Les mystères de la popularité présidentielle
- André Touboul

- 11 août 2019
- 4 min de lecture

Derrière les frais remparts du fort de Brégançon où il s’est retiré quelques jours pour la traditionnelle trêve du mois d’août, Emmanuel Macron ne peut manquer, en agitant les doigts de pieds dans une piscine désormais connue de tous dans ses dimensions et coût, de méditer sur les mystères de l’impopularité présidentielle.
Les Français sont ainsi faits qu’ils réservent leur sympathie à leurs Présidents retirés du pouvoir. Comme si, hors d’état de nuire, ils apparaissaient dans leur véritables qualités humaines et politiques. Ils sont comme des peintres maudits dont le talent n’est reconnu que post mortem.
Aujourd’hui, sur l’échiquier politique tout un chacun se réclame de Charles de Gaulle, pourtant honni par ceux qui s’y référent désormais. Pompidou n’ayant pas eu le temps de se faire haïr, il n’a pas connu l’enfer, et par contrecoup le panthéon. Nul doute que l’on reconnaîtra les vertus modernisatrices de Giscard… à son décès. Les nécrologies sont déjà écrites. Mitterrand, insaisissable, seul échappe à cette règle, sans doute pour avoir été trop encensé, il apparaît désormais dans ses ambiguïtés dissimulées de son vivant.
L’opinion n’a pas attendu que Chirac ait passé outre-vie, la nouvelle de son incapacité médicale à suffit pour faire l’unanimité autour de lui, et l’on peine à trouver des critiques à son endroit, alors qu’il a certainement été le plus exécrable Président de la 5ème République. De droite, il a signé les lois sur les 35 heures. Il est, en effet, resté inerte quand d’autres auraient provoqué une crise institutionnelle face à cette absurdité idéologique qui a fait perdre vingt ans à la France dans la compétition économique internationale. Pour rester au pouvoir quelques années de plus, il nous a fait le cadeau empoisonné du quinquennat qui a changé le régime politique de la France, et pas pour le mieux.
L’indulgence pour les absents n’a d’égale que la méfiance pour ceux qui sont encore là. Il suffit à Hollande et Sarkozy de faire mine de vouloir opérer un come-back pour déclencher un violent retour de bashing. Les plumes en forme de poignards sont en permanence à tremper dans les encriers.
Pourtant, la disparition d’un politique n’est pas celle de ses idées. Bien au contraire, il semble que son influence, débarrassée de toute arrière-pensée s’exerce enfin à plein. Pendant la crise des Gilets jaunes, le Président Macron avait du mal à se faire entendre, sa voix était couverte par les cris de haine à son endroit, et il a dû mouiller la chemise pour montrer qu’il pouvait parler aux gens. Au même moment, Pompidou parlait d’or... mille fois on a cité sa maxime : « il faut arrêter d’emmerder les Français ».
L’un des talents principaux des politiciens est de faire parler les morts. En s’abritant derrière leur image, ils avancent leurs pions et détournent sur le disparu les critiques. C’est d’ailleurs le sens de l’expression « parler sous l’égide » de quelqu’un... car l’égide est un bouclier recouvert d’une peau de chèvre.
Hollande qui voulait se faire aimer (« j'étais à deux doigts d’être aimé » confiait-il) et mendiait pour un improbable retour de la confiance n’avait rien compris à la fonction présidentielle. Le Français n’accorde pas son amour à qui le gouverne et ne donne sa confiance qu’à demi, à regret et faute de pouvoir faire autrement. Contrairement à ce que l’on dit parfois, le citoyen n’est pas irrationnel, il ne libère ses émotions positives qu’à contrecœur. Il y a toujours du calcul dans son adhésion. On appelle cela des attentes. Elles ne sont pas ou peu reliées aux promesses du candidat, mais à son image. L’élection est un pari sur ce que le tempérament de l’élu le conduira à décider. En effet, les programmes se heurtent à la réalité, mais aussi et surtout aux événements imprévisibles. Mis à part ses « frondeurs » qui l’accusaient de trahir et ont sombré avec lui, on n’a pas tant reproché à Hollande d’avoir tourné casaque, que pour se faire élire d’avoir sciemment menti sur la situation réelle du pays, et proclamé qu’aucun effort n’était nécessaire. Dans le code civil, on distingue le dolus bonus du dolus malus. Le premier non critiquable consiste à vanter la marchandise sans insister sur ses défauts, le second est une tromperie délibérée sur sa consistance qui rend nul l’accord de volonté. Dans le dol, consubstantiel au discours politique on admet le bonus, mais l’on ne pardonne jamais le malus.
Comme ses prédécesseurs Emmanuel Macron prétend ne pas s’intéresser aux sondages qui ne lui sont pas favorables. Si cela était vrai, cela reviendrait à conduire le char de l’Etat sans regarder la route. Même si l’on sait où l’on va, il y a des obstacles à repérer, ne serait-ce que pour les éviter. Mais, malheur à celui qui réglerait sa conduite sur des sondages, il serait comme la girouette, aussi imprévisible que le vent, et aussi inutile qu’un morceau de ferraille.
Reste à interpréter l’impopularité de Macron, inévitable pour un Président. Elle ne serait préoccupante que si elle traduisait une défiance quant à la capacité décisionnelle du chef de l’Etat. Si en revanche, elle réside dans la conscience de ce que des sacrifices sont à faire, et que l’on se défend d’aimer ceux qui les annoncent, c’est un mécanisme sain dont notre gouvernant peut se servir pour surprendre agréablement, et parvenir à mettre en œuvre ses réformes.
S’il veut tirer les leçons des particularités de la popularité d’un Président de la République que l’on décrit comme un monarque électif et temporaire, il s’appliquera à être lui-même. Ne pas décider pour faire plaisir, ni par faiblesse. Ne pas décevoir en étant prévisible, et laisser s’exprimer la principale qualité qui l’a fait accéder au pouvoir et sur laquelle il est attendu : son intelligence. Le principal obstacle sera pour lui de convaincre son Administration qui, on le sait, a des prétentions à cet égard.
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