Chirac : Humain trop humain, le Président des dupes
- André Touboul

- 6 oct. 2019
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Il est de tradition de ne dire que du bien de ceux qui viennent de décéder. Par respect pour la peine de leurs proches, sans doute. Ou par crainte révérencielle de la mort, peut-être.
Celle de Jacques Chirac a suscité une émotion générale.
Si chacun n’y allait de sa nuance dans l’hommage on aurait pu déceler dans ces concerts de louanges une certaine hypocrisie et une bonne dose de jobardise.
Le délai du deuil national est passé, alors faisons le bilan.
Des anecdotes de la classe politique et journalistique de tous bords ont plu comme à la Saint-Médard. Il y en eut pour tous les goûts. Au cours des années, chaque Français avait pu voir en lui un sujet de satisfaction, tant il fut divers, pour ne pas dire contradictoire ou opportuniste.
Les médias affirment qu’il est très populaire. Les Français, il faut le croire, aiment les Présidents pour leurs défauts, ainsi ils les trouvent humains nous dit-on. La vérité est que si, avec le recul, le public retrouve ses esprits et sa proverbiale sagesse populaire, l’opinion est instantanée, elle a, dans l’émotion, la mémoire d’un poison rouge, et le QI d’une moule, c’est tout bien ou tout mal, ouvert ou fermé.
Avec un peu de véracité néanmoins, les clichés ressassés ces derniers jours sur le cinquième Président de la Cinquième République font de lui un Français de son temps, un temps au demeurant révolu, et, en cela, à la fois proche des gens et un peu suranné. On peut y voir la nostalgie d’une époque heureuse. Mais au fond ce temps pour être derrière nous ne fut pas plus idyllique qu’un autre.
Pour se montrer près du peuple, obsession parfois pathétique des gouvernants, Chirac a mieux convaincu avec son coup de fourchette et ses pantalons sous le menton que Giscard avec son accordéon. Il faut cependant retenir que si Chirac aimait à paraître franchouillard et pensait-il par-là humain, il ne nourrissait pas une ambition excessive pour le pays. D’évidence, il jugeait que la certaine idée de la France du Général de Gaulle était décidément au-dessus des moyens des Français.
Ambitieux pour lui-même, il l’était en revanche, férocement. Trop humain, il fut peu scrupuleux sur les moyens. Homme de droite, il n’a cessé de tirer des buts contre son camp. En 1974, il fait élire Giscard contre Chaban. En 1981, Mitterrand contre Giscard. En 2012, il soutient Hollande contre Sarkozy. On sait que, dans la compétition politique, les naïfs ne font pas carrière, mais chez lui, la trahison de l’électeur était une seconde nature. Sans son soutien, l’ère socialiste n’aurait pas eu lieu. En tout cas pas au même moment. En 1981, la gauche totalisa au premier tour 41%, et la droite 46%, Giscard était en tête. Les voix du RPR non seulement lui firent défaut, mais le parti de Chirac donna des consignes de vote pour le candidat du Programme Commun. Edith Cresson raconte même ces jours-ci à qui veut l’entendre que le pacte entre Chirac et Mitterrand s’est conclu chez elle, lors d’un dîner à l’époque secret.
Nous devons à Chirac deux réformes fatales. Celle des 35 heures et celle du quinquennat. La première, il aurait pu s’y opposer, mais il y a souscrit par faiblesse, ou par calcul, se doutant que Jospin s’y brûlerait les ailes. Le partage du travail qui sous-tendait la mesure étant à coup sûr une perte de revenu pour les salariés endettés. La Gauche y perdit sa clientèle traditionnelle. Mais le préjudice pour l’économie française fut énorme. Pour le changement constitutionnel, qui a mis un terme au régime d’équilibre entre le Président et le Parlement, il en a été l’instigateur, persuadé qu’il lui serait plus facile de se faire réélire pour cinq ans que pour sept.
On reproche à Chirac la dissolution de 1997. C'était une erreur. il espérait gagner et se débarrasser des centristes, ce fut Jospin. Tout le monde peut se tromper. Mais, le fait est là, une fois encore, il favorisa la Gauche pour démolir ses adversaires de son bord.
A l’international, Chirac, un grand démocrate ? Souvenons-nous. Son amitié avec le bourreau de Bagdad, Hafez El Assad, le père de Bachar, a fait beaucoup jaser. Et sa complicité avec Saddam Hussein n’a pas été pour rien dans son opposition à la guerre contre l’Irak dont on fait un de ses titres de gloire.
On pardonne tout aux morts, et l’on a bien tort. En particulier, dans la domaine politique, il est impératif de séparer le bon grain de l’ivraie. Un homme d’Etat est toujours porteur d’une orientation, d’une façon de gouverner. Décédé, il devient un instrument, une référence, un argument.
L’inévitable Giesbert conseille, pour ne pas dire enjoint à Macron de se chiraquiser pour faire plus gaulois.
Chirac un exemple à suivre ? On nous rebat les oreilles avec la soi-disant évolution des mœurs politiques vers une moralisation à la scandinave. Mais nul ne s’offusque qu’un condamné pour détournement de fonds publics ait droit aux honneurs d’obsèques nationales. En vérité, les affaires de justice n’ont d’intérêt qu’au regard du combat politique. L’objet de la morale que l’on agite n’est pas l’éthique, c’est l’élimination. Et l’on n’a pas à s’en soucier pour un adversaire mort.
FOG s’est institué précepteur du prince, qu’il veut exorciser. Car, c’est entendu, le Président actuel doit « apprendre ». Tout juste s’il n’exige pas comme Laurent Géra qu’il fasse semblant de manger de la tête de veau et de boire de la Corona. Attention, ce qui vaut pour les bouffons n’est pas permis aux conseillers du prince, même autoproclamés. Certes l’éditorialiste a commis un livre sur Jacques Chirac, ce fait lui donne autorité pour parler du Président du cul des vaches. Mais présenter Chirac comme l’archétype de la France profonde, un Président modèle, un mentor à suivre, c’est pousser trop loin le bouchon dans le goulot de la bouteille.
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