selon le philosophe, le bonheur est de savoir rester dans sa chambre. Mais oui, souvenez-vous, Blaise Pascal : "Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre". Je fus donc heureux, puisque je ne quittais jamais mon logis.


Mes brillantes études me permirent d’être embauché sur dossier numérique pour un télétravail par un géant de la toile ; entreprise dans laquelle j’étais désigné par mon identifiant, se sorte que le fait de ne pas avoir de nom ne m’a jamais chagriné. Sans quitter mon refuge, j’ai consacré mes jours et mes nuit à mon employeur. Pour entretenir mon tonus, et instruit par des tutoriels, je faisais du jogging sur tapis roulant, où je voyais défiler des paysages sur un écran. J’ai pratique aussi bien des sports virtuels.


Ne croyez pas que ma vie sociale ait été inexistante. J’ai participé à des tournois sur internet, et me suis fait plus de trois cents amis sur Facebook. Grâce à certains sites que je ne nommerai pas, j’ai aussi fait des rencontres plus intimes. Nous correspondions avec fièvre. Parfois même nous faisons l’acte, par sex-toys interposés.


Un jour, lassé de ces jeux stériles, j’ai songé à fonder une famille. Une sélection sérieuse sur dossier multicritères m’a conduit à expédier mon code génétique à un organisme très fiable. On m’a assuré que ma descendance était en bonne santé, et exempte de toute malformation. Ils sont deux et adultes, et nous correspondons maintenant par mail. Et je ne désespère pas de les convaincre de m’adresser une photographie, mais c’est difficile car ils ont adhéré dès leur naissance au programme de protection des données personnelles. De temps à autre, je me demande s’ils existent, en vrai.


Ne vous imaginez pas que je sois crédule. Je suis au courant de tous les complots, même les faux.



Grâce aux séries télé, je ne m’ennuie pas. Je retrouve des personnages familiers chaque jour. Ils sont très humains, et pour certains criants de vérité. Quand je prendrai ma retraite, je voyagerai... sur la toile, évidement. J’irai dans des contrées inédites où il est déconseillé de s’aventurer car les virus informatiques y pullulent.


Et puis un soir, la fatigue me prendra, et j’adresserai un mot de passe aux services de l’incinération. Alors, au moment de l’injection létale qui me projettera dans le néant, je crois que l’officiant qui j'imagine aura la même tête sympathique que le médecin accoucheur, m'expliquera pourquoi j'ai vécu.


La mort ? Cela n’existe pas. Je serai pour l’éternité en suspension dans la matrice du web qui quoi que l’on dise n’oublie jamais rien. Par la grâce du web, je suis éternel.


 
 
 

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