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Au nom du peuple français

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 26 juil. 2020
  • 5 min de lecture

Le droit d’être assisté par un avocat de toute personne poursuivie ou celui d’être représenté en justice est le fondement même de toute justice légitime. Les régimes qui refusent ou font obstacle à ces droits sont des dictatures. La violation de ces principes par des agissements gouvernementaux sont unanimement considérés comme un déni de démocratie. La situation n’est pas plus enviable quand ce sont les magistrats qui traitent les avocats comme des suspects, voire des criminels. La démocratie et l’Etat de droit ne sont alors plus qu’un simulacre car la Justice en est absente.


Il n’existe pas de justice sans avocat. La raison en est simple. La justice est rendue par des hommes et des femmes, avec leurs vertus et aussi leurs faiblesses, c’est à dire par des êtres imparfaits. De chair et de sang, de passion et de sagesse. Le rôle essentiel de l’avocat est d’appeler les juges à la perfection en leur rappelant notamment les principes d’humanité et de droit. Les mauvais magistrats ne le supportent pas. Les bon recherchent avec scrupule l’éclairage que leur apportent les avocats. Ces derniers ne sont pas détenteurs de la perfection. Ils ont seulement le devoir de décrire ce qui pour eux serait un jugement idéal. Une décision qui rende compatible l’individu défendu avec la société, ses semblables, le réconcilie avec les autres humains. Cela ne les oblige évidemment pas à approuver les actions ou épouser les idées de ceux qu’ils assistent ou représentent.


Il y a une autre raison fondamentale d’exiger que les juges soient contrôlés dans l’exercice de leur mission. Les juges ne peuvent considérer la Justice comme leur chose. Ce qui fonde la légitimité même de leur action, est que dépositaires du pouvoir de coercition, ils ne doivent en user qu’en tremblant. Et sous certaines précautions, telles que le double degré de juridiction. Mais il n’est pas de véritable contrôle sans contre-pouvoir. En démocratie, le seul contre-pouvoir face à celui des juges est le ministère des avocats.


Ce garde-fou ne suffit pas, car ce sont toujours les juges qui ont le dernier mot. Il est donc impératif qu’ils observent avec soin les limites de leur compétence. Il ne suffit pas qu’un jugement émane d’un juge pour qu’il soit légitime. Encore faut-il qu’il l’ai été dans les limites de ses attributions. Ce sont celles fixées par la loi. Ce sont des limites quand aux matières et au lieu.


Mais il arrive que certains juges utilisent leurs pouvoirs pour faire aboutir leurs préférences politiques, en détournant le droit pénal pour s’immiscer dans les processus électoraux autrement que pour en assurer la régularité. C’est alors une double forfaiture : crime contre l’impartialité et le caractère sacré du principe démocratique de l’élection. Quand cela arrive, c’est la République qui est frappée au cœur. Les régimes où les juges sont politisés, où il existe, comme en France aujourd’hui, des syndicats de magistrats classés à gauche ou à droite, ne sont pas vraiment des démocraties.


Le système judiciaire fait courir un autre danger à la démocratie. Celui de l’usurpation de fonction. Cela est malheureusement admis comme une source du droit, les magistrats ont une fâcheuse tendance à se substituer au législateur dont les lois leur déplaisent, au prétexte d’en combler les lacunes ou d’en éclaircir les ambiguïtés réelles ou supposées. Ils sont aidés en cela par des textes de plus en plus nombreux, mal pensés et mal rédigés. Il est loin, le temps où l’on recherchait devant les tribunaux la fameuse « intention du législateur », considérée comme sacrée. Aujourd’hui, au prétexte d’indépendance, les juges s’estiment en droit de faire progresser leurs convictions politiques. Ils trahissent un principe, fondé quand il s’agit d’affirmer leur liberté de jugement face à l’exécutif, mais un pratique despotique quand ils prétendent rectifier l’œuvre du législateur. L’usurpation est de s’ériger en supérieur des représentants élus de la nation et finalement comme tuteurs d’un peuple incapable de se gouverner : la définition même de la tyrannie.


A la question : qui t’a fait juge ? Les magistrats ne savent plus répondre que par ces mots : j’ai fait l’ENM. L’école nationale de la magistrature a été créée et fonctionne sur le modèle de l’ENA. Les conséquences en sont semblables. Elle produit une élite qui se croit propriétaire de la justice comme les énarques le sont de l’Etat.


Il faut dénoncer cette dénaturation du principe même qui fonde l’action des juges. La formule qui donne une valeur exécutoire à leurs décisions est qu’ils agissent « au nom du peuple français ». Tout jugement doit être précédé de la mention : « République Française, au nom du peuple français ». L’article 454 du code de procédure civile liste les mentions devant apparaître dans tout jugement. La première phrase de cet article est simple, sans équivoque : "le jugement est rendu au nom du peuple français". Une justice qui perd de vue ce fondement est une tyrannie. Il importe peu que ce despotisme soit exercé par une élite ou par un seul homme. Le Garde des Sceaux, dont le Grand Sceau de France reproduit ci-dessus, n'est pas par hasard Ministre de la Justice. Bien que Monsieur Dupond-Moretti ait une belle carrure de lutteur, la mission de rappeler aux magistrats qu'ils sont au service d'une République dont la seule légitimité émane du peuple, est une bien lourde tâche.


Il ne s’agit pas de proposer ici de soumettre les juges à l’élection. Les inconvénients de ce système sont trop évidents dans les exemples étrangers. Il faut néanmoins par leur recrutement restituer aux juges une diversité qui assure une proximité avec la société française. Elle leur fait aujourd’hui défaut.


Il faut, aussi, recarder leur action par une hiérarchie stricte des valeurs au sommet desquelles le peuple est vraiment respecté. Ses choix dans les urnes doivent être mieux considérés que les vociférations de rues. Pour les magistrats, le processus électif doit être sacré. C’est à ce prix seulement que l’on en finira avec l’abstention qui est le parti des à-quoi-bonistes.


Il faudrait aussi que le législateur se guérisse de sa diarrhée verbale, et prenne plus de soin et de temps à rédiger des textes simples et clairs qui ne soient pas dictés par l’émotion voire à simple visée pédagogique lorsque l’on sait qu’ils n’ont aucune applications réelle. Si la loi ne se respecte pas elle-même, comment espérer que le citoyen la respecte, et que les juges n’en fassent pas n’importe quoi. Pour renouer avec cette qualité supérieure de la loi qui existait jadis, il faut d’abord et surtout que le Législateur cesse d’abdiquer ses responsabilités au profit d’un exécutif, lui-même sous la coupe d’une classe de technocrates dont l’irresponsabilité fait le lit de l’incompétence.


On ne peut donc espérer guérir la société française de ses maux sans traiter le problème de l’élite administrative et judiciaire dans son ensemble.




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