La France a mal à son élite
- André Touboul

- 26 mai 2020
- 2 min de lecture

Il n’est pas de pays sans une élite qui prend les décisions capitales. Pour l’élite d’une nation, il existe deux causes d’échec : l’absence de renouvellement et une idéologie obsolète. Le privilège de l’élite de pouvoir en France est de cumuler ces deux handicaps.
En principe ouverte au mérite du fait de son recrutement par concours, l’élite d’Etat s’est progressivement fermée autour d’un entre-soi délétère. En effet, il ne suffit pas d’organiser une sélection pour assurer l’ouverture, encore faut-il en examiner les critères, et d’autre part en mesurer les conséquences. Depuis Pierre Bourdieu, sociologue de gauche (pléonasme ?), on sait que la « noblesse du diplôme » se doit de présenter des prérequis culturels qui appartiennent à une catégorie sociale assez restreinte. L’entrée est donc organisée en pratique comme une cooptation sociale. En outre, une élite dont les membres sont garantis de ne jamais déchoir et sont nourris, logés et blanchis (dans tous les sens du terme) à vie, quoi qu’ils fassent, a une irrépressible tendance à se refermer sur elle-même pour défendre ses prérogatives.
Sur le plan idéologique, notre élite de pouvoir est aussi affligée d’une panoplie de concepts qui aux 19ème et 20ème siècle avaient une certaine pertinence mais ne correspondent plus ni aux économies, ni aux organisations sociales d’aujourd’hui.
La lutte des classes était déjà un monstre du Loch Ness à la fin du siècle dernier. Nul n’avait vu un prolétaire en chair et en os. Il ne restait pas moins au cœur du discours de philosophie politique enseignée à nos élites.
Dans le monde actuel, la création de richesse ne passe plus par l’exploitation de l’homme par l’homme, mais elle s’engouffre dans les espaces de liberté que lui consentent les Etats. Les Etats multiplient les contraintes alors que les entreprises qui comptent les dépassent dans tous les sens du terme.
On a appris à nos têtes d’œuf que l’Etat étant le nec plus ultra, c'est à dire l'indépassable, s’y positionner était la certitude de se placer au sommet de la chaîne alimentaire. Cet enseignement est obsolète.
Aujourd’hui, l’Etat ne peut pas tout, comme le disait, l'énarque Lionel Jospin, et, le plus souvent, il n’en peut mais. En particulier, pour la création de richesse, l’Etat ne peut avoir d’autre rôle que de créer les conditions propices à la bonne santé de l’économie privée. On les avait formés pour être des princes, ils se découvrent n'être au mieux que des infirmiers ou des assistantes sociales. D'où leur frénésie à s'agripper aux privilèges dus à leur rang, et leur déni de la situation d'échec dans laquelle ils ont conduit la France. La pandémie de la Covid-19 aura démontré que dans leur mission essentielle de prévoir, ils ont failli.
Frappée du syndrome de dysthymie, i.e. sentiment de l'inutilité, qui révèle leur impuissance, sinon celle de nuire, l’élite d’Etat est malade. Il serait inutile de la mettre sous réanimation, mais très urgent d’en changer car elle frise le burn out.
Il existe d'autres filières que l'ENA, elles ne préparent pas à la voie royale du Service Public, désormais surfaite, mais à la vie réelle des créateurs de richesses : Centrale, HEC, X... bref, ceux qui touchent les bœufs, comme l'on disait jadis.
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