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Au delà de l’absurde, le chaos mental



L’humanité est-elle trop vieille, a-t-elle fait son temps ? La question, hélas, se pose tant elle parait atteinte de démence sénile.


Achetez une voiture pour ne pas vous en servir, car l’on n’omet jamais de vous rappeler qu’il faut  privilégier la marche à pied et le vélo. Achetez de la nourriture bonne, car grasse, salée et sucrée, mais toujours l’on ajoute que vous devez éviter de manger trop sucré, trop salé, trop gras… achetez de l’alcool, mais ne buvez pas ou alors avec modération. Achetez des vêtements nouveaux pour être à la mode, nous enjoint la réclame, mais reprisez vos chaussettes,vos pantalons et vos chemises ; il y a des aides gouvernementales pour cela, avec, c’est hallucinant, un tarif différencié pour chaque objet. Tel est le discours officiel où se mêlent les publicitaires et les pouvoirs publics qui veillent à ce que les caddies soient bien remplis pour que marche le commerce et le consommateur soit satisfait.


Non seulement les messages sont contradictoires, mais ils émanent des mêmes sources, parfois sortent des mêmes bouches, au même moment.


L’on croit habiter en Absurdistan, royaume où règne une sorte d’anti-réalité, plus proche de celle de la Cantatrice chauve de Ionesco que du poétique Alice au Pays des Merveilles de Lewis Caroll.


Dans le monde d’Alice les choses et les personnages ne sont jamais ce qu’ils ont l’air d’être et se comportent de manière surprenante, sans lien avec leur nature, mais c’est un rêve, donc imaginaire, et, pas de panique, il est normal qu’il soit décalé. L’univers où nous vivons est, lui, impossible d’une autre manière. Plus inquiétant, c’est un anti-monde à la Eugène Ionesco, Jean Genet, Fernando Arrabal, ou Samuel Beckett, dans lequel notre réalité déraille dans des scénarios qui paraissent écrits par des surréalistes sous hallucinogènes.


Certes, les consommateurs sont des enfants qu’il faut toujours modérer par des avertissements, car ils sont irrationnels, et cèdent à toutes les tentations. Mais le système où nous vivons va bien au delà de simples mises en garde. Il est devenu totalement contradictoire.


L’Etat prélève des impôts sur le tabac que par ailleurs il dénonce avec vigueur comme un danger mortel. Il fait de même pour les jeux d’argent dont il organise la promotion, tout en prévenant que l’addiction guette les joueurs. L’Etat est censé vouloir notre bien, mais il tire profit de nos mauvais penchants. A qui se fier ?


On reproche à Emmanuel Macron son « en même temps », il est simplement conforme à l’air du temps, sans cohérence. En revanche, on pourrait lui faire grief de n’apporter aucune plus-value à l’esprit commun, alors que le pouvoir qui lui est conféré lui en fait obligation.


Les injonctions contradictoires sont la marque de fabrique de notre époque. Cela ne se limite pas à la consommation. Le citoyen lui aussi en est l’objet. Il est sommé d’aller voter, car dans l’isoloir il pourra exprimer ses préférences, mais il est sans cesse mis en garde contre le vote populiste, c’est-à-dire, qui parait corespondre à ce pourrait le séduire. Le peuple est souverain et révéré, mais on le traite comme un enfant capricieux et irrationnel. Etrangement, ce sont les mêmes qui déplorent l’abstention, et qui sont sourds aux aspiration populaires par définition, pour eux, détestables.


L’infantilisation du consommateur et celle de l’électeur ne seraient rien si elles se contentaient d’informer ou d’éduquer. En fait, ils sont désorientés, et il s’agit pour les gouvernants de s’acheter une bonne conscience à leurs dépens. Tirés à hue et à dia, le consommateur et l’électeur, ce dernier considéré comme consommateur de bouillie démocratique, loin d’être libres sont, du matin au soir, culpabilisés.


On achète une automobile, mais chaque fois que l’on s’en sert, on sent bien que l’on est en faute, même si l’on respecte le code de la route à la lettre. Quand on  dépense le fruit de son travail, au supermarché ou au bureau de tabac PMU, on a le sentiment de faire une mauvaise action, contre la planète. Si l’on mange de la viande, on pense à la souffrance animale.


Pour se conduire en bon citoyen, beaucoup n’osent se rendre aux urnes, car voter, quoi que l’on décide , parait opérer des choix inconséquents, c’est-à-dire qui auront les pires des conséquences, ou peut-être, et c’est encore plus terrible, qui ne changeront rien.


Actuels ? Les philosophes de l’absurde, tels Camus dans le Mythe de Sisyphe , ou Buzzatti dans Le désert des Tartares, décrivaient au siècle dernier un monde sans cohérence, ni accomplissement. Mais l’absurde de notre monde d’aujourd’hui est plus qu’incohérent, il est contradictoire.


Chacun des peuples de la planète souhaite la paix, et presque tous se font la guerre. S’ils avaient de bonnes raisons pour cela, on pourrait le comprendre, mais le plus souvent l’on s’interroge sur la rationalité de ceux qui déclenchent les hostilités. Jamais, le jeu n’en vaut la chandelle, et pourtant les dirigeants s’y lancent tête baissée.


Certes, l’homme est une animal hargneux par nature, mais  justement tout l’effort de l’humanité au cours des millénaires a été de construire des civilisations pour tempérer les instincts bas et agressifs.


Nous sommes, dans ce siècle, confrontés à une anti-civilisation, non pas une nouvelle qui balayerait l’ancienne,  mais une non-civilisation au niveau du Monde dans son ensemble.


Cette aberration s’observe partout sur la Terre et à tous les niveaux. Quand on regarde les quartiers dits sensibles ou difficiles, on parle de dé-civilisation ; si l’on considère certains pays ce seront des régimes de démocraties illibérales. On observe aussi une dé-mondialisation des échanges. C’est toujours le suffixe privatif qui décrit les faits.


Tout se définit par son contraire, par ce qu’il n’est pas, ou n’est plus. Il semble que l’on se promène dans le négatif d’un film.


il n’est pas surprenant que dans un tel environnement se développent et prospèrent, comme jamais, les théories complotistes. Comme l’on ne comprend plus rien, il y a un complot pour tout.  Le complot, c’est l’explication simple, et même simpliste. La brève de comptoir est ainsi devenue le sommet de la réflexion politique. Le virtuose qui s’est approprié ce mode d’expression est Donald Trump. Il parle et pense comme au café du commerce. Il n’a pas inventé le principe des vérités alternatives, les stupides du politiquement correct l’ont précédé, et ouvert la voie. Les premiers, ils ont sélectionné les faits, les interprétations et tordu les vérités « pour la bonne cause », la leur.


Trump et les Wokes (qui poussent le politiquement correct à l’extrême où il devient absurde) relèvent de la même mécanique réthorique.  La fin justifie les moyens. Les deux extrémismes pataugent dans la même boue. Ils rendent inaudibles les gens sensés, raisonnables, objectifs, de bonne volonté. Car les exagérés ignorent la nuance, ils la condamnent comme une trahison.


Au delà de l’absurde du quotidien et des gouvernements ordinaires se profilent des ombres plus anxiogènes, qui au lieu de promesse d’un futur meilleur, se réjouissent d’un chaos propice à l’exercice de leur pouvoir. Ce désordre est tragique, car il s’est installé dans les esprits, comme une démence sénile qui annoncerait la fin d’une humanité devenue trop vieille.


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