Pour la langue française : le glas, le tocsin mais des signes de vie
- André Touboul

- 25 août 2019
- 3 min de lecture

Comme à leur accoutumée nos 5000, élite de notre élite, crème de notre gratin avaient trouvé la solution pour se barricader à l’intérieur de nos frontières linguistiques et éviter que le français ne disparaisse. Il y a un quart de siècle, la loi Toubon, faisant suite à d'autres textes, rendait la forteresse du français inexpugnable. Elle rendait l’emploi du français obligatoire dans la publicité et exigeait l’usage de traduction pour les mots anglais désignant des objets ou des pratiques venus d’ailleurs. Ainsi « e-mail » devait être banni au profit de « courriel ». Cet exemple est choisi parmi les cas où le passage de l’anglais au français est le moins ridicule. Malgré ce volontarisme législatif, le « courriel » est aujourd’hui très minoritaire derrière le « mail » ou « l’e-mail », qui sont utilisés par l'Administration dès qu'il ne s'agit plus de formulaires.
Les effets de cette loi furent plus que modestes, voire inexistants. Le Conseil Constitutionnel, il est vrai, limita la portée du texte, jugeant contraire à la liberté d’expression l’interdiction des termes étrangers dans les radios et télévisions qu'elles fussent privées ou publiques.
Certains, en s'offusquant de l'invasion des anglicismes sonnent le glas du français désormais une langue morte.
La disparition du français serait autre chose que celle d'une langue. On ne compte pas les bons esprits qui ont averti que leur identité française ne leur était jamais apparue plus forte qu'à travers la langue de Molière.
Tout l'esprit de notre nation est contenu dans son doux parler.
Ses qualités... si l'espagnol est noble, l'italien musical et l'allemand précis, le français est la langue de la clarté, de la nuance et donc du raisonnement carré et de l'exigence intellectuelle. On ne parle pas ici de la langue de bois de ceux qui à dessein parlent pour ne rien dire, mais là encore leur discours est d'une belle clarté, si l'on veut bien l'entendre.
Ses défauts... ils sont l'envers de ses vertus. Pour être nuancé, on est vague, les mots à plusieurs sens et d'autres aux contours imprécis permettent d'être évasif, et de rester courtois dans l'ambiguïté ; en lui substituant l'anglais, la diplomatie a beaucoup perdu en élégance et en capacité d'arrondir les angles, car l'anglais est anguleux. Le français est volontiers raisonneur, préférant le balancement d'une démonstration à la pertinence d'une idée. Et bien entendu, l'arrogance que l'on nous reproche, nous l'assumons volontiers convaincus que nous sommes de parler la plus belle langue du monde et surtout la seule qui permet d'exprimer les vérités.
Rien de surprenant à ce que l'enjeu de la déroute annoncée de notre langue face aux assauts des anglicismes apparaisse comme une atteinte à notre être profond : si le français meurt, la France ne survivra pas.
De fait, la loi Toubon se fourvoyait. Le vocabulaire n’est pas le cœur d’une langue. Le français a depuis ses origines emprunté des mots à d’autres langues : au grec qui sert à construire encore de nos jours de nouveaux mots, au latin, à l’arabe, à l’espagnol, à l’italien, à l’allemand et bien entendu à l’anglais, tous idiomes qui vivants de leur côté nous l’ont bien rendu.
Le génie d’une langue s’exprime notamment par sa capacité à absorber les néologismes. L’intrusion de l’anglais dans la vie quotidienne n’a rien d’inquiétant dans la mesure où il désigne des phénomènes importés. Elle est moins légitime quand ce sont des mots étrangers qui évincent nos vocables sans autre raison que le snobisme. Il serait plus pertinent de s’émouvoir de l’obligation d’utiliser l’anglais pour publier dans le domaine scientifique. Mais est-ce encore de l’anglais ? Ce sabir serait mieux désigné par le terme « globish ».
Mais on pourrait plus opportunément sonner le tocsin de l'alerte et s’émouvoir de la poussée des langues régionales, telles que le corse, le breton, ou le provençal... en effet, l’exemple du catalan qui a fermenté et menace de faire exploser l’Etat espagnol a de quoi faire réfléchir. Ces « parlers » localisés sont censés constituer une retrouvaille avec de profondes racines. Mais, mis à part la langue corse, ce sont des constructions récentes. C’est Frédéric Mistral qui a donné ses lettres de noblesse à l’occitan, au demeurant les seules. Quant au breton actuel, il résulte d’un agrégat arbitraire de différents idiomes locaux. On n'en nie pas l’attrait folklorique, mais il n’y a aucune comparaison entre le français qui est le fondement de la nation française et bénéficie d’une littérature immense et des langues régionales auxquelles on ne fait pas injure en constatant qu’elles ne brillent pas par leurs auteurs de génie.
En vérité, il n'y a pas de raison de s'alarmer. La langue française a ces derniers temps donné de vigoureux signes de vie en résistant aux assauts imbéciles des tenants de l’écriture inclusive, au prix de concessions modérées à la féminisation, il est vrai pas toujours de la meilleure venue, qui l'avait prise en otage.
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