Encore un pas de clerc
- André Touboul

- 9 oct. 2021
- 3 min de lecture

Dans le Barbier de Séville, le Conte s’adressant à Figaro qui vient de lâcher un juron, lui déclare « Tu jures ! Sais-tu que l’on n’a que vingt-quatre heures au palais pour maudire ses juges ». Il fait allusion à une maxime qui pour interdire de dire du mal des magistrats qui vous ont jugé, il était autorisé de les maudire sous le coup de l’émotion, vingt-quatre heures, mais pas au-delà. Le fondement même de la Justice est le respect que l’on doit à ceux qui l’administrent. Mais la considération ne se décrète pas, elle se mérite.
Les juges disent le droit, mais il existe deux périls. Le premier, c'est quand ils appliquent une loi scélérate. Le second, plus pernicieux, c'est lorsqu’ils appliquent mal une bonne loi.
Dans l’affaire Bygmalion, les magistrats ont appliqué une loi nécessaire, mais, par leur exagération, ils ont donné le sentiment de régler leurs comptes avec le pouvoir politique. Un an ferme pour une infraction comptable, sans effet dommageable puisque que l’élection fut perdue pour Sarkozy, c’est historique. Fort de café, au point que le tribunal éprouva le besoin de préciser que la peine s’effectuerait par le port d’un bracelet électronique. Cette modération apparente est pire que l’excès initial ; en effet, « baguer » une personnalité politique de premier plan dont on ne cesse de répéter que sa prise de position dans la campagne électorale en cours est attendue, et peut-être déterminante, même Poutine n’y avait pas songé.
Par leur maladresse, les juges ont transformé l’auteur d’une possible infraction en une victime. L’exemplarité de la sanction est compromise, comme l’est l'autorité de la Justice. En donnant le sentiment qu’il ont voulu « se payer » Sarkozy, les magistrats ont remis en mémoire le sinistre "mur des cons". Dans l’esprit de ceux qui aiment la Justice, la tentation est forte de renvoyer dos à dos Sarkozy et ses juges. Ce jugement est un nouveau pas de clercs, dont la démocratie se serait bien passée, car nul n'en sort grandi.
Cet accident survient dans une période où l’image de la machine judiciaire est mal en point. Alors que, du temps de La Fontaine, les juges étaient suspectés de vous faire blanc ou noir, selon que vous étiez puissant ou misérable, le soupçon s’est inversé. De nos jours, l’opinion publique fait aux juges le procès de considérer les malandrins comme des victimes de la société et ainsi de ne pas, ou mal, la protéger.
On fait en général diversion chez les bien-pensants en désignant, comme source de ses carences, la lenteur de la Justice, Ce n'est qu'une façon d'accuser le manque de moyens, Or, s'il est effectif que la Justice est une pauvresse, pauvreté n'est pas vice, et le mal est ailleurs. Il réside dans la prétention des technocrates du droit d'usurper un pouvoir dévolu au législateur, celui de faire la loi. Ainsi, non contents d’interpréter les textes, les juges les tordent. Tel est la sens de la fameuse harangue Baudot qui est le texte fondateur du Syndicat de la Magistrature. C’est aussi un mouvement plus ancien qui pose la jurisprudence comme une source de droit en oubliant que tant le Conseil d’Etat que la Cour de Cassation ont le devoir de se conformer à l’intention du législateur. Une intention, que l'on scrutait jadis avec respect, mais que désormais les Cours s'emploient à contrecarrer. Ainsi le peuple est dépossédé de sa souveraineté par les technocrates. S'il y a un souverainisme plus important encore que celui du pays à l'égard de l'extérieur, c'est celui du dedans, vis à vis d'une caste de clercs confiscateurs.
Dans ces dernières années, les juges ont fait irruption dans le processus électoral pour disqualifier certains candidats. Et dernièrement, ils ont pris d'assaut le domaine de l’exécutif en jugeant en opportunité, pour la suspension de la réforme de l’assurance chômage. Il s'agit d'une dénaturation de l'Etat de droit, invoqué à tort par des juristes dévoyés.
Cette tentation d’accaparer le pouvoir est ancienne. Sous la monarchie les Parlements faisaient de la résistance en refusant d’enregistrer les lois qui leur déplaisaient. On reparle, à juste titre aujourd’hui, de gouvernement des juges, c’est un dévoiement de l’Etat de droit, et un abus d’autant plus grave que les magistrats qui outrepassent leur mission ne tiennent pas leur pouvoir du peuple, souverain, car ils ne sont pas élus et jamais responsables. « La meilleure des Cours suprêmes, c’est le peuple », disait le Général de Gaulle (Discours et messages). Il serait temps qu'elle s'exprime, et que chacun retrouve sa place dans la République.
Dans la part que l'on peut approuver de son action, Emmanuel Macron prétend remettre la haute fonction publique, dont font partie les magistrats, à la place qui devrait être la sienne. Le moins que l'on puisse dire est qu'il a, dans ce domaine encore plus que dans les autres, du mal à passer de la parole aux actes.
Commentaires