Ces Présidents qui ont défait la France
- André Touboul

- 22 mai 2022
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Les Rois, dit-on, l’avaient faite, quelques Présidents l’on défaite.
On ne parlera pas des Présidents de la IVème République dont René Coty fut le dernier et plus digne représentant passé maître dans l’inauguration des chrysanthèmes, et qui néanmoins intronisa Charles De Gaulle. Il s’agit, ici, des Présidents monarques, dont la responsabilité induite par l’onction du suffrage universel leur confère un devoir à la mesure des pouvoirs qui leur sont accordés.
Voulue par le Général De Gaulle, la logique de la Vème République était fondée sur l’obsession de l’unité des Français communiant à travers celle de la France éternelle. Pour lui, le Président devait bénéficier à tout moment d’une adhésion « franche et massive » du peuple de France, et à défaut, se retirer. Telle était la contrepartie des pouvoirs exorbitants conférés au Président, monarque à durée déterminée, mais seul maître à bord. En effet, sans une parfaite et constante adéquation entre le Président et le peuple, le régime pouvait être qualifié de "coup d'Etat permanent".
Ses successeurs ont profité sans vergogne des pouvoirs du régime, sans en accepter la morale.
Certes, Georges Pompidou, en auvergnat matois n’a rien fait, si ce n'est d'introduire le loup britannique dans la bergerie européenne, ayant quant au reste trop peur d’emmerder les Français. On se souvient de son hostilité à la "nouvelle société" imaginée par son Premier Ministre Jacques Chaban Delmas.
Son successeur Valéry Giscard d’Estaing, ayant disqualifié ledit Chaban, fut un conservateur, cependant soucieux de moderniser la France, en s’appuyant sur une méritocratie administrative et bourgeoise. Son règne a coïncidé avec l'entrée dans les "trente piteuses". Les énarques succédant aux polytechniciens (Président charnière, il était l'un et l'autre), la bureaucratie l'a emporté sur l'esprit d'entreprise, et la France a été livrée à une élite toute puissante mais hors sol, c'est à dire coupée de la population.
Sans dimension sociale la mutation giscardienne a ouvert la voie à une alternance, où le Parti Communiste fut partie prenante.
Le peuple français laborieux du monde ouvrier et paysan, était absent de ces jeux de pouvoir. Il avait été le socle de la France politique profonde, mais nul ne s'en souciait. Ces catégories socio-professionnelles étaient condamnées à se réduire avec le recul de l'industrie et de l'agriculture méthodiquement géré sinon organisé par la haute fonction publique.
La fracture politique de la France dont on paye encore aujourd'hui les conséquences a été voulue par François Mitterrand. Fin stratège, ce Président converti à l'exercice monarchique du pouvoir s’avisa que la meilleure manière de le conserver était de faire monter l’extrême droite pétainiste, où par ailleurs, il avait de vieilles accointances remontant à l'époque de Vichy. Le coup de maître fut alors d’interdire à la droite de se rapprocher de l’extrême droite déclarée moralement infréquentable. L'excommunication toucha même ceux qui se risquaient à évoquer les thèmes évoqués par ces intouchables. Ainsi fut initiée une stratégie d’exclusion par lesquelles une partie de plus en plus importante des Français fut mis hors du jeu démocratique.
Sous Mitterrand, le Président gaullien soutenu et légitimé par l’adhésion populaire est alors devenu un Président manœuvrier florentin, se maintenant par des artifices électoraux plus que par la volonté populaire. Ce machiavélisme portait cependant en lui son propre venin, car le parti repoussoir allait réussir au delà de son objet, puisque les déçus du socialisme, les victimes de la désindustrialisation et les chômeurs de masse ont progressivement déserté la gauche qui les avait abandonnés.
Le sommet de l’incompréhension entre le peuple et les socialistes a été atteint avec les 35 heures, mesure qui profitait aux cadres et nuisait aux ouvriers empêchés d’arrondir leurs fins de mois par les heures supplémentaires. Jacques Chirac en recueillit les fruits en 2002. Le petit peuple ayant déserté le Parti Socialiste, il fut très facile à Jacques Chirac, de reprendre le thème du rejet catégorique du Front National réputé non républicain, pour s'assurer une victoire d'une ampleur sans précédent, mais porteuse de . Le titre de principal déconstructeur de la démocratie représentative peut être décerné à Jacques Chirac qui par opportunisme personnel introduisit le quinquennat.
En 2007, Nicolas Sarkozy, "flirtant dangereusement" selon certains avec les thèmes interdits de l'extrême droite, parvenait à ramener dans la République une part non négligeable de l’électorat qui en avait été exclu tant par Mitterrand que par Chirac. Cependant, sous le feu de l’élite des communicants en majorité de gauche, cette réconciliation de la France et des Français fut avortée, comme le fut le débat pourtant nécessaire sur l’identité française.
Au cours du mandat Hollande le poids de l’extrême droite n’a cessé de grandir, et le plafond de verre censé interdire son accès au pouvoir, a commencé à se lézarder, tant il était difficile de se limiter à rejeter en bloc, sans en discuter les préoccupations, une part aussi importante de la population.
Le premier mandat Macron, a accentué ce phénomène avec deux nouveaux variants d’exclus : ceux de Zemmour et ceux de Mélenchon.
Ainsi lors de la réélection d’Emmanuel Macron, largement facilitée par la guerre en Ukraine, les Français exclus de la capacité républicaine pour cause d'extrémisme de droite ou de gauche sont devenus majoritaires.
Le système de la Vème République qui devait être celui de la rencontre avec le peuple, s’est transformé en une scission du pays en divers blocs (selon les analystes : deux, trois ou quatre…) dont la seule convergence est qu’ils sont inconciliables.
On peut sérieusement s’interroger sur l’avenir d’un régime où le seul mot d’ordre est de « faire barrage », tantôt à droite, tantôt à gauche, mais qui ne propose aucune perspective propre ni alternative réelle.
S'il ne veut pas figurer parmi ces Présidents qui ont défait la France, Emmanuel Macron devrait affronter ce corps multi-fracturé qu'est devenue la nation française. Pour y parvenir il faudrait réconcilier les Français avec leurs institutions. Il avait promis en 2017 de profondes réformes constitutionnelles, il n'a rien accompli à cet égard, et c'est heureux car on peut douter de la pertinence d'institutions issues de la cervelle d'un seul, si avisé soit-il. Minoritaire dans le pays, Emmanuel Macron perdra tous les référendums qu'il aurait l'imprudence d'initier.
Quand les décisions sont prises par un seul, sous son seul bonnet, l’adhésion d’une majorité résultant d’un accord profond entre différents points de vue fait évidemment défaut et fatalement l’hostilité des minorités s’exprime à tour de rôle dans la rue.
Certes, le Prince est entouré de conseils, mais il est plus souvent prisonnier de flatteurs qu’éclairé par des sages.
L’onction du suffrage universel est un leurre. Elle ne rend pas le Président infaillible.
Aux Etats-Unis les choix réels et profonds s’affrontent. La démocratie ne se soumet pas, elle reste vivante, pour ne pas dire vivace. Le pays se dirige à droite ou à gauche, mais en connaissance de cause. En France, par l'élection phare tant vantée par les médias, le peuple désigne un monarque dont il ne peut prévoir quelle sera la politique.
L’idée d’Emmanuel Macron de libérer la France du carcan de son élite bureaucratique est louable, mais elle conduit pour l’heure à un vide sidéral entre le peuple et le Président. Les corps intermédiaires, les Partis, les syndicats, les Grands corps de l’Etat ne jouent plus aucun rôle. La disparition programmée du Président en 2027 laisse le pays face à un désert. Bien entendu, le monarque continue à exercer son pouvoir par sa faculté de distribuer les avantages et les postes, mais il est empêché de représenter l’avenir. Dès le résultat des législatives connu, chacun se positionnera par son opposition plus ou moins nuancée, plus ou moins négociée. Dans la Vème République, le successeur du Président n’est jamais le dauphin, mais toujours un opposant, la bataille sera sévère.
Le courtermisme électoral est un effet délétère du système qui réunit tous les enjeux en un seul coup de dé, celui de l'élection présidentielle. Une fois élu, le Président doit manœuvrer pour obtenir une majorité docile. Ceci le conduit à privilégier les signaux sur le projet, les symboles sur l’action véritable, le verbiage sur le discours. A ce jeu tout le monde est perdant, car ce n’est rien d’autre que de faire le trottoir pour attirer des sensibilités avides de peser et qui croyant voter dans le sens de leurs idées se font entôler, on les appelle les « déçus ».
A cet exercice E. Macron n’est pas le premier, il en est cependant le virtuose. Son art de la guerre consiste à s’emparer des armes et bagages de ses adversaires qui ont le vent en poupe pour leur couper l’herbe sous le pied, et comme l’on dit dans le monde du vélo, leur "sucer la roue". Ainsi par son gouvernement Philippe, clairement à droite, il s’est rallié les fillonistes aux législatives de 2017, alors qu’il avait été élu grâce aux voix de gauche. En 2022, élu par la droite, il compose pour les législatives un gouvernement Borne, à gauche toute. Certes, il y reste quelque anciens LR, mais le signal fort donné par le choix du Ministre de l’éducation nationale domine tout. Un trait magistral, car il rivalise avec Mélenchon sur le terrain du wokisme, mais un coup de dé, car il pourra y perdre un électorat de centre droit et même gauche qui reste horripilé par les déconstructeurs de la France. Bien entendu, Monsieur Pap Ndiaye n’est pas en cause, c’est le message que sa nomination véhicule qui compte.
En 2017, il était légitime de souhaiter que le Président élu réussisse, et pour cela de lui accorder une majorité. C’était vouloir donner sa chance à la France. Aujourd’hui, le sentiment qui domine est qu’Emmanuel Macron ne sait pas où il va, qu’il a peut-être eu de la chance, mais que celle-ci a surtout été constituée par nos malchances : pandémie, guerre en Europe. On peut douter que le spectre de la renaissance des Gilets jaunes se dresse à nouveau, car l’histoire ne repasse pas les plats, et l’on a vu que ces excessifs ne font que conforter le pouvoir en place. Cependant les sombres perspectives, ou pis l’absence de perspective, pourrait bien faire voler en éclat toute majorité présidentielle dans les incertitudes d’un combat douteux pour une succession déjà ouverte.
Il n’est pas impossible que le système monarchique de la Vème République se détruise lui-même par une paralysie à un moment où justement les réformes deviennent urgentes.
Ce qui guette le banquier Macron, c’est, ironie de l’histoire, la banqueroute.
Les Français craignent l’inflation, ils devraient plus encore redouter la hausse des taux de l’argent. Il ne restera bientôt au gouvernement que deux moyens pour panser les plaies : augmenter les impôts, solution de facilité qui accentuera la récession, et le grand emprunt national. Mais qui voudra prêter à un monarque démonétisé ? Si le petit monde politique veut reconquérir la confiance du peuple français censé être le vrai souverain, il serait bien avisé de revenir devant lui par une Assemblée Constituante. Liées par une profonde nécessité, une rénovation institutionnelle largement débattue et une confiance des retrouvée en l’Etat, notamment par les épargnants, sont les seuls moyens d’éviter l'implosion de notre République dont il est à craindre que le pronostic vital soit désormais engagé.
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