Un plaidoyer navrant : pavane pour une école mourante, l'ENA
- André Touboul

- 20 janv. 2020
- 4 min de lecture

Monsieur Jean-Eric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil Constitutionnel délivre dans Le Figaro de ces jours-ci un article intitulé « Recrutement de la haute fonction publique : la méritocratie républicaine est menacée »
On devine qu’il s’agit d’un plaidoyer à la gloire de l’ENA, il ressemble à son oraison funèbre. On ne peut qu’être attristé à sa lecture en pensant aux fonctions que son rédacteur a occupées.
Voulant montrer que l’ENA est indispensable, Monsieur Schoettl prend l’exemple des médecins, qui doivent bien soigner et non représenter sociologiquement la France. Le contresens est aveuglant et significatif. Ce n’est pas le médecin qui décide ce qu’est la bonne santé, et l’art médical est largement scientifique. Il n’en est pas de même pour le pays. Seule la démocratie est compétente pour définir le souhaitable, et, quoi que l’on prétende, les mesures économiques et sociales ne sont pas le résultat d’une approche scientifique, mais idéologique. La confusion montre que pour Monsieur Schoettl, les énarques et plus généralement les Grands Corps sont persuadés qu'ils savent mieux que personne quelle est la bonne médecine pour les Français. Cette science, évidemment, ils l’ont acquise dans leurs écoles et au premier rang d’entre elles à l’ENA. on pourrait en dire autant de l'école de Bordeaux pour les Magistrats, l'ENM, fondée sur le même modèle, et de plusieurs autres qui assurent une formation de niche.
M. Schoettl admet qu’il pourrait y avoir un problème de recrutement, qu’au demeurant il relativise. C’est la seconde ligne de défense de nos 5000. Faire quelques concessions au petit peuple, pour ne rien changer d’important. Le contresens est ici de placer le problème au niveau de la diversité sociologique, alors qu’il réside dans l’enseignement, et dans les débouchés.
L’enseignement est décérébrant, les débouchés sont démesurément favorables et jamais remis en cause. On attire la fine fleur de chaque génération pour en faire des imbéciles, au sens premier d'infirmes, qui ne savent pas regarder le monde réel qu’ils ne connaissent pas et en sont empêchés par le fait que l’école leur apprend qu’ils ont nécessairement raison, puisqu’ils sont les meilleurs. Ils sont l’archétype de la French arrogance. De ce fait, ils sont irrémédiablement sous-dimensionnés pour les postes qu’ils occupent.
Arthur Schopenhauer disait que la dialectique qu'il définissait comme "l'art d'avoir toujours raison" était une technique d'avocat, il ne connaissait pas les énarques, mais il est certain qu'il les aurait adorés.
Même quand ils tentent de mettre en œuvre des mesures souhaitables, ils échouent à convaincre. Le mouvement des Gilets jaunes, largement de ceux qui voulaient être entendus et en avaient ras le bol de ne pas l’être, illustre cette état de fait. Le plus terrible de cet épisode fut le soutien massif que ce mouvement a rencontré dans les premiers temps. Cela prouve que la surdité des énarques était totale, et qu’il ne s’agissait pas, comme de serviles hiérodules l’on professé, d’un problème de catégorie périurbaine. C’était la France entière qui se sentait oubliée.
Le gâchis de la réforme des retraites en est aussi un exemple aveuglant. La maladresse unanimement dénoncée n'est que le résultat d'une approche technocratique.
« Pourquoi remettre en cause ce qui marche... et qui attirant nombre de fonctionnaires étrangers... est un instrument de notre influence dans le Monde », conclut l'article de M. Schoettl. C'est aussi une contre-vérité. L’ENA ne marche pas. Ses élèves ont assuré à la France près de 6 millions de chômeurs. Dans les années 70, il y avait 100.000 chômeurs dans notre pays. Puis vint le premier des énarques au pouvoir, Giscard. Depuis, ils ont gouverné la France avec le succès que l’on sait. Une école qui a ces résultats ne « marche pas ». L’argument de l’influence de la France dans le Monde est aussi une faribole. Il faut n’avoir jamais voyagé pour ignorer que si les étrangers apprécient le luxe, les vins et le mode de vie à la Française, nos hauts fonctionnaires les font sourire, et parfois les agacent par leur suffisance, celle de ceux qui ont toujours raison et n’écoutent pas les autres. Ce qu’ils ont appris à leur école « qui marche ».
Plusieurs énarques, dont Fabius et Attali, pour ne nommer qu’eux, ont qualifié cette école de « machine à décérébrer ». Le grief est majeur, car elle a été le passage obligé de plusieurs générations dont elle a contaminé la fine fleur.
Monsieur Schoettl pousse encore plus loin le bouchon, quand il tire à boulets rouges sur le programme Macron et appelle à la rescousse les Gilets jaunes. Il est frappé d’amnésie. Il oublie que ce sont les énarques qui ont concocté le programme « d’en Marche », que ce sont eux qui l’appliquent, et que ce sont les 5000 qui ont porté Macron au pouvoir. Ils l’ont d’ailleurs fait élire en employant pour cela des méthodes de factieux que les Français n’ont pas oubliées. Quant aux Jaunes-gilets, il utilise le système classique du paratonnerre. « Ce n’est pas nous, c’est Macron ! ».
Le brave homme, enfin, nous tirerait des larmes quand il se lamente sur l’individualisme ambiant qui a fait perdre de vue la notion de service public. Cette fiction n’a jamais existé, elle a simplement servi a asseoir le pouvoir d’un caste de fonctionnaires sur le reste de la nation. Ni l’ENA, ni Sciences Po d’ailleurs, n’enseignent le Service Public, on y apprend le service de l’Etat, et plus particulièrement comment se servir de l’Etat.
L’ENA est toujours présente, et même omniprésente. Mais les Français se sont rendus compte de sa nocivité. C'est un des enseignements du Grand Débat. Ce plaidoyer de l’un de ses anciens élèves est par sa faiblesse, le signe avant-coureur d’une mort prochaine.
Le vice fondamentale du système est de fabriquer des clones qui sur la scène politique jouent des rôles pour amuser la galerie, mais dans le fond ne songent qu'à conquérir et conserver le pouvoir, et les avantages qu'il procure.
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