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L’art de gouverner



Victor Hugo en écrivant L’art d’être Grand-père, nous y apprend que ce savoir faire s’acquiert en réalité sur le tas, et qu’aucune autre formation que le cœur et le caractère n’existe pour ne pas rater cette épreuve de vie. « Je n’ai d’autre affaire, ici-bas, que d’aimer », écrit-il attendri devant ses petits enfants.


Dans notre République, cinquième du nom, le Président, élu au suffrage universel et titulaire de pouvoirs quasi-monarchiques, est le père de la Nation. Aucune école ne prépare à ce statut. Ce n’est certainement pas feu l’ENA, matrice de la bureaucratie française qui, bien qu’elle ait pourvu à la formation d’une majorité de nos Chefs de l’Etat, aura rempli ce rôle déterminant pour la destinée de la France. Pour rallier les Français à un panache blanc, comme derrière Henri IV, encore faut-il avoir appris ce qu’est le panache.


Pour combler cette lacune, nos monarques à durée déterminée pourraient étudier Le Prince de Nicolas Machiavel. Certes, ils n’y apprendraient rien sur la démocratie d’aujourd’hui. On peut même déconseiller cet enseignement dont le cynisme, bien qu’exagéré par ceux qui ne l’ont pas lu, reste une sorte de mépris du commun, ce vulgum pecus que l’on appelle maintenant le peuple. Dès 1605, Francis Bacon avait estimé que Machiavel ne fait rien d'autre que d'énoncer ouvertement ce que font les gouvernants plutôt que ce qu'ils devraient faire. Tel est, il est vrai, le contenu de son ouvrage Le Prince.  Mais il y a aussi le Machiavel des Discours ouvrage où il se montre partisan de la République et de la liberté politique.


Le réalisme de Machiavel demeure, toutefois, une opposition entre morale et efficacité dans laquelle il choisit la seconde option. On peut dire aujourd’hui que la doctrine politique américaine officielle opte pour la morale, en tout cas en façade, car dans les faits les Etats-Unis sont comme tous les Etats soucieux prioritairement de leurs intérêts. Mais dans la vie politique interne toute attitude machiavélique, c’est-à-dire non soucieuse de morale, est prohibée. Cela était en tout cas vrai jusqu’à l’irruption de Trump.


Placés devant des problèmes stratégiques majeurs comme celui de l’immigration, par exemple, les gouvernants tentent de concilier morale et efficacité par une hypocrisie qui ne convainc pas, car la responsabilité première de ceux qui dirigent un Etat est d’être efficaces. Machiavel dirait qu’il leur faut parler beaucoup de morale, mais agir de manière réaliste, alors que nos Gouvernements, à l’inverse, parlent de fermeté, mais se comportent avec une faiblesse inspirée par les bons sentiments, principalement pour ne pas affronter des cas de conscience, alors qu’ils ont été élus pour cela. Ils prétendent qu’ils se heurtent à des impossibilités pour endiguer un flot incontrôlé, alors que pendant la pandémie, l’immigration, légale ou non, a été stoppée net.


Il serait ridiculement prétentieux de donner ici des leçons au plus haut personnage de l’Etat, mais il n’est pas interdit de réfléchir aux évolutions qui infléchissent l’exercice actuel du pouvoir suprême.


Tout d’abord, le peuple. Il n’est plus ce qu’il fut. Les sociologues marxistes (pardon pour le pléonasme) ont beau professer qu’il est composé de masses abruties dont le rôle des progressistes est de réveiller la conscience, il faut tenir compte de ce qu’est vraiment la population dans les Etats démocratiques. Le niveau d’information incomparable à ce qu’il fût jamais rend le citoyen plus éclairé, mais pas moins despotique.


On s’étonne de ce que les Français soient ingouvernables, on invoque leurs ancêtres les irréductibles Gaulois, les furieux Sans-culottes, et la tradition de râleur solidement ancrée de l’homme de la rue, particulièrement à Paris où l’on monte des barricades et l’on fait voler les pavés pour se passer les nerfs à chaque occasion.


Le peuple de France est probablement immature. Toujours prêt à suivre ceux qui lui promettent de voter la loi du moindre effort, préférant Chirac à Balladur en 1995 et Hollande à Sarkozy en 2012. Il est irrémédiablement crédule aux promesses qui n’engagent que ceux qui les écoutent, comme celle de « changer la vie » énoncée par Mitterrand en 1981. Il est vrai que la Vème République est née sous le signe de la naïveté populaire, avec le « Je vous ai compris » de De Gaulle aux Français d’Algérie.


Il semble que la propension à se faire duper ait pour contrepartie l’irascibilité des citoyens.


La colère française s’est institutionnalisée sous Macron. Ainsi ceux qui croyaient que le jeune quadragénaire Président allait transformer la France en startup nation, qu’il allait inaugurer un monde nouveau reléguant les turpitudes de l’ancien aux oubliettes, ont déchanté en constatant que la réalité de cette « Révolution » promise était faite de Ronds-points occupés par les Gilets jaunes qui ont dégradé aussi l’Arc de Triomphe et qui, chaque samedi de semaine en semaine, ont transformé les rues en théâtre d’une chienlit sans précédent. On a aussi pu observer que sa nouvelle manière d’exercer le pouvoir signifiait que l’on devrait assister à des manifestations livrées aux violences des Black blocks, quand ce n’étaient pas des émeutes anti-police dérivant en razzias de pillards. Sous Macron, le peuple gronde.


Redonner la parole au peuple ? Certains partis le réclament. Mais ceux qui croient qu’ils peuvent conserver leur niveau de vie et de retraites en travaillant beaucoup moins que leurs voisins, sont ils adultes ?


La responsabilité de cette immaturité est, peut-être, imputable aux gouvernants qui perdent toute crédibilité en parlant de « sentiment d’insécurité » et en prétendant contre l’évidence que l’immigration n’a aucune incidence sur la délinquance. Les stratagèmes de pseudo-démocratie directe exacerbent l’agacement du citoyen qui voit dévaloriser sa seule arme, le bulletin de vote, alors que l’on semble accorder plus de crédit à la rue qu’aux scrutins électoraux.


On a les dirigeants que l’on mérite, il est vrai, mais c’est au sens où cela vise la capacité d’un peuple à dégager des élites de qualité dévouées au service public.


A cet égard, la bureaucratie française est significative d’une voie sans issue. Les bureaucrates, qu’on les nomme technocrates ne change pas leur nature, sont, par formation, des exécutants irresponsables et sans projet. Inévitablement, si l’on laisse cette sorte d’élite sans gouvernail, le régime sera celui d’une recherche d’avantages  personnels par ceux qui sont en charge de l’intérêt général.


Dans la République d’aujourd’hui, où le politique est concentré entre les mains du seul Président, les partis politiques traditionnels ayant été néantisés, il revient au chef de l’Etat de gouverner seul à la manière d’un monarque absolu.


La majorité relative de 2022 trouble ce schéma que la classe dirigeante a construit, instaurant le quinquennat pour éviter les cohabitations considérées comme des hiatus dans l’exercice du pouvoir présidentiel. Elle met cependant en lumière le rôle déterminant du Président qui devrait savoir recoudre pour gouverner, car « majorité relative » signifie absence de majorité. Le législatif  n’ayant pas d’orientation, c’est le Président qui plus que jamais a la main.


Tous les regards se tournent vers l’Elysée, au grand dam de ceux qui piaffent en attendant 2027.


Le Président doit l’assumer, il annonce des annonces,  et l’on parle de remaniement ministériel qui en serait les prémices.


En vérité, Emmanuel Macron devrait penser à se remanier lui-même, car le Gouvernement n’est, dans la configuration actuelle du pouvoir, que le reflet de la volonté (ou absence de volonté) du Président.


L’art de gouverner est de parler au peuple réel pour le hisser, ensuite, au niveau d’un peuple idéal auquel secrètement il aspire. La plupart des dirigeants s’adressent à une population théorique qui n’existe pas provoquant l’agacement des vrais gens de la rue.


Les Français sont inquiets, et par conséquent de droite, il est impératif de répondre d’abord à leurs craintes. Sans ce préalable, il est inutile de leur dorer la pilule en décrivant un avenir radieux.


L’amour. « J’étais à deux doigts d’être aimé » déclarait François Hollande, alliant l’absence de lucidité au contresens. En effet, ce qui importe, c’est l’amour que le Président porte à la France et aux Français, non l’inverse. On croit, à tort, que l’amour est un sentiment par nature partagé, il est, cependant, le plus souvent univoque. Or, l’amour est un concept particulier, il ne suffit pas de le proclamer pour être cru. Il faut des preuves d’amour. La pire des attitudes pour qui veut déclarer son amour est de prétendre donner des leçons. Les Français veulent être aimés pour ce qu’ils sont, ils en attendent les preuves, avant de se montrer tels qu’ils devraient être. En effet, seule l’affection que lui porte son dirigeant, et plus généralement ses élites enoblit un peuple. Emmanuel Macron est un cérébral, il devra se forcer pour ouvrir son cœur et rejoindre s’il le peut la France que les Français aiment : celle de Jean Dujardin et de Joséphine Baker, celle des grandes heures de ses grandes personnalités pour ce qu’ils ont accompli d’incomparablement précieux, celle de leur langue dans toute sa splendeur fertile. La France, somme toute, pourvu qu’on ne leur parle pas « en même temps » des côtés sombres qu’ils n’ignorent pas, pour donner des satisfactions à certains malveillants qui ne les méritent pas.


Réarmement ? Ce terme dépend de ce à quoi il s’applique, mais, tout d’abord, il implique que l’on reconnaît être vulnérable et désarmé. Alors, il faut nommer les dangers et énumérer les solutions correspondantes. Emmanuel Macron a parlé dans ses vœux de nouvel an de réarmement. Comme toujours, il place la barre très haut, espérons que, cette fois, il ne refusera pas l’obstacle, ce serait se ranger définitivement dans la catégorie des perdants qui se dérobent. Le plus grand écueil que le Président devra éviter est que son prochain discours soit perçu comme de « bonnes résolutions », qui, on le sait, ne sont jamais suivies d’effets. Machiavel, encore Machiavel, mais au sens le plus précis, celui du culte de l’efficacité.

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