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La grande peur des mots

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 10 mars 2020
  • 2 min de lecture


N'ayons pas peur des mots, disait-on, mais les mots eux-mêmes étaient en panique.


Les mots avaient peur. Ils se blottissaient les uns contre les autres dans le désordre des phrases. Certains n’osaient plus sortir des encriers. Plusieurs se terraient dans les livres que personne n'ouvrirait jamais. Dans les dictionnaires ils se préparaient disparaître. Quelques uns se couchaient sur le papier ou les papyrus, espérant y survivre, en vain, car nul ne les lisait plus.


On voyait parfois se toucher deux mots, sans qu'on ne les écoute. Des mots s’envolaient à tire d'aile dans l'affolement d'un brouhaha généralisé. Des mots, les uns plus hauts que les autres, se faisaient méprisants et par là inaudibles. Des mots vils rasaient les murs, en quête d'un mauvais coup, d'une insulte à proférer. Les mots élogieux n’osaient plus sortir craignant de se faire lapider.


Certes, il y eut des mots courageux, prêts à se battre pour défendre la patrie de belles lettres. Des mots d’amour rosissant de confusion d’avoir à se dire en public, des mots nus, frisant l'indécence, des mots couverts, des mots vrais, des mots faux, des mots crus et d’autres incroyables, mais tous avaient peur, ils craignaient bien entendu de devenir le dernier mot.


Nul ne contestait le poids des mots, on savait que qui ne dit mot consent, mais le mot juste, le mot qu’il faut étaient devenus si rares que l’on en croyait pas un mot.


Les mots ôtés de la bouche, les mots de trop, et même les mots pour mots tremblaient de toutes leurs syllabes.


Ils n’avaient encore rien vu, bientôt ils auraient à affronter l’insurrection des lettres contre les phrases, menées tambour battant par leurs majuscules, et cela mettrait un point final à la peur des mots, car cela serait le mot de la fin.

 
 
 

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