La course contre la montre
- André Touboul

- 30 mars 2020
- 4 min de lecture

Le principe de Peter est une loi empirique relative aux organisations hiérarchiques. Selon ce principe, « dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s'élever à son niveau d'incompétence », avec pour corollaire que « avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d'en assumer la responsabilité ». Au delà d’une présentation humoristique de la réalité des organisations bureaucratiques, il y a, dans cette règle, l’expression, d’une vérité humaine constante.
Il est, en effet, un autre principe tout aussi puissant, fondé sur le même comportement que l’on pourrait appeler Peter-latéral. Selon ce mécanisme, les spécialistes d’une discipline n’ont de cesse de tenter d’empiéter sinon d'envahir ou même asservir la discipline voisine. Non pour enrichir leur propre registre de compétence, mais pour coloniser les champs de celle-ci en y imposant leurs vues.
Ainsi les sociologues, tels que Thomas Piketty s’improvisent économistes en appliquant à ce domaine les catégories et les méthodes approximatives de la sociologie. Il faut reconnaître à sa décharge que les économistes ne sont pas en reste pour se prononcer sur les comportements de populations dont ils n’ont aucune connaissance et qui, surtout, sont d’une diversité qui cadre mal avec les quantités macroéconomiques qu’ils manient.
La conséquence de ce travers est qu'en période de crise on ne peut compter sur personne pour arrêter un plan d'action qui ait une réelle pertinence économique et sociale.
Si les sociologues n'ont jamais à craindre la contradiction du réel, leur discipline n'étant pas prédictive, les économistes nous ont accoutumés à être des interprètes de chiffres, choisis selon leurs préférences de gauche ou de droite, faisant perdre tout intérêt à leur science qui devient un art d’expliquer après coup, pourquoi l’on s’est trompé. Par cette attitude, ils suivent celle du prince de Soubise qui à la suite de la déculottée de Rossbach, écrivit à Louis XV : Sire, l’ennemi nous a trahi, il ne s’est pas présenté là où nous l’attendions.
Le gouvernement ne comptera donc pas sur les sociologues, ni sur les économistes pour arrêter sa conduite dans une période de confinement. En particulier pour déterminer les activités indispensables à la poursuite de la vie du pays. Ils sont aux abonnés absents. Quand aux idéologues, ils refusent tout engagement dans le présent et préfèrent tirer des plans sur la comète, prophétisant au delà de l’horizon que rien en sera comme avant. On leur accorde le bénéfice de la prudence, ils ne pourront être contredits que par les faits... mais nul ne se souviendra de leurs prophéties.
On ne sait qui a établi la liste des commerces à fermer et selon quels critères qui semblent varier d’heure en heure et parfois se contredire. Il aurait été logique de définir quelles activités sont incompatibles avec une lutte contre la propagation de la pandémie. Et, au lieu d’aligner des milliards théoriques auxquels personne ne croit, de donner aux entreprises les moyens matériels de poursuivre leur activité. On pense ici aux transporteurs et aux policiers, les uns réclamant des haltes sur les autoroutes, les autres des moyens de protection.
Dans ces circonstances, on doit cependant constater que ce ne sont pas les personnels les plus exposés, mais ceux qui n’ont rien à perdre, c’est à dire les fonctionnaires et assimilés qui, soit ont cessé le travail, comme à la Poste, soit menacent de le faire par la grève.
Face à ce qu’il faut bien qualifier de pagaille et d’injonctions contradictoires, le pays ne pourra tenir longtemps sans risque d’infarctus. Encore huit jours, encore quinze jours, ou un mois ?
C’est désormais une course contre la montre qui est engagée, non pas pour retarder le pic épidémique, mais pour qu’il ne se produise pas trop tard.
Quand on regarde à cet horizon de sortie de crise, on est abasourdi par le silence des experts.
Pourtant c’est maintenant qu’il faut anticiper un mode de reprise de l’activité, compatible avec une épidémie qui ne sera pas encore totalement maîtrisée.
Chef d’orchestre qui ignore tout de la partition et ne cesse de faire des fausses notes l’Etat ne paraît avoir aucun plan. Il serait pourtant temps d’énoncer quelques principes. Dire, par exemple dans quel ordre et sous quelles conditions les diverses activités pourront reprendre, même si l'on ne peut se prononcer sur quand cela sera possible.
A cet égard, une palme académique doit être décernée à J-M Blanquer qui pour nous remonter le moral s'engage sur une rentrée des classes au 4 mai. Sans doute veut-il nous dire que l'épidémie ne sera à cette date qu'un mauvais souvenir.
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Si dans les circonstances présentes, les citoyens ont le droit de s'interroger sur la pertinence des actions publiques, les politiques ont une responsabilité particulière, ils doivent privilégier la cohésion de la machine étatique.
Au cours de la crise, Marine Le Pen dénonce l’incompétence du gouvernement, cela ne la rend pas plus compétente pour autant. Bien au contraire, la mouche du coche n’a jamais fait avancer l’attelage. Elle aurait tort de croire qu’elle en tirera les dividendes. En effet, dan les situations d’urgence nationale la première vertu attendue des politiques est de démontrer qu’ils placent l’intérêt du pays au dessus des leurs. La populiste en chef aura en outre à pâtir des errements de ses modèles Trump et Johnson dont la gestion de la crise est calamiteuse. Elle en conservera l’image d’un coupe-jarrets et non d’un recours.
Il faut reconnaître à Mélenchon qu'il a au moins la décence de se taire.
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