L’Etat de droit est tout tordu, il ne produit plus que du néant
- André Touboul

- 26 juin 2021
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La décision du Conseil d’Etat, en référé, de suspendre l’application de la réforme des allocations chômage, en la motivant par la conjoncture est une illustration de plus mais extrême, de la domination administrative sur l’exécutif. Avec le contrôle d’opportunité la rue Cambon franchit une étape dans sa maitrise de l’action politique que l'Administration contrôle déjà étroitement par la confection des dossiers, et les modalités d’exécution dont la moindre n'est pas la pure et simple inaction.
Il est naturel que le Juge administratif contrôle la régularité d’un acte d'exécution au regard de la loi, mais rien ne l’autorise à se faire juge de la pertinence d’une mesure gouvernementale.
L’Etat de droit justifie le contrôle de légalité, pas celui d’opportunité. A cet égard, seuls les élus et leurs préposés sont légitimes car responsables devant le peuple.
On avait constaté l’ingérence des juges dans le processus electoral. Certes, la légalité doit régner dans les opérations de vote et des campagnes qui les précédent. Mais les magistrats ne devraient pas être autorisés à s'instituer les gardiens de la morale publique en faisant le tri entre les candidats, comme cela fut le cas dans l’affaire Fillon.
Ces coups de boutoirs "adémocratiques" font suite aux insatisfactions de la noblesse du diplôme éprouvées vis à vis d’un exécutif qu’elle a pourtant colonisé depuis de décennies en réservant aux siens, non seulement les postes clés mais aussi la présidence de la République. Quatre présidents sur six depuis Pompidou sont issus de ses rangs.
Ce résultat a été obtenu par une démolition méthodique du système démocratique. Grâce à la collaboration zélée des médias, le venin du "tous pourris" a conduit à l'explosion de partis traditionnels qui n'ont été remplacés par rien. Car les néophytes choisis pour leur virginité politique n'ont pu combler ce néant.
On objectera que cette élite technocratique n'a pas de chef. C'est vrai, mais elle n'en a pas besoin. Partageant les mêmes intérêts et la même formation, ses membres se comportent comme un banc de poisons. Un être multiple paraissant mu par une volonté unique. leurs convictions leur tiennent lieu de mots d'ordres. Fiers de leur haute qualité, ils sont les grands du royaume, et ne souhaitent pas d'autre commandement qu'eux-mêmes.
La gestion du Président-monarque est pour eux un inconvénient institutionnel, et de ce fait incontournable. Chirac avait compris leur réticence à tout changement, et qui disait "la réforme administrative est à l'ordre du jour et elle le restera", le principe de précaution fut un gage donné à l'immobilisme. Quand au quinquennat, il permettait de licencier le Président plus rapidement, donc d'amoindrir son action. Son surnom de roi fainéant n'était pas usurpé.
Trop obéissant pour être efficace, Hollande, était encore plus nuisible qu'inutile, ils l'ont congédié plus brutalement qu'un domestique. Ce qu'ils n'imaginaient pas, c'était que même l'un des leurs pourrait se retourner contre eux. Leur déception cruelle a été Emmanuel Macron.
Il n’est donc pas surprenant que sa politique ait été à tout niveau contrecarrée par la nomenklatura. Seules les mesures qu’il pouvait prendre directement, comme durant la crise sanitaire, ont abouti à des effets concrets. A la fin de son mandat, il ne restera que son combat contre la haute administration, semblable à celui de Jacob contre l’Ange, ou, pour faire du Audiard, du cave qui se rebiffe.
On s’étonne du niveau croissant de l’abstention aux élections, mais quand les citoyens constatent que ce sont des non-élus qui décident de tout, pourquoi iraient-ils voter ?
L’une des torsions les plus toxiques de la raison est celle que subit le concept de l’Etat de droit. Ce qui caractérise l’Etat de droit est l’existence d’un corps impartial de magistrats chargés de veiller au respect des lois. Mais si les magistrats outrepassent leurs mission pour usurper les responsabilités des élus, c’est l’Etat lui-même qui est tordu.
Le prochain affrontement inévitable qui se profile est celui des politiques avec la haute Administration, dont font partie les juges administratifs du conseil d’Etat. Si les électeurs ne veulent pas être les témoins impuissants d’une déconsidération de la démocratie, et se voir remplacés par des ersatz que sont les simulacres de cette démocratie que l’on dit directe, il devront remettre à leur place les hiérarques de l’élite d’Etat, promus au mérite, mais jamais responsables devant le peuple. Pour cela les citoyens devront rendre leur considération à leurs élus, et les aider à remettre les régisseurs à leur place.
Ne nous y trompons pas, ce qui nous attend en laissant les irresponsables aux responsabilités, ce ne sera même pas un régime autoritaire ou totalitaire qui au demeurant n’aurait aucune solution à proposer, mais le néant. Car nos maîtres, profiteurs indignes jaloux de leurs privilèges, s’opposeront à tout changement, toute réforme, et continueront à jouer leur partition comme un orchestre du Titanic pour que jusqu'au dernier moment nul ne s’aperçoive du naufrage. C’est ce que font toutes les élites sclérosées.
Quand on entend les médias taper à bras raccourcis sur les politiques et jamais sur les hiérarques qui asservissent le peuple en l’anesthésiant à coups d’allocations, on voit que le système du néant peut encore durer.
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