Apprendre à lire avec nos Présidents
- André Touboul

- 22 mai 2023
- 4 min de lecture

On s‘alarme du faible niveau de l’apprentissage de la lecture au sortir de l’école, et l’on a raison. Mais ceux qui savent lire usent-ils de ce trésor qu’ils ont la chance de maîtriser ? Le nombre de lecteurs ne cesse de décroître, seuls les romans parviennent à conserver une utilisation de l’alphabétisation à fin de se distraitre. L’image a désormais priorité. C’est Mc Luhan qui a terrassé Gutenberg.
Il est un domaine dans lequel le dépérissement de la lecture est très préjudiciable, C‘est celui de la culture citoyenne.
Combien de Français prennent-ils la peine de lire les ouvrages politiques et les interviews des princes qui les gouvernent ou y prétendent ? Fort peu, Ia plupart se contente d’écouter d’une oreille distraite le bruit de fond que les ondes dispersent.
Qui a lu Révolution d’Emmanuel Macron, publié en 2016 ? Ceux qui ont eu la patience d’écouter le discours prononcé au Collège des Bernardins sont peu nombreux et la pensée complexe qui y était exposée ne leur a pas permis d’en saisir sur l’instant la cohérence. Une lecture attentive en était nécessaire.
Marine Le Pen a prononcé moult discours au gré des circonstances dont la presse a extrait ce qu’elle voulait extraire, mais elle a publié en 2006 À contre-flots, en 2012 Pour que vive la France. On ne sait toujours pas dire quelle est sa pensée, si tant est qu’elle en ait une.
Les journalistes découpent dans les propos les plus discrets des personnalités politiques, tenus dans des avions, et parfois dans les toilettes des confidences qu’ils présentent comme révélatrices de la pensée profonde de leurs proies qui souvent pensaient parler off.
Quand les politiques se sont retirés (le plus souvent malgré eux), ils ont plus d’audience, tel Nicolas Sarkozy, ou François Hollande. Tout se passe comme si les Français étaient passionnés par la chronique du pouvoir par ceux qui l’on quitté, mais se contre-fichaient des intentions de ceux qui y prétendent.
Nicolas Sarkozy a commis 9 livres dont 5 après avoir rendu les clés de l’Elysée. Ce sont les derniers qui se sont le mieux vendus.
François Hollande a publié 11 ouvrages dont 6 avant son élection et 5 entre 2018 et 2022. Ces livres sont pour beaucoup des entretiens ou co-écrits avec Pierre Moscovici, Edwy Plenel, Edgar Morin, et Laurent Joffrin.
Ces deux exemples, illustrent l’appétit des lecteurs pour les révélations croustillantes, et l’illusion de pénétrer dans les arcanes du pouvoir révélées par ceux qu’il l’ont occupé.
Les écrits de Charles De Gaulle à l’exception du Le fil de l’épée, de 1932 sont méconnus. Il commence à écrire à 15 ans, Une mauvaise rencontre. Puis 9 ouvrages jusqu’à 1931. Sept autres livres avant la Guerre, dont Vers l’armée de métier. Ensuite ce seront les Mémoires de guerre et Mémoires d’espoir. Les Français connaissent mieux ses discours par lesquels il savait sans intermédiaire faire passer sa pensée.
On sera surpris d’apprendre que Jacques Chirac a publié 11 ouvrages de 1978 à 2011, dont 5 avant d’être élu Président. Qui peut en citer un seul ? Ses saillies, telles que « les emmerdements ça vole en escadrille », ou « les promesses engagent ceux qui les écoutent »… et bien d’autres, sont l’essentiel de sa pensée politique.
On sait Giscard d’Estaing romancier, et Académicien, mais avant sa présidence, il n’a publié qu’un seul livre, l’essai Démocratie française, 1976. En 1981, c’est L’état de la France, un constat des lieux qu’il laisse à Mitterrand, puis en 1984 Deux Français sur trois. Outre ses mémoires il publie 5 romans. Ses rares essais sont ensuite comme des bouteilles à la mer. Bien peu ont lu les messages qu’il y glissait.
Le normalien agrégé de lettres classiques, Georges Pompidou a peu écrit. Une anthologie de la poésie française, en 1961. Le Nœud gordien, en 1974. Puis, un ouvrage, parachevé après son décès et intitulé Pour rétablir une vérité, qui comporte des vues sur la manière solitaire dont le Président de la République doit décider et assumer le pouvoir. De Pompidou, on aura conservé l’image d’un homme raisonnable qui ne voulait pas « emmerder les Français ».
François Mitterrand passe pour un fin lettré, mais il a eu du mal à obtenir son premier baccalauréat, et il termine ses études en simple Sciences Po, assorti d’un DES de droit public. Il est nonobstant l’auteur de près de trente ouvrages. Le plus connu est Le coup d’Etat permanent, de 1964. La virtuosité avec laquelle il s’appropriera une République dont il y dénonce le caractère anti-démocratique, dispense de se plonger dans ses autres écrits. La plume de François Mitterrand est plus celle d’un esthète que celle d’un théoricien. Le leg majeur qu’il aura fait à la Cinquième République, en 14 ans de présidence, est de l’avoir fait résister à l’alternance. Le message politique de François Mitterrand sera une pratique de la cohabitation où il promettait de ne pas rester « inerte » et vigilant sur « les acquis sociaux ».
Ne devrait-on pas proposer aux candidats à la naturalisation une épreuve de commentaires sur les œuvres de nos principaux politiques, en commençant par les Présidents ou ceux qui briguent la fonction suprême.
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