L’éléphant dans la pièce
- André Touboul
- 7 nov.
- 5 min de lecture

Les Français tendent le dos. Les impôts et taxes pleuvent dru dans les médias, et même à l’Assemblée Nationale. On en vient à esprérer que les Budgets de l’Etat et de la Sécurité Sociale dont on nous dit qu’ils sont une nécessité vitale, ne soient finalement pas votés. Un saut dans l’inconnu parait plus rassurant que le matraquage qui bien entendu ne concerne pas les ultra-riches, mais bien les classes moyennes. Tout ça pour ça !
Le sommet de l’acharnement est illustré sur le sort des assurances vie. Taxées comme fortune improductive (?) et soumises à 10% de CSG en plus. Les retraités dont on supprime l’abattement sur les pensions apprécieront.
A supposer que tout cet attirail de sévices fiscaux soit mis en oeuvre, cela ne changera rien : les finances publiques resteront hors de contrôle. Et l’an prochain, il faudra en remettre un coup sur la tête des contribuables. Sur cette ligne, l’équation qui se présentera aux candidats à la prochaine présidentielle sera mission impossible. Il faudra renverser la table, donc se résoudre à élire un extrémiste. Les dès sont jetés.
Mais attendait-on que les Députés investis de la mission de bâtir les textes fondamentaux de fonctionnement de l’Etat résistent à la tentation du Monsieur Plus, qui pris d’un tic incoercible en rajoute… plus, toujours plus ? Non, personne ne pensait sérieusement que les partis politiques allaient proposer des économies réelles. Les seules qui ont été évoquées sont tellement urticantes qu’il est évident qu’elles le furent pour être rejetées.
Les Cassandres prédisent que « cela finira mal ». Chacun mettra ce qu’il veut dans ce cataclysme annoncé. Certains annoncent que la venue au pouvoir du Rassemblement National serait la fin du monde, voire la guerre civile. D’autres estiment que nul n’aura la majorité aux prochaines élections, quel que soit le moment où elles se produiront, et que même une Présidentielle ne fera pas disparaître la tripartition actuelle de l’Assemblée Nationale. Ces pronostics tragiques sont fondés sur le constat que la société française est profondément insatisfaite, et le postulat qu’elle finira par exploser. Les « veaux » dénoncés par De Gaulle, deviendraient des bœufs en colère.
Rien de moins probable. Les mécontentements ont du mal à traverser les obstacles pour déboucher sur les actions violentes. Les institutions s’y opposent, elles ont cette fonction et ce devoir, mais l’on peut aussi évoquer le fatalisme d’un peuple trop biberonné aux aides de l’Etat pour mordre la main qui donne.
Il serait toutefois imprudent d’affirmer que jamais le lait ne débordera de la casserole.
C’est toujours par surprise que le point de rupture sociale est atteint. Comme le plus souvent, un fait d’apparence anodine sert de prétexte. Les explosions sociales sont toujours à mèche courte, dans le rétroviseur on les dit prévisibles, mais elles n’ont jamais été prévues au moment où elles se produisent. La constante que l’on observe est une disproportion entre la violence populaire qui se déchaîne et le fait divers qui la met en route.
Ce mécanisme relève de la tectonique sociale, il est de nos jours accentué par les réseaux sociaux qui jouent le rôle de l’herbe sèche dans la brousse.
L’étincelle qui pourrait allumer le feu n’aura sans doute pas de rapport avec les causes profondes de la colère populaire. On glosera après coup sur l’insignifiance de ce détonateur. Et chacun observera que la goutte d’eau qui fait déborder le vase n’a pas forcément la même provenance que celles qui l’ont rempli.
Dans cet examen métaphorique du feu et de l’eau, il faut distinguer les motifs des causes. Le motif est ce qui met le peuple en mouvement. Les causes sont l’origine de l’insatisfaction.
On ne peut prévoir quel sera le motif de l’explosion, mais on sait très bien quelle est la cause profonde et non exprimée du refus des citoyens des solutions que les partis leurs proposent. Cela se résume en une phrase : on n’en a pas pour son argent.
Les prélèvements obligatoires sont au plus haut, les services publics sont au plus bas. La redistribution est maximale, et la précarité sociale ne disparait pas….
Ce qui est mis en doute est très clair : c’est la gestion par l’Etat des fonds qu’il prélève.
La classe dirigeante dit et répète qu’il n’y a concernant l’Etat aucune économie à faire, les administrations étant à l’os. Le manque de personnel est pointé comme la cause de tous les dysfonctionnements.
Cette défense de l’Administration n’est pas inexacte, elle omet cependant un élément majeur : à chaque tâche correspond un nombre optimal d’exécutants. En-dessous, on ne parvient pas à la réaliser, mais au-dessus non plus. Le surnombre d’intervenants est une cause d’inefficacité, notamment par le fait que chacun veut avoir un rôle, que les uns s’opposent au travail des autres… En d’autres termes, le principe essentiel d’une bonne gestion est d’adapter les moyens humains aux objectifs. A défaut , ce sont les effectifs qui déterminent les tâches à remplir, et non l’inverse. Ce n’est pas l’Etat providence qui a créé la sur-administration, mais la sur-administration qui a engendré l’Etat providence. Le rêve de la société bureaucratique est une équipe de football sans buteur ni gardien et même sans défenseurs, mais dont tous les joueurs sont sur le banc où l’on touche.
C’est au contraire à une économie d’adaptation que les entreprises privées s’emploient quotidiennement, selon les marges de liberté que les législations leur accordent. On sait que privées de possibilités de licenciement elles se trouvent très rapidement en faillite. Concernant l’Etat, l’adaptation des moyens aux tâches est une mission impossible, et nul ne veut aborder la question qui pourtant se pose dans les mêmes termes organisationnels que dans le privé.
Cet éléphant dans la pièce, que personne en veut nommer, est le Statut de la fonction publique. Aucune entreprise ne survivrait à un loi qui lui interdirait les compressions de personnel, les licenciements économiques, et ferait obstacle aux mutations. Outre les dédoublements d’agents entre l’Etat, les collectivités locales et les Agences, ce millefeuille auquel on ne cesse de rajouter de la crème, c’est le ventre mou de la fonction publique qui, intouchable, interdit la bonne gestion des personnels et donc des fonds publics, et détournent les politiques publiques de leurs objets. On peut augurer que le handicap du Statut va en outre entrer en collision avec la révolution IA qui n’a absolument pas été prévue et fera s’effondrer la bureaucratie.
Le Statut ? Le mot lui-même est tabou. Il est synonyme de sclérose. Son absence du débat public est la véritable démission du personnel politique. Le refus d’affronter ce mal est la cause profonde de l’impossibilité de remettre la France sur le chemin de la prospérité qui passe par l’efficacité de son Administration.