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L’Etat, c’est qui ?

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 15 juil.
  • 6 min de lecture



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Quand il écrit son Léviathan, en 1650, Thomas Hobbes ne parle pas de la République qui est la chose (l’affaire) de tous telle que conçue par les Grecs et les Romains, mais de l’entité qui détient l’autorité suprême et usage légitime de la force. C’est-à-dire l’Etat.


Dans la Bible, le Léviathan est un monstre marin capable de tout dévorer et détruire ; il apparaît dans les Psaumes, le livre d'Isaïe, et le livre de Job. Le Talmud y fait aussi référence et précise qu’il est voué à être détruit par Dieu à la fin des temps. On peut voir dans cette prédiction le signe précurseur de l’exigence anarchiste d’abolition de l’État, et de la promesse marxiste de dépérissement  celui-ci, aboutissement de la mise en œuvre des principes socialistes.


Le philosophe anglais du 17ème siècle théorise en la personnifiant l’abstraction à laquelle les citoyens déléguent une part de leur liberté pour assurer la paix sociale. Le choix du Léviathan, serpent monstrueux pour cette allégorie n’est pas neutre. Convaincu de la nécessité de cet être supérieur en force, Hobbes avertit que celui-ci a des appétits insatiables, et peut se montrer destructeur.


Mais l’Etat, dans la vraie vie, c’est qui ?


L'État, c'est moi est une formule apocryphe que Louis XIV roi de France et de Navarre aurait prononcée le 13 avril 1655 devant les parlementaires parisiens. Le futur Roi Soleil n’avait alors que 17 ans, mais il régnait déjà personnellement depuis ses 14 ans. On peut douter que Louis ait voulu s’identifier au  monstre de Hobbes, il affirmait simplement que la source de toute légitimité de l’usage de la contrainte était le monarque absolu. L’État monarque était géré  par une Administration, composée de commis « au service de sa majesté » censés être les simples exécutants de la volonté royale, ou de son caprice. Même la Justice était rendue « au nom du  roi ». Le peuple avait le devoir d’obéir sans barguigner. Se faire aimer de leurs sujets était une option réservée aux « bons rois », mais la plupart préféraient être craints, comme conseillé par Machiavel.   


La Révolution n’a pas découvert l’Etat. Elle a repris le nom antique de République. La Patrie, celle que l’on déclare en danger, c’est alors le territoire national, la Nation, étant le peuple dans son ensemble. Pour la Convention nationale de 1972, la République est une abstraction représentée sous les traits d’une femme coiffée du bonnet phrygien, symbole de la liberté, baptisée d’un prénom très populaire à la fin de l’Ancien Régime : Marianne. Mais cette représentation est une image muette et sans volonté propre.


De l’Etat, c’est-à-dire ceux qui exercent le pouvoir organisé, on ne parle pas, comme s’il allait de soi que les décisions des Assemblées ou des Comités de salut public, par exemple, se traduisent en actes dans l’ensemble de la France. C’est donc, l’armée, le corps le plus structuré qui s’est imposé, et un général qui s’est emparé du pouvoir d’Etat. Napoléon Bonaparte, l’Etat c’était lui. Pour le meilleur et pour le pire.


Né en 1789, le Trésor public s’est progressivement  dé-privatisé. Il est devenu, au 19ème siècle, une administration publique constituant le cortex de l’Etat. C’est autour de lui que l’Administration, expression physique de l’Etat, que celui-ci s’est constitué. Les régimes politiques, les gouvernements ont changé, le Trésor est resté une réalité centrale incontournable.


L’Etat, dans notre démocratie, est une réalité complexe. Sa volonté est censée résider dans une combinaison entre pouvoirs législatif et exécutif.


Dans l’évolution moderne, l’Exécutif n’est plus seulement l’exécutant du Législateur, et ce dernier n’est plus celui qui fait la loi. Certes il la vote, mais il en est de moins en moins à l’origine, pour proposer des textes il ne dispose que de niches.


Parallèlement, l’Exécutif, à l’initiative de la loi, a été dépossédé de son pouvoir d’exécution au profit d’une Administration de plus en plus technique et nombreuse, bénéficiant d’une permanence qui lui donne un avantage déterminant sur les deux autres pouvoirs.


Montesquieu ne connaissait que l’Exécutif et le Législatif, auquel il adjoignait le Judiciaire, il ignorait l’Administratif, d’autant plus autonome, en France, que l’Administration bénéficie de sa propre justice. L’origine de cette particularité française est dans les lois d’août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, qui interdisent aux tribunaux de l’ordre judiciaire de connaître des litiges intéressant l’Administration. Par ces textes, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ont été soustraits au contrôle des juridictions judiciaires, mais aussi l’Administration s’est trouvée hors du droit commun, avec ses règles, juges, et depuis 1945, un Statut assurant à ses fonctionnaires rémunération à vie, et indépendance de carrière.


L’Etat est ainsi, en France, une combinaison de pouvoirs dont la réalité est bien éloignée des fonctions définies par Montesquieu. Dans cet agencement ce n’est pas l’Exécutif qui est prépondérant, comme l’on a coutume de le dire, mais l’Administratif. Le pouvoir des bureaux est incontestablement supérieur à celui des urnes. Ce que l’Administration veut, l’État le veut. Gestionnaire du Service public, elle est détentrice des éléments de définition de l’intérêt collectif. Le Législateur peut voter des lois, l’Exécutif donner des ordres, c’est l’Administration qui en dernier ressort décide de ce que l’on fait ou non.

Quand ce n’est pas par son immobilisme, c’est par ses juges qu’elle exerce son pouvoir. Ces derniers temps, le Conseil d’Etat est allé jusqu’à s’arroger le droit de juger en opportunité, usurpant ainsi cette fonction de l’Exécutif.


Cette mutation de l’État n’a pas été sans conséquence sur son comportement. C’est ainsi que l’État-providence de l’après-guerre est devenu un Etat-nounou.


L’Etat-nounou est la version infantilisante de l’Etat-providence. Ce dernier se contentait de veiller à garantir les individus contre les différents aléas de la vie. L’assurance était son mode d’action privilégié. Indemnisation du chômage, assurance maladie, vieillesse, retraite.


L’Etat désormais va plus loin, il s’immisce dans tous les compartiments de la vie. Sous prétexte de prévention il décide de tout et de rien, au détriment de la liberté de chacun. Il fixe la quantité d’alcool que l’on est autorisé à consommer, oblige à boucler sa ceinture en voiture automobile, décide de la vitesse maximale sur la route. Il institue des obligations vaccinales. Bien entendu ces régulations sont justifiées, mais il en est d’autres qui le sont moins.


Ce n’est plus de l’assurance, mais de l’ingérence quand l’Etat institue une subvention pour ceux qui font repriser leurs chaussettes, détermine la température des habitations, multiplie les normes à respecter dans les copropriétés, décide de confiner et déconfiner, aller masqué ou pas, impose de préciser dans les publicités ces constructeurs d’automobiles qu’il faut privilégier la marche à pied ou le vélo, exige que l’on mange cinq fruits et légumes par jour, fait figurer des photographies horrifiantes sur les paquets de cigarettes. Usant de la contravention, ou de la répétition persuasive, l’Etat exerce son intrusion dans notre intimité. Et c’est parfois pour le pire , lorsque  l’Etat, Monsieur-plus,  sur-transpose en les aggravant les réglementations européennes imposées aux producteurs agricoles et autres, il n’est plus un organe de solidarité, mais un tyran domestique. Que cela vous plaise ou non, l’Etat investit votre argent dans les éoliennes, dont la nécessité est loin d’être prouvée, et l’esthétique contestable, il couvre la France de ronds-points dont beaucoup sont inutiles.


Sans hésiter, l’État édicte des normes d’hygiène et ferme des restaurants, là où d’autres pays se contentent de labéliser le niveau de sécurité alimentaire, libre au consommateur de faire son choix.


Quand des services de l’Etat, comme l’INSEE vont jusqu’à mesurer l’espace vital acceptable pour chaque français, il ne s’agit pas d’un minimum, mais d’un maximum suffisant. Big-nounou est au pouvoir, rien ne l’arrêtera, puisque c’est pour notre bien.


C’est aussi l’Etat-nounou qui confisque l’argent des Français et ne leur laisse qu’un argent de poche, pompeusement dénommé « pouvoir d’achat ».


La vie et sa fin n’ont aucune limite à l’intervention de l’Etat. Il régule la naissance, ou plus exactement son interruption, et réglemente la mort.


Tout en donnant dans la familiarité l’Etat en oublie ses devoirs essentiels dont le premier est d’assurer la sécurité et plus largement ses missions régaliennes. L’enseignement est le dernier de ses soucis. Le système de santé est gratuit, mais pas assuré.


Un Etat fort, souhaitait le Général De Gaulle. Il entendait par là un Etat dont l’autorité permettait d’asseoir la souveraineté sur une indépendance de défense, énergétique et industrielle.


L’Etat stratège de Bercy s’est développé à la faveur des nationalisations socialistes, et le moins que l’on puisse dire est que nos Inspecteurs de Finances n’ont pas été bien brillants. Ils ont laissé l’industrie se délocaliser ou même disparaître.


Ça ne coûte rien, c’est l’Etat qui paye. La formule sortie de la bouche de François Hollande, pour convaincre des élèves de se munir d’un ordinateur, est une illustration parfaite de la toxicité de l’ignorance de ce qu’est l’Etat, car l’Etat, c’est nous !  Cela est évident sur le plan financier, mais en pratique ce sont d’autres qui s’en sont emparés.

Pour répondre au mécontentement des Français ainsi dépossédés, les promesses ne manquent pas, mais c’est à l’Administration que l’on s’adresse pour proposer les réformes, et les mettre en œuvre… alors, l’Etat restera un étranger dans notre maison.

Les serviteurs de l’Etat ne sont pas heureux pour autant. On compte, ces derniers mois, 12 suicides et 8 tentatives parmi le personnel de la Direction des Finances Publiques, qui rappellent la vague de suicides survenue à France Télécom sous Dider Lombard qui fut condamné en correctionnelle. Ce n’est pas l’homonymie avec le ministre des Finances Eric Lombard, mais le sentiment soudain d’inutilité ressenti par les agents publics qui sans doute rapproche ces faits.

 
 
 

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