Le virus de Ponce Pilate
- André Touboul

- 23 mars 2020
- 3 min de lecture

Né à Oran en 1945, au cœur de la peste bubonique décrite par Albert Camus dans son roman La Peste, je n’en avais néanmoins jamais entendu parler dans mon enfance. Les épidémies passent, certains trépassent, mais les hommes oublient. Cette faculté que l’on nomme résilience, est une force de l’espèce, mais elle devient une tare quand l’on ne tire pas les enseignements d’une catastrophe.
Rosine Bachelot, aurait tort de se rengorger en rappelant que Ministre elle avait préféré pêcher par excès de prudence. Elle s'était trompée dans des proportions inacceptables. Les conséquences de son pas de clerc ont été tragiques. Pour ne pas encourir le même type de critiques, les autorités publiques ont, notamment sous Hollande en 2013, réduit, pour ne pas dire supprimé toute précaution dans ce domaine. Donc pas de masque, et trop peu de systèmes d’assistance respiratoire, alors que les attaques de divers virus s’en prenant aux voies respiratoires ne faisaient que se succéder.
Quels sont les responsables ? Ne cherchez pas, ils ont appris à se cacher. Leur école est celle de l’impunité à la condition de n’être pas visibles. Au moment, des comptes, ils trouveront bien quelque lampiste, comme pour l'affaire du sang contaminé, pour porter le chapeau. Vous ne trouverez aucun énarque pour affronter la décision, pourtant s'agissant d'une question d'administration des moyens de l'Etat dans l'intérêt national, nul autre qu'eux n'avait qualité pour la gérer.
Avec amertume on constate que ceux que l'on vantait comme excellents se sont montrés une fois encore incompétents.
Le coronavirus mériterait le nom de virus de Ponce Pilate, tant il est vrai que l’obligation de se laver les mains en permanence est le souvenir le plus marquant que sans doute il laissera, malgré les prédictions de ceux qui affirment, du haut de leurs certitudes préétablies, que rien ne sera plus comme avant.
Il serait cependant regrettable que ce nom soit associé à une défausse généralisée des responsables de la conduite de la bataille contre l’ennemi invisible. Il ne faudrait pas que ceux qui sont en charge restent eux aussi invisibles et que leur invisibilité ne soit une fois encore une occasion de s’en laver les mains.
Les décideurs à tous les niveaux ne peuvent rester à l’abri. Ils doivent monter en première ligne, aller au charbon. Le Président, le Premier Ministre, le Ministre de la Santé, le Ministre de l’Intérieur, le gouvernement, cela ne suffit pas. Les Préfets doivent se manifester, ainsi que ceux qui dans la haute administration prennent les décisions de détail pour chaque branche. Ils doivent expliquer ce qui continue et comment, et ce qui s’arrête et pourquoi. Ce sont eux que l’on veut voir sur les plateaux de télévision.
Nous savons qu’il existe à l’ENA au titre de la formation continue un cours de deux jours préparant à la communication de crise, notamment sanitaire. Il est optionnel et le coût est de 1550 €... destiné aux « Dirigeants, cades supérieurs des secteurs publics et privés »... il aura lieu les 18 et 18 juin 2020. On sera fins prêts pour la prochaine pandémie. On a l’habitude d’être en retard d’une guerre.
Les conseillers en communication de crise se contentent de calibrer les interventions du Président et des Ministres. Mais ce sont les vrais décideurs que l’on devrait voir.
Pour l’instant, on assiste à une absence totale de contrôle de l’information ; il est ahurissant que les médias diffusent des avis de supposés experts, ou de telle ou tel anonyme, et posent des questions aussi sottes que grenues auxquelles les réponses ne peuvent qu’être dévastatrices, dans le silence de la parole officielle. Bien entendu, il faut éviter que les rumeurs se répandent sur les réseaux sociaux, mais la cacophonie est le plus sûr moyen de donner corps à toutes sortes de théories.
S’il y a guerre, les auteurs d’informations ou théories qui ont pour objet ou pour effet de faire obstacle aux décisions des pouvoirs publics doivent être assimilés à de la sédition. Les guerres se gagnent ou se perdent par l’action psychologique.
Mais de leur côté, les pouvoirs publics doivent s’efforcer de convaincre de la pertinence de leur action. Leur premier devoir est d’éviter que se produise des mouvements de panique.
Le corps médical bénéficie de la confiance de la population, mais il est ahurissant d’entendre ces “autorités” se chamailler sur les vertus de telle ou telle médication, et faire la fine bouche sur certaines. Le temps n’est plus au souci de ne pas faire naître de faux espoirs. A la guerre, on fait flèche de tout bois. On met le paquet sur toutes les opportunités, même les plus hasardeuses. On se bat !
*
Commentaires