Les fakenews et nous
- André Touboul

- 9 nov. 2019
- 3 min de lecture

Selon Aurélie Jean, informaticienne, que l’on crédite d’une expertise en la matière, les fakenews se caractérisent essentiellement par leur vitesse de propagation. Elle propose d’indexer les informations de manière plus fine que les « like » qui, il est vrai, n’ont pas grand sens, ils sont un peu comme les gens qui remuent la tête pour signifier qu’ils ont entendu, mais pas forcément qu’ils sont d’accord.
Le propre d'une fakenews est d’être virale, c’est à dire qu'elle se répand vite, mais surtout largement. En effet, une information non répercutée n’a aucune portée. Le « forward » et le « retweet » sont consubstantiels au fake. Le paradoxe est que le nombre d'internautes qui partagent une information est pour les commentateurs un critère de force et aussi de véracité.
Wikipedia n’est pas un nid à fake, car si l’on y puise et y vérifie des informations, il ne vient à l’idée de personne de retweeter une encyclopédie. Le tweeteur est un lanceur d’alerte dans l’âme, non un enfonceur de portes ouvertes.
Le fake est pour le transféreur un scoop, une « vérité » qui n’est pas à la portée de tous, qui contredit les médias classiques, ou bien qui est volontairement ignorée par eux.
Ce n’est pas la vraisemblance qui provoque le réflexe conditionné du « forward », mais précisément le côté inouï. La vitesse de rotation d’une fausse nouvelle est directement liée à sa puissance de libération émotionnelle. Il n’est pas nécessaire que celle-ci coïncide avec les opinions du colporteur, elle doit cependant s’adresser à une inquiétude préalable, et proposer une réponse non conventionnelle. Dès lors, les fake ont une réelle capacité d'influence. Tel est, au demeurant, le principe actif d'une nouvelle profession, celle d'influenceur.
Pour détecter une fake, il existe une méthode infaillible : il suffit de rejeter toute information qui n’indique pas son auteur et/ou sa source. Sans l'anonymat, les fausses nouvelles seraient d'une propagation bien plus difficile.
Après avoir remis à l’honneur la guerre psychologique par le dévoiement des réseaux sociaux institués et la manipulation des communications privées, Vladimir Poutine, insatisfait des vérités que chacun va chercher et trouve sur Wikipedia, réinvente la Pravda. Ce faisant, il se heurte au problème fondamental du contrôle de la vérité, pour lequel il ne suffit pas de faire caviarder les informations par une équipe de fonctionnaires. Roskomadzor et ses 3000 employés s’escriment à bloquer ça ou là des pages qui déplaisent au pouvoir. En vain, car il n’est pas possible de colmater toutes les brèches. Poutine a beau vouloir imiter la Chine qui contrôle son information, il ne peut y parvenir en raison du fait que de trop nombreux Russes pratiquent les langues occidentales. L’intox et l’infox sont de ce fait fragilisées. Le remède est pire que le mal. La censure de Mme Anastasie avec ses grands ciseaux n’a pas d’avenir.
La bonne façon de lutter contre les faits-faux est de les dénoncer, et en aucun cas de les censurer.
Les théories du complot se démontent : « à ce que nul n’en ignore », on ne vaccine le public contre leur venin qu’en dévoilant les mobiles de ceux qui les répandent, et leurs torsions des faits. La plupart des manipulations complotistes prétendent se fonder sur une logique prétendument exigeante, elles deviennent risibles en s’affranchissant de toute rationalité interne. Il y a toujours des arrière-pensées dans toute théorie du complot.
Seul le libre débat peut aboutir à un consensus raisonnable.
Il ne faut cependant pas sous-estimer la pertinence de la question soulevée par Poutine. La vérité ne se vote pas à la majorité des voix. Elle ne peut compter que sur l’esprit critique qui consiste à faire la part de l’objectif et du subjectif dans le choix des faits et leur interprétation.
Aucun ancien dirigeant du KGB n’ignore la puissance de la réécriture de l’histoire au service d’une idéologie. Le hic, c’est que si Vladimir Poutine a toujours le combat où il excelle, mais il ne dispose plus d’idéologie. Celle du Communisme est morte. « L’idéologie est morte, vive l’idéologie ! », cette vérité du système monarchique n’a pas cours dans les autres régimes. Il est plus facile de remplacer le corps du roi par un membre de sa famille que de formuler et d’imposer un corpus entier de philosophie nouvelle.
Poutine a beau vouloir imiter la Chine qui contrôle son information, il ne peut y parvenir en raison du fait que de nombreux Russes pratiquent les langues occidentales. L’intox et l’infox sont de ce fait fragilisées. Ce n’est qu’un juste retour des choses, car c’est bien grâce à ces proximité et perméabilité que l’influence russe donne ici sa pleine mesure, alors que les Chinois n’ont que peu d’efficacité. Les joueurs d’échecs ont cet avantage sur ceux de go.
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