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L’impossible réconciliation de l’élite et du peuple

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 23 nov. 2019
  • 5 min de lecture

L’élite de pouvoir est incorrigible, elle se croit infaillible, par le simple fait qu’elle est aux commandes. Elle méconnaît la sagesse d’Ulysse qui désireux d’entendre le chant des Sirènes, mais doutant de son propre jugement, se fait attacher au mât du navire, alors que l’équipage a les oreilles bouchées de cire. Le héros grec savait que certains savoirs sont parfois trompeurs, et que le capitaine peut, abusé par ses sens, conduire le navire à sa perte.


L’élite se plaint du désamour qui la frappe, du discours « anti-élite », de cette hostilité qui prend parfois la forme de désir de table rase, et la remplit de terreur quand on parle de dégagisme. Mais, à part gémir au populisme ambiant, elle ne fait rien pour y remédier, car elle ne comprend pas ce qu’on lui reproche.


De son côté, le peuple, qu’il se nomme majorité silencieuse ou pays profond, enrage de ne pas être écouté. De temps à autre, l’élite consent à ce qu’elle appelle : lâcher du lest. Distribuant des aumônes baptisées « pouvoir d’achat », elle attend de ses « gestes généreux » une reconnaissance qui ne vient pas. Et pour cause, le pays n’attend pas de son élite des « points d’indice » des bons de fidélité aux supermarchés, il demande, il exige un projet d’avenir. Un article qui n’est en vente ni chez Carrefour, ni sur le site d’Amazon.


La pire des réponses de l’élite à cette attente est de proposer plus de « démocratie directe », aveu déchirant qu’elle est incapable de remplir son rôle d’éclaireur et de guide.


On a beau rabâcher le discours misérabiliste de ceux qui (bien que leur portefeuille soit bien garni) invoquent sur les ondes les fins de mois difficiles « des gens »), il est difficile de contester que pour une grande majorité de Français, il fait bon vivre en France. L’insatisfaction vient plutôt pour cette part importante de la population de la crainte de perdre ce mode de vie. Confusément, elle sent que la précarité est le revers de la médaille de la modernité et du lot de changements de tous ordres qui l’accompagne, aussi accélérés que les variations climatiques.


Dans un monde qui va trop vite pour elle, notre élite, promet une prospérité à l'ancienne à laquelle personne ne croit, mais elle ne peut rien faire d’autre. Il faudrait pour avoir accès à de nouvelles perspectives qu’elle se remette en question, et révoque en doute ses certitudes. Hélas, ses vérités sont « la vérité » par le seul fait que chaque membre de l’élite les partage. Nul parmi eux ne relativise ses convictions à l’aune de la formation subie. On se contente de la considérer la meilleure. L’école de l’élite est toujours une haute école, donc infaillible.


Dans une période où sont bouleversées les connaissances et bousculées les idéologies, sans être remplacées de manière évidente par de nouvelles idées force, ces fondements d’une excellente éducation de l’élite se retournent contre elle.


Elle n’est ni accoutumée, ni entraînée à cette démarche ouverte, mais si elle veut survivre, elle devrait d’urgence se demander d’où elle tient ses vérités.


Si c’est, comme dans bien des cas, par l’idéologie dominante d’un siècle passé qu’elle règle ses pas, elle se condamne à être ringarde, et, ce qui est plus grave, à mettre en œuvre des solutions à rebours de l’évolution du monde tel qu’il va. L’application de concepts relatifs à la révolution industrielle à l’heure de celle de l’informatique, cela n’est rien d’autre qu’être en retard d’une guerre.


Mais quand l’élite regarde de l’autre côté de l’Atlantique en croyant que le Nouveau Monde serait l’annonce de notre Monde nouveau, elle se fourvoie aussi, car si les modes viennent d’Amérique, elles ne sont pas à prendre toutes pour argent comptant.


Sur un point majeur, vérité là-bas est erreur ici. Le pacte social qui définit le projet de société n’est pas transposable. Héritage de l’histoire, chaque nation a ses racines et ses particularités qui déterminent sa capacité à tenir ensemble sur un même sol des individus aux aspirations diverses. Le melting-pot américain, qui au demeurant fait des grumeaux communautaires, n’a pas de sens en Europe, et en particulier en France. On doit porter au crédit d’une partie, encore minoritaire, de l’élite française d’avoir compris que le multiculturel était bon pour le folklore, mais mortel pour la République. Il reste à ceux qui n’ont toujours pas réalisé cette évidence à se casser les dents sur ce qu’ils appelleront du populisme. Toutes les objurgations morales ne pourront convaincre le peuple d’avoir tort de vouloir persister à être ce qu’il est. On ne peut, au demeurant, parler de peuple, au sens de nation, que quand celui-ci se retrouve un tant soit peu dans chaque individu. Il y a eu, il existe encore, des nations hors sol, mais malheur aux terres qui n’ont pas de nation pour les défendre.


Au plan économique, le fossé Atlantique est tout aussi profond. D’un côté, un État minimal, de l’autre il est omniprésent. Sur ce plan, nos économistes qui ont appris qu’il n’est de science qu’en anglais croient être là-bas c’est être en avance. Mais si l’école de Paris a du succès aux États-Unis, c’est au regard de la situation américaine, diamétralement opposée à celle de la France. Décalquer leurs études savantes sur la situation française relève de la fantasmagorie. Ce dont l’économie française a besoin ce n’est pas d’un Obama Care, nous avons depuis longtemps la Sécu, ce n’est pas de plus d’Etat, ni de plus de fonctionnaires, ni plus d’impôts qu’il nous faut, mais d’un peu plus de liberté.


Il y a plus que de la discordance de cycles entre la France et les États-Unis, il y a une totale opposition de système. Tant que notre élite de gouvernement n’aura pas admis que la France est en train de mourir par un excès d’Etat, elle choisira toujours les mauvaises solutions.


On le sait, chaque peuple a l’élite qu’il mérite. Quand il accepte de se soumettre à des médiocres, il a sa responsabilité dans l’installation de la médiocratie.


Pour réagir, il serait faux de dire que le peuple n’a que la rébellion, et la rue pour changer la donne. Le peuple dispose du bulletin de vote. Quand il le méprise, il est vite puni. Il ne sert à rien de vilipender les élus, c’est même suicidaire. Pour répondre à une élite qui accepterait de se réformer en diversifiant les formations et les centres de décision, le peuple doit investir ses élus d’un respect à la mesure des pouvoirs qu’il leur consent. En d’autres termes, il faut réintégrer les élus dans l’élite, car c’est la seule qui soit vraiment démocratique. Tant que l’on abusera les citoyens par le mirage des gouvernements technocratiques, rien ne sera possible.






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