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Deux sondeurs ne peuvent se regarder sans rire

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 22 juin 2021
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 6 juil. 2021




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Ils se sont plantés. A chaque élection, c’est la surprise ; feinte ou réelle. Dès le premier tour des régionales, la marche triomphale qui était prédite par les sondages au Rassemblement national tourne à la correction.


La question qui se pose est de savoir pourquoi les sondeurs se sont aussi lourdement trompés. On chercherait en vain un événement qui, dans les derniers jours, les dernières heures, aurait changé la donne et retourné l’opinion. Ce fiasco ne fait que suivre une succession de prévisions démenties dans les urnes.

Les professionnels diront qu’ils ne pratiquent que des photographies et non des prédictions. Mais le vent n’avait cette fois, comme souvent, aucune raison de tourner, et l’électeur, moins girouette qu'on le dit, n’est pas à ce point versatile qu’il change d’avis sans raison d’un jour à l’autre.


De fait, c’est l’objectivité des maisons de sondages qui est en cause.


Qui sont-elles :

  • IFOP, 1,3 millions d’euros de bénéfices en 2018, a pour majoritaire la famille d’Entresangle,

  • Taylor Nelson SOFRES, désormais nommé TNS KANTAR TNS (bénéfice 2018 : 14 millions d’euros), filiale de WPP (Wire & Plastic Products) UK, bénéfice groupe de un milliard de livres en 2018,

  • HARRIS interactive, filiale de Toluna dont le slogan est « influencez le monde », un million d’euros de pertes (!) en 2018,

  • IPSOS, dont le slogan est « game changer » bénéfice 2018, de IOO millions d’euros,

  • BVA, onze millions d'euros de pertes en 2018, fille de Naxicap, fonds d’investissements français.

Somme toute, ce sont des firmes de commerce qui ont pour profession principale de vendre des produits.


Des mois durant, ils ont pronostiqué un inévitable duel Macron / Le Pen, tout en reconnaissant que les Français ne voulaient pas d’un match retour de celui de 2017. Dans les Hauts de France, ils disaient Xavier Bertrand au coude à coude avec le candidat RN. L’écart du premier tour est de 17 points en faveur du sortant, candidat déclaré aux futures présidentielles.


De telles telles erreurs de mesure ne peuvent être innocentes. Le tableau final choisi par les sondeurs pour 2022 était celui du Président actuel contre Marine Le Pen. Et en surestimant la force du RN, auquel ils promettaient plusieurs régions, ils ont montré qu’ils ne roulaient pas pour Emmanuel Macron.


Les professionnels de l’auscultation du corps électoral sont plutôt d'une "sensibilité de gauche" et ne sont pas devenus soudain populistes. Leurs entreprises dépendent néanmoins des commandes publiques ou de compagnies qui elles-mêmes en vivent. Ainsi, c’est l’élite d’Etat qui les contrôle par le chiffre d’affaire comme elle le fait pour bon nombre de médias. Il n’aura échappé à personne que c’est à cette caste que Macron a déclaré la guerre. Les sondeurs ne sont que la voix de leurs maîtres. Ils l’ont prouvé une nouvelle fois.


Hélas, pour comprendre le monde, nous avons besoin de chiffres ; comme de pain quotidien, les sondeurs nous en nourrissent. Les nombres sont une nécessité dans un univers où règne le paradigme métrique (i.e. tout se mesure, et ce qui ne se mesure pas n’existe pas). Ils assurent un service public, mais où sont leur indépendance et leur déontologie ?


Les instituts exercent une fonction semblable aux haruspices qui dans la Rome antique lisaient l’avenir dans les entrailles de poulets, et dont Caton l’ancien disait qu’ils ne pouvaient se regarder sans rire.


Les méthodes changent, mais le métier est le même, car, bien qu’ils s’en défendent, les sondeurs n’ont d’intérêt qu’en ce qu’ils sont prédictifs. Par chance pour eux, souvent leurs prédictions sont auto-réalisatrices.


Leur pouvoir a cependant une limite. Ils peuvent manipuler l’opinion, mais l’opinion n’est pas le vote. Marine Le Pen en a fait l’expérience aux régionales que les sondeurs lui promettaient être un premier pas vers la magistrature suprême. Il lui suffisait de se montrer discrète pour engranger les points. Mais la stratégie du silence qui est gagnante dans l’opinion, ne l’est pas dans les votes. L’opinion se prononce par une pulsion négative, le vote plus réfléchi s’efforce de préserver les intérêts. Or, nul ne sait ce qui l’attend avec le RN. Au moment de voter, on fait les comptes et l’on hésite. C'est pourquoi, contrairement à ce qu’elle croyait sur la foi des sondages, l’abstention n'a pas profité au parti de Mme Le Pen.


Il est un point sur lequel les augures ne se sont pas trompés, c’est la victoire de l’abstention. Mais là, toutes les conjectures sont permises. Chacun puise dans cet immense réservoir pour nourrir ses convictions. Ce n'est pas illégitime car il y en a pour tout le monde. L’abstentionniste n’est pas inquiet, puisqu’il s’en remet aux autres, ou alors il est insatisfait de l’offre politique, ou encore, il pense que son vote ne sert à rien, puisque, il en est convaincu, les élus n’ont aucun pouvoir sur son avenir. On prétend que les abstentionnistes se réveilleront lors des présidentielles et des législatives, du fait que les choix seraient alors déterminants. Cet prévision est loin d’être convaincante, car la dévalorisation de la parole publique, et son impuissance atteint désormais tout autant le Président et le députés que les élus locaux.

L’abstention est un phénomène complexe. Elle porte en elle une résignation et à la fois une frustration. Pour les gouvernants, elle n’annonce rien de bon. Le peuple qui s’abstient ne fait pas confiance, son défaut d’adhésion le rend difficile à réformer ou simplement à diriger.


Le plan B.


L’affaiblissement de Le Pen est une tuile pour l’oligarchie statocratique, sa stupeur est grande, car soudain le paysage politique a changé. On s'en émeut dans les coursives ; on dit que la donne a changé, que le jeu est déverrouillé pour 2022. Pour savoir à quel saint se vouer, les 5000 doivent trouver un plan B.


Macron ou comment s’en débarrasser, tel est le nom de ce jeu dont les cartes sont rebattues. Les instituts d’haruspices se déclarent humbles, comme Bernard Sananès de CSA, filiale d’Havas, compartiment du Groupe Vivendi, qui est la chose de Vincent Bolloré. Un groupe trop vaste pour ne pas dépendre de l’Etat et ne pas être peuplé de ses anciens hiérarques et hiérodules.


Pour ce plan B, les préférences allaient à Edouard Philippe, qui, hélas (selon eux) ne peut jouter contre Macron, alors en réfléchissant un peu on voit que Xavier Bertrand étant exclu, car il ne fait pas partie de la famille, le choix sera entre Pécresse et Wauquiez.


Valérie Pécresse, 53 ans, HEC/ENA dans cet ordre, dont elle sort 2ème de la promotion Condorcet.


Laurent Wauquiez, 46 ans, que agrégé d’histoire, docteur en droit, énarque major de la promotion Mandela.


Évidemment Wauquiez a le plus joli plumage, mais son ramage est parfois maladroit, et il n’est pas une femme, on l’a remarqué. Son casier politique est mieux fourni en fonctions ministérielles, mais moins prestigieuses, car sa concurrente a occupé les fonctions de Ministre du Budget sous Fillion, passage qu'ont opéré plusieurs présidents (Giscard, Chirac, Sarkozy).


Que l’on se rassure les sondeurs restent déterminants, ce sont eux qui in fine désigneront le candidat de la droite, ils auront une bonne marge de liberté : pourvu qu'ils désignent un énarque.




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