Hamlet en France
- André Touboul

- 31 juil. 2021
- 5 min de lecture

S’ils insistent un peu, les anti-Pass vont réussir à faire réélire Macron. Leurs samedis sont une bénédiction pour le Président. La totalité des médias étant pro-vaccin, la presse se retrouve sans l’avoir voulu, et contre sa nature critique, dans le camp du Président. Tous derrière et lui devant, aurait chanté l’anar Georges Brassens. Et ce ne sont pas Valérie Pécresse, la candidate BCBG, Laurent Wauquiez le caméléon premier de la classe, ou Xavier Bertrand, le Sarko-mou qui lui feront de l’ombre. Pourquoi, en effet, changer un énarque contre un autre ? Celui-là au moins on le connaît. L’aventure avec Bertrand ? Ce serait partir dans l’inconnu avec un petit bourgeois de province.
Grâce aux trublions anti-pass et antivax, et pour peu qu’il ne fasse pas d’erreur de quart, le locataire de l’Elysée verra son bail renouvelé. Une grande première dans la Vème d’après Pompidou, car jamais, l’équipe sortante ne fut reconduite. Toujours ce fut le changement qui a été promis : « dans la continuité » avec Giscard, « le jour succédant à la nuit » avec Mitterrand, la « rupture » avec Sarkozy, « pour maintenant » avec Hollande, le « monde d’après » pour Macron. Les deux Présidents qui ont été réélus, le furent à l’issue d’une cohabitation. Les urnes votent contre, et si le sentiment est que la menace vient de la rue, elles se prononceront contre elle, comme en 1968.
Les mouvements de fièvre ne se calmeront pas. D’abord parce que la rue est considérée par les médias comme un lieu de légitimité, les mêmes commentateurs d’ailleurs qui se lamentent sur la déconsidération qui affecte la démocratie. Au demeurant, dans un pays où l’Etat est omnipotent et omniprésent, la contestation du pouvoir ne peut pas être une mauvaise chose.
Les Français ont de la considération pour l’indiscipline. Ils la prennent pour un signe de courage. La preuve de leur liberté et de leur indépendance vis à vis des princes qui les gouvernent. En Angleterre, on obéit aux consignes par civisme, même à celles que l’on ne comprend pas, même si c’est pénible, surtout si c’est pénible. En Allemagne, la discipline est une vertu en soi, il n’est pas correct de filouter avec les ordres. Chez-nous, on pense d’abord à la manière dont certains vont se soustraire à la règle. Et l’on fait grand cas de l’acceptabilité, comme si la population était le mieux à même de savoir ce qui est nécessaire de faire dans une situation de péril.
Le reproche fait à Macron de diviser les Français est pittoresque ; en effet, les Français sont sur tous les sujets coupés en deux. C’est une sorte de coquetterie nationale. Le luxe de ne pas être d’accord sur les évidences.
Sur la question du virus comme sur les autres. Il y a les pour et les contre. Les certitudes sont achetées pas cher, glanées au détour d’un média, s’autorisant d’argument d’autorités improbables dans un domaine où les plus compétents avouent leurs incertitudes. Il doit y avoir 60 millions d’infectiologues en France, d’autant plus péremptoires qu’ils n’ont jamais fait la moindre étude de médecine.
Rien de scandaleux à cela, chacun est libre d’avoir son opinion, et c’est naturel. Mais une opinion n’est rien d’autre qu’une vérité à laquelle l’on n’a pas demandé ses papiers.
Obéir ou pas, là est la question, dirait Hamlet s’il habitait en France aujourd’hui. L’esprit français est allergique à l’obéissance, dit-on, et même ceux qui se soumettent à la loi n’en pensent pas moins.
Mais est-ce si vrai en l’espèce ?
Quand la guerre est déclarée, il n’y a pas de place pour l’objection de conscience. D’autant moins de place qu’il ne s’agit pas de tuer mais de sauver des vies. Quand la vie d’autrui est en danger, on ne marchande pas son concours.
sAvec une certaine violence Emmanuel Macron parle d’égoïsme de ceux qui refusent le moindre effort pour protéger les autres. On doit lui donner raison, car les arguments des réfractaires on les connaît, et ils ne sont pas glorieux.
Le virus nous a déclaré la guerre, et il a gagné, il est devenu un occupant, que nous le voulions ou non.
Pour certains de nos compatriotes, il est inoffensif, et très correct. Peu importe qu’il décime et déporte une partie de la population vers des lieux dits, avec ironie, de réanimation où ils perdent la vie. On se souvient qu’au fronton des camps il était inscrit « Arbeit macht frei », le travail rend libre. De l’humour noir.
"Pourquoi résister ? Finalement, ce beau militaire a le bon goût d’épargner les plus jeunes, il nous respecte, et, en plus, il nous débarrasse du fardeau d’avoir à entretenir des personnes fragiles, qui coûtent à la Nation. Des vieux, des malades. C’est la sélection naturelle !
"Alors, finalement il a raison ce virus. Il a besoin de son espace vital. Prendre les armes contre lui ? Allons-donc. S’il nous "impose un couvre feu, c’est parce qu’on ne le laisse pas proliférer tranquille. Le combattre serait risquer sa vie, car le vaccin "a peut-être des effets à long terme qu’on ne connaît pas. Tandis que le virus avec ses bottes cirées est inoffensif et même "sympathique, on a tort de le caricaturer.
"Le vaccin ? C’est le complot international des Big Pharma, et en cherchant bien on verra bien qu’il y a des Juifs derrière tout "ça. En Chine, des Juifs ? Oui, il y en a partout.
"A force de circuler, l’occupant varie, il s’adapte, on dit qu’il frappe des gens de plus en plus jeunes. C’est de l’intox pour le "vax. Ils ont déjà piqué plus de trois milliards de cobayes. On n’a pas assez de recul.
"La Libération ? De toute manière ce n’est pas pour demain, le virus est très malin, il mute. Il faut s’habituer à vivre avec… "surtout si ce sont les autres qui meurent.
"Ma liberté individuelle est de refuser de combattre le virus et de collaborer en le propageant à ce qu’il s’installe. Les autres "n’ont qu’à se faire vacciner. Les risques ? C’est pour eux. Pas pour moi. Moi, je suis un bon Français. Et pourquoi je ne "collaborerais pas ? Le virus règlera tous nos problèmes. Regardez, déjà il a fermé les frontières, et les étrangers restent chez "eux. On le réclamait depuis des années. Il va mettre un coup d’arrêt à la mondialisation, il est bon pour le climat, il va "dégraisser la planète de sa surpopulation."
Ces arguments, on les entend. Ils sont souvent contradictoires et pour certains dégradants. Mais il y en a un qui est recevable et digne. C’est la crainte voir les obligations imposées en raison du virus perdurer après la pandémie. Une liberté à laquelle on a renoncé ne nous serait jamais rendue. Certes, le souci est légitime. Il constitue un procès d’intention fait à nos gouvernants. A voir la pusillanimité avec laquelle ils ont appelé à la mobilisation, il y a peu de chance qu’ils aient l’aplomb de refuser de démobiliser au plus tôt, pour retrouver la vie d’avant.
Quoi qu’il en soit, la vigilance de ceux qui veillent sur les libertés individuelles n’est pas à repousser d’un revers dédaigneux de la main, sauf à veiller à ce qu’elle ne se retourne pas contre les libertés publiques. N'en déplaise à ceux qui ont l'esprit binaire de la dialectique, les unes et les autres ne se contredisent pas, elles se conditionnent les unes les autres.
Que les « anti » continuent de manifester, cela est bien probable et peu gênant. Mais, il ne faut pas s’y tromper, la sympathie pour les chahuteurs ne va jamais bien loin. En France, on n’aime pas la chienlit, et au bout du jour on rentre dans le rang.
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