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Si les caméléons portaient des gilets, ils seraient jaunes.

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 23 nov. 2019
  • 4 min de lecture


De par son évolution temporelle, le mouvement « gilet jaune » a montré qu’une agitation sociale spontanée de grande ampleur pouvait déboucher sur une médecine inverse de traitement de ses causes initiales. Comme si une fièvre paludique avait été traitée par une amputation du gros orteil. Le mal, caché par un autre mal.


On ne parle pas ici des ratiocinations des experts en sociologie, captateurs d’héritages qui, tels des vautours, se précipitent sur le moindre frémissement du corps social pour y déceler des preuves de vie de leurs théories construites sur des bases idéologiques dépassées.


Il ne s’agit pas non plus des exploiteurs d'événements qui, pour vivre de leur commerce médiatique, espèrent nous faire assister au « grand soir » en direct live, sans bien savoir lequel, ni voir qu’il sonnerait le glas de leur petit négoce.


A entendre et lire les uns et les autres, les gilets jaunes seraient la France profonde seulement atteinte d’une fringale de pouvoir d’achat. Ces ventriloques font parler une nation silencieuse, qui n’est pas écoutée (sic)... et pour cause, est-on tenté de dire.


Il s’agit malheureusement d’un autre et vrai problème, une fois de plus cautérisé par de fausses solutions, même si elles ont temporairement l’apparence de l’efficacité.


Le phénomène initial, de protestation quasi unanime d’une société excédée par un gouvernement technocratique, est devenu complètement vide. Réactionnaire à ses débuts, il est passé par la gauche pour aboutir à l’anarchie, parcourant ainsi l’ensemble du spectre des nuances politiques sans aboutir à rien de concret.


Ce résultat a été atteint par la stratégie de l’édredon et de la becquée. Le premier, amortissant les coups, pour laisser le temps au lait de redescendre dans la marmite, la seconde pour faire social, et désarmer la critique. On ne mord pas la main qui donne.


En refusant de se laisser représenter, pour ratisser le plus large possible, mais aussi parce que trop divers dans leurs composantes, les gilets jaunes se sont embarqués dans un bateau ivre, et nul doute que si les caméléons portaient des gilets, ils seraient jaunes. En fin de compte, n’importe quel abruti voulant casser du flic enfile un gilet jaune. A leur décharge, ils ont été poussés à se « libérer » par des bons esprits qui s’autorisent à légitimer la violence comme une forme moderne d’expression politique. Remarquons que ce sont souvent les mêmes intelligents qui prédisent la mort de notre civilisation.


Si l’on s’en tient aux évidences incontestables, le port du gilet jaune a consisté, d’abord, en une jacquerie anti-fiscale. En d’autres termes, un mouvement de droite, refusant tout net la solidarité carbone. C’est alors qu’il a fait le plein de popularité. Sa récupération ne s’est pas faite par des partis ou des syndicats démonétisés. Elle a eu lieu par l’inoculation de slogans de gauche prônant la démocratie directe ; le RIC revendiqué sans que nul ne sache ce en quoi il consistait, et le rétablissement de l’ISF, symbole de la démagogie fiscale, bien incapable de changer en quoi que ce soit le sort de la population, si ce n’est en mal.


Il n’y a apparemment aucun lien entre ces slogans et les causes de l’embrasement. Il en existe, néanmoins. C’est l’acte de défiance à l’égard du système politique. Du même ordre que le fameux « élection, piège à con » de mai 1968.


Pour comprendre pourquoi les partis, et autres corps intermédiaires, ont été décrédibilisés, il ne suffit pas d’en imputer le « mérite », ou la « faute « à Macron. Ce n’est pas le catalyseur qui est le produit réactif, il n’en est que l’accélérateur.


En réalité, la cause de la révolte populaire fut le refus de la partie supérieure, le gratin de l’élite de pouvoir, non seulement d’assumer ses responsabilités dans l’échec économique du pays, mais surtout de renoncer à un étatisme confortable pour elle. Cet entêtement perpétue un État bureaucratique qui divise la société française en deux. La France de l’emploi à vie et celle de l’incertitude du lendemain.


Faisant partie des privilégiés de la sécurité économique dans un monde en changement, l’élite de pouvoir, composée de hauts fonctionnaires, contrôlant l’Etat, a cru pouvoir « faire porter le chapeau » à celle des élus, au risque de démonétiser la démocratie représentative.


Quand on observe les cibles des gilets jaunes, on ne peut manquer de constater qu’il s’agit, comme dans les banlieues difficiles, de s’en prendre aux symboles de l’Etat. Se resserrant sur quelques meneurs sans autre talent que verbal, le mouvement est passé à l’anti-étatisme absolu. Et ainsi à l’anarchie. Anti-flic, anti-élections, anti-gouvernement, anti-Président quels qu’ils soient. Une fois encore, l’Etat se confondant avec la République, il a poussé les contestataires au nihilisme.


A cette révolte contre le Tout-Etat, le gouvernement a répondu non pas par « moins d’Etat », mais par des « gestes » classiques de distribution de pouvoir d’achat qui relèvent du plus pur État-providence. La stratégie claire est de désolidariser l’opinion de ces trublions. Une fuite en avant budgétaire qui à terme conduira à la faillite, car si la règle des 3% de déficit public n’a pas de fondement, l’écarter ne permet pas de justifier l’accroissement sans fin de la dette.


Malgré ces largesses, si une majorité de l’opinion réprouve les violences des gilets jaunes, une majorité aussi déclare sa sympathie pour ce mouvement. Le paradoxe n’est qu’apparent. Il souligne que les remèdes apportés par le gouvernement des fonctionnaires au rejet de la « France des fonctionnaires » ne sont pas pertinents.


Encore plus de services publics, répond à une demande de moins d’impôts et de moins de contraintes. Pour légitimer cette manœuvre, l’élite gouvernante a imaginé d’invoquer une « demande de plus de services publics ». Vendue aux médias, sans difficulté, cette revendication reste à prouver. Elle a pour l'heure l'avantage de satisfaire les privilégiés du système, ceux qui sont garantis par une rente à vie.


La manœuvre de maîtrise de la jacquerie des gilets jaunes a fonctionné, mais la cause n'en a pas été traitée, elle a été au contraire aggravée. Le mouvement ne se réveillera probablement pas, mais il est à prévoir que le mal prendra d'autres formes pour se manifester.




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