L’ectoplasme qui nous gouverne
- André Touboul

- 17 sept. 2022
- 6 min de lecture

Esprit est-tu là ?
Depuis sa réélection, et sans doute bien avant, Emmanuel Macron fait de la figuration, certes intelligente, mais sans plus de consistance qu’une évocation de table tournante.
Le Président est sous la Cinquième République l'incarnation d'un monarque à durée déterminée, s'agissant de l'actuel locataire de l'Elysée, il semble qu'il soit un ectoplasme. Un esprit certes, mais dont les actions concrètes sont évanescentes.
On peut résumer son premier mandat par la simple formule : pense bien, mais peut peu. Ses visions rafraichissantes et iconoclastes se heurtant à la réalité, il n’en est résulté que des changements minuscules, alors que les réformes voulues par les hiérarques de Bercy, piliers de l’Etat centralisateur, ont toutes abouti. Main mise sur la cagnotte de la formation professionnelle, retenue à la source de l'impôt sur le revenu. Les politiques, dans la lignée de l'Etat providence, dont il promettait de s'affranchir, comme le quoi qu'il en coûte, la distribution des chèques anti-inflation, les boucliers énergétiques, ont également fait florès. Certes, les crises l'exigeaient, mais le remède a toujours été le même, celui de la dépense publique utilisée comme soin palliatif. Du monde nouveau promis, de la startup nation rêvée, il n'est rien resté de concret. Sauf peut-être la suppression de l'Ecole Nationale d'Administration.
Pointant la toxicité de l’élite énarchique, Emmanuel Macron a eu le mérite de ramer à contrecourant de ce flux qui entraînait la France vers le précipice bureaucratique qui fut fatal à l’URSS. Les énarques l’ont laissé dire et faire, convaincus de détenir le pouvoir véritable et de renouer, à terme, malgré la suppression de l’Ecole, avec les grandeurs et servitudes administratives, car l’Etat aura toujours besoin d’eux. Dans ce combat essentiel, engageant l’avenir du pays, cela aura été beaucoup de bruit pour rien. L'esprit était là, mais, ectoplasmique, il n'aura pas renversé la table, tout juste l'aura-t-il ébranlée.
La marque de fabrique du macronisme aura été la profondeur dans le diagnostic et la superficialité dans les réalisations.
Le dernier avatar de cette pensée complexe et de fait assez complexée quand il s’agit de s’expliquer est l’affaire du Conseil National de la refondation, CNR.
Pour tout un chacun, avant ce jour, l'acronyme CNR désignait le Conseil National de la Résistance. Une instance supposée rassembler les principales, sinon la totalité des forces politiques françaises n'ayant pas collaboré pour établir les fondements de la France future.
Apparemment, le Conseil paraissait dominé par les Gaullistes. De fait, il était à la main des Communistes. Eux seuls étaient munis d’une stratégie et d’ordres de marche venus l’une et les autres de l’URSS. Le Parti avait réussi le tour de force de faire oublier le Pacte germano-soviétique, grâce à son action héroïque dans la Résistance, à la victoire des Russes sur les troupes nazies, et aussi à celle de Staline sur un Roosevelt agonisant.
De leur côté, les gaullistes n’avaient, pas plus que les socialistes, la moindre idée de manœuvre. Les premiers savouraient leur victoire , alors que les seconds n’avaient en tête que de renvoyer le Général dans ses quartiers. Quant à la structuration de la France, ni les uns, ni les autres n’en avaient cure. Les Communistes de leur côté appliquaient la doctrine marxiste qui prescrit le "tout Etat" prélude (théorique et illusoire) à la disparition de l’Etat.

Ce sont les idées communistes qui ont prévalu. Nationalisations et bureaucratisation. Ce sont ces principes qui ont peu à peu sclérosé la France, l'enserrant dans un carcan administratif tel un boa constrictor. L’Etat a grossi, il a représenté la voie royale de plusieurs générations pour exercer le pouvoir. Mais l’Etat a fait aussi de la mauvaise graisse du fait de ses structures exagérément administratives. Il est devenu obèse, podagre, et pour finir impuissant. « L’Etat ne peut pas tout », avouait Lionel Jospin, pourtant nourri à la mamelle trotskiste.
Endetté, et surendetté l’Etat ne pouvait rien et perdait son autorité. Le quoi qu’il en coûte de la pandémie et de ces derniers jours sont une exception au mirage de « l’argent magique ». De l’époque de l’emprunt à taux négatif, le temps est révolu. Il faut redescendre sur terre.
Il est désormais inévitable de repenser les principes fondamentaux de détermination du bien public.
En lançant le Conseil National de la Refondation, CNR bis en quelque sorte, Emmanuel Macron pensait signifier qu’il s‘agissait de constater l’obsolescence des principes du CNR. Et aussi, il ambitionnait de réunir les Français sur de nouveaux fondements adaptés aux temps nouveaux.
Mais il ne suffit pas que le Président veuille pour que cela soit, fût-il monarque républicain. Il faut aussi que les circonstances rassemblent. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’aujourd'hui elles divisent.
Sans risquer d’être démenti l’on peut gager que le Conseil noyauté par la gauche extrême (comme la convention sur le climat le fut par des activistes écologistes), sera en discordance avec une France que les sociologues constatent (pour beaucoup, en le déplorant) être de plus en plus à droite.
La faute d’Emmanuel Macron est de refuser l’obstacle qui consiste à dire clairement et distinctement que c’est l’héritage du CNR de 1944 qui est à revoir. Il le fait de manière indirecte en choisissant le sigle CNR. Mais cela apparait comme une habileté pour habiller un ersatz de démocratie, ce que l’on appelle de la démocratie directe et qui n’est qu'une contrefaçon de la vraie. Les élus de la nation ont répondu, à l’exception du parti macroniste : Un CNR bis ? Une farce ! Cette réaction était prévisible, s'agissant de contourner ou pis d'over-ruler (pardon pour l'anglicisme), la représentation nationale, seule détentrice de la légitimité démocratique.
Il est cependant urgent de réformer les principes fondateurs du fonctionnement des institutions. La santé, par exemple, ne sortira pas du marasme tant qu’elle sera arcboutée sur les principes d’universalité et de gratuité, non financés. La redistribution qui coûte « un pognon de dingue », et ne règle pas le problème de la pauvreté, doit aussi être repensée. La liberté économique, qui est purement théorique quand la bureaucratie la bride, devrait être rétablie. Les grands projets qui sont de la responsabilité de l’Etat doivent aussi être repensés et priorisés. L’équilibre entre l’individu et les collectivités publiques ou privées est à préciser, autrement que par le cantonnement du premier dans une fonction de consommateur, uniquement considéré dans son pouvoir d’achat. Le travail, enfin ne peut plus être synonyme d’aliénation (ce qu’il est dans la théorie marxiste), et pour cela il faut le valoriser, le rendre gratifiant socialement, moralement… et pourquoi pas agréable.
Tous ces chantiers ne sont pas nouveaux, les efforts que l'on y a déployés ont été vains, car il se sont épuisés sans une remise en cause des principes fondamentaux du CNR, et en particulier celui qui veut que l'Etat soit la garantie du bien public, et son Administration la gardienne du temple.
Prétendre réaliser cet aggiornamento sans dialogue avec les partis politiques est pis qu’une erreur, c’est la garantie d’un échec qui, comme le débat sur l’identité tenté par Nicolas Sarkozy, ne fera que retarder la mise en œuvre des principes nouveaux dont la France a besoin. Sans accord préalable sur ces fondements, il n’y aura jamais aucune réforme possible.
L’esprit de Macron est là, mais c’est un être diffus sans capacité d‘exister autrement que par l’incantation. L’illusion du verbe creux continue de se manifester quand il présente comme une réforme des retraites, un simple passage de trois à deux ans de l’augmentation déjà prévue par la loi du nombre de trimestres de cotisation. Tout ça pour ça ! aurait dit Claude Lelouche.
On pourrait se résigner à un quinquennat de roi fainéant, comme le fut le second mandat de Chirac. Hélas, l‘avenir frappe furieusement à la porte. Le Monde n'attend pas. L’urgence est dictée par les grands soubresauts de la planète. Ce sont eux qui mettent à l’ordre du jour la nécessité des décisions courageuses. Sur la réforme de l’Union européenne dont les coquetteries droit-de-l’hommistes ne sont plus de saison et les régulations énergétiques deviennent déraisonnables. Sur la politique migratoire qui doit sortir du verbiage humanitaire pour devenir pragmatique.
Pour l’heure Emmanuel Macron refuse l’obstacle et se laisse emporter par les modes et caprices du temps. Mais c’est un luxe que la France ne peut se permettre. Quand Macron court derrière les lubies de la Nupes en sacrifiant l’Education Nationale, qu’il dote d’un ministre préférant enseigner la genrité plutôt qu‘apprendre à lire et écrire aux enfants, il engage le futur que l’on n’insulte jamais, sans qu’il ne tarde pas à se venger.
Jamais le risque n’a été aussi grand d’un avènement au pouvoir d’un populisme, propre sur lui en apparence, mais, dans le fond, fossoyeur de la démocratie et de ses libertés chéries. Cette menace est concrète, elle se combat par une politique de droite. Si Macron se dérobe, il sera emporté par la bourrasque de l'histoire, et sera celui qui aura ouvert la porte au pire de la droite, son extrême.
*
Commentaires