Dies irae, jour de colère
- André Touboul

- 25 nov. 2023
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 nov. 2023

On en cesse de répéter qu’Israël gagnera la guerre militaire, mais perdra celle de l’opinion, car tel Moïse en colère Tsahal aura brisé les tables de la loi sur la tête des impies. C’est probable, mais perdre la guerre des armes est un luxe que les Juifs ne peuvent se permettre, et, somme toute, l’opinion n’est qu’un château branlant.
Comme le disait un grand journaliste à une personnalité se disant blessée par un article injuste, les coupures de presse sont douloureuses, mais on en meurt rarement.
Au demeurant, les Juifs, qui sont tous des survivants, savent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. L’opinion internationale n’a rien fait pour empêcher les chambres à gaz, et les camps d’extermination. Oui, l’émotion, après coup, a été profonde, mais comme l’a dit plus tard Golda Meir, on doit préférer les remontrances aux condoléances.
Après avoir été pendant tant d’années les souffre-douleurs des peuples européens et musulmans, les Juifs sont sans illusions, ils savent que l’opinion essuiera vite une larme, s’ils sont massacrés à nouveau. On verra resurgir ceux qui objecteront que le Juif est, dans le fond, responsable de ce qui lui arrive, à supposer qu’il lui ait été fait un tort quelconque.
Ainsi la stupeur du pogrom du 7 octobre s’est diluée dans le procès fait à Netanyahu, et elle a passée si vite que l’on dira bientôt que ce fut une invention de la propagande sioniste. De fait, la boucherie du Hamas a déjà ses négationnistes.
Aux yeux du Monde, les Juifs sont intrinsèquement coupables de tout, car mauvais par nature. Mais, étrange paradoxe, dans le même temps, on exige que leur conduite soit impeccable.
Certes, Israël a des amis. Mais ceux-ci ont une amitié à géométrie variable. Les Gouvernements français protestent depuis la Libération de son indéfectible amitié, et certains l’ont prouvée. Cependant, depuis De Gaulle, et sa formule malvenue qualifiant les Juifs de « peuple d’élites, sur de lui et dominateur », le soutien, qui devrait résulter pour l’Etat juif de cette amitié, est sans cesse en balance avec une politique arabe, quand ce n’est pas avec les humeurs de leurs banlieues. Dans les deux cas, La France n’est payée de retour que par l’ingratitude des Etats arabes et la haine de la rue islamiste.
La Russie manifeste aussi une proximité qui, en 1948, a permis à l’Etat d’Israël d’exister, mais les liens se distendent dès que le vent tourne, et l’on se souvient que les Tzars ont inventé le progom et Staline les épurations pour cause de judaïté. Les Américains, dit-on, soutiennent inconditionnellement Israël, mais l’on sait que cela ne vaut que dans la limite de leurs propres intérêts. L’Afghanistan, et peut-être demain l’Ukraine, sont des exemples qui montrent que les Etats-Unis peuvent retirer leur protection du jour au lendemain, sans état d’âme. Quand aux condamnations de la part des Brésiliens et autres qui n’ont jamais été des amis, elles ne comptent que ce que pèserait leur soutien, c’est-à-dire rien du tout.
Les Juifs, et c’est là le plus important, sont condamnés à ne jamais montrer de faiblesse ; car à la moindre occasion leurs ennemis, qui sont nombreux et viscéraux, et n’ont pas besoin de prétexte pour les haïr, s’en prendront, en meute, à leur existence.
Ceux qui prêchent la paix et la négociation immédiate ne voient pas qu’il n’existe actuellement aucun interlocuteur pour cela. Les assassins psychopathes du Hamas ne méritent pas cette qualité et ne la demandent d’ailleurs pas, leur objectif étant l‘extermination des Juifs. Ceux qui disent que négocier la libération d’otages est une reconnaissance de la légitimité du Hamas se fourvoient, car cela fait partie de la guerre et non de la paix. Jusqu’à la fin des temps, Israël devra poursuivre et châtier les criminels.
Dans la situation présente, c’est par une action exemplaire qu’Israël trouvera son salut. Exemplaire, mais au sens de terrifiante, pas de morale. La réponse au terrorisme, hélas, ne peut et ne doit être que disproportionnée et injuste. C’est la stupeur qui doit frapper ceux qui l’ont attaqué. Il vaut mieux faire peur par ses réactions aux agressions que de les subir à nouveau. Chacun doit savoir quel est le prix exorbitant à payer quand il s’en prend désormais à Israël. Au dessus de la porte où il est inscrit « chien méchant », on fait un détour.
La Russie de Poutine est sanctuarisée par l’effroi qu’inspire sa possession de l’arme nucléaire. La réprobation internationale, qui a suivi son agression de l’Ukraine n’a eu qu’un temps. Chaque Etat est ensuite retourné à ses intérêts, avec les meilleurs arguments du monde, notamment la tarte à la crème de la lutte d’émancipation contre l’impérialisme occidental qui réunirait les BRICS. Ainsi Israël aura à cumuler ses propres fautes et celles d’un Occident honni.
En vérité, on accepte d’un régime autoritaire ce que l’on refuse à une démocratie. Quand les Russes bombardent des civils en Ukraine, massacrent à Boutcha, les faits étant à ce point avérés que Vladimir Poutine est l’objet d’un mandat d’arrêt de la part de la Cour de La Haye, il n’y a aucune marche pour protester de ces agissements. L’opinion, la rue, estime que tel est l’ordre des choses, et ne s’en émeut pas.
Israël, avec raison, assume la violence de sa réplique. Celle-ci doit montrer que même une démocratie peut être en colère, et que cette colère doit être redoutée.
Quand aux Palestiniens, il est difficile de s’apitoyer sur un peuple qui ne protège pas ses propres enfants. Ou alors il faut admettre que cette population entière est l’otage du Hamas, et dans ce cas c’est ce dernier qui est comptable des pertes civiles que l’on met au débit d’Israël.
Au demeurant, ce qui frappe depuis quelques jours, c’est la réaction très prudente des Etats Arabes, au fond satisfaits que disparaisse le Hamas, trop proche des islamistes radicaux. C’est ce fait majeur qui fit dire à Emmanuel Macron, peut-être trop vite, qu’il fallait étendre au Hamas la coalition internationale contre l’Etat islamique.
Le réel point faible d’Israël est sa diaspora. Elle reste, dans le monde entier, vulnérable aux attaques et persécutions. Mais l’on n’ose penser ce qu’il adviendrait des Juifs de tous ces pays où l’on recommence à crier « mort aux Juifs », si l’Etat d’Israël devait disparaitre.
De toute manière, à chacun sa responsabilité, là où il est.
Les Juifs de France n’ont pas à compter sur Israël pour les protéger en compromettant sa propre sécurité. Leur meilleure défense est que leurs ennemis sont aujourd’hui aussi ceux du peuple français. Le sort de la France et des Français juifs est lié. Non seulement parce que les Juifs sont totalement assimilés aux Français chrétiens dans une laïcité heureuse, mais parce que les Islamistes sont aussi hostiles aux uns qu’aux autres.
Ni en Israël, ni en France le Juifs n’ont à raser les murs. Si les Islamistes s’en prennent à eux, là-bas, ils auront la guerre, et ici, ils récolteront la discrimination qui est la façon légitime et naturelle dont toute société se protège contre ses agresseurs.
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