La cause est entendue, il ne reste plus qu’à en tirer les conséquences
- André Touboul

- 24 nov. 2020
- 5 min de lecture

Ce n’est pas un montage, il suffit de se rendre sur le site Le Point.fr du 24 novembre 2020 pour le vérifier. A la question « Y a-t-il trop d’énarque pour gouverner la France ? » les votants ont répondu « oui » à 93,5 %.
Bien entendu, il s’agit d’un panel non représentatif de l’ensemble de la population française. Mais les lecteurs du Point font partie de ceux qui s’intéressent à la chose politique et qui votent. De plus, le fait est suffisamment massif pour ne pas traduire une opinion largement partagée.
Le fait est nouveau. Jusqu’ici la prédominance des technocrates était un sentiment diffus, très rarement exprimé. Et le plus souvent refoulé. La dictature des administrateurs était admise, en principe, mais considérée comme un fait inévitable avec lequel il fallait s’accommoder. Certains même allaient jusqu’au déni ou justifiaient la situation pour ne pas reconnaître ce qui dans le fond paraissait comme une fatalité, aussi irrémédiable que les hausses d’impôts ou la chute des feuilles des marronniers en hiver.
La désignation de la haute administration comme responsable de la gestion du pays, apparaissait comme iconoclaste en 2014, où à la suite de la publication du livre « Les Cinq Mille, Fortune et faillite de l’élite française », le journal numérique Rue 89, titrait « ils ont trouvé des boucs émissaires !».
La crise sanitaire actuelle a mis ces ovins à nu, plus accoutumés à tondre qu'à l'être. Leur incompétence est apparue aux yeux de tous. Parler des technocrates et de leur responsabilité n'est plus tabou. Mais déjà au cours du présent quinquennat la bureaucrature avait sévi. Ses mesures autoritaires déconnectées du quotidien des Français avait provoqué la jacquerie des Gilets jaunes, sa méconnaissance du monde réel avait sabordé la réforme des retraites pourtant bien accueillie au départ. Le choix du chômage de masse, c’était déjà eux, comme celui de l’utopie d’une société française multicommunautaire.
Si ceux que Bourdieu appelait la noblesse du diplôme, ont pris le pouvoir pour en faire le plus mauvais usage, ils n’ont pu s'y livrer qu’à la faveur d’une conjonction planétaire propice.
Dans son ouvrage intitulé « Le Malencontre », Étienne La Boétie, expose que des hommes nés pour être libres ne peuvent accepter une servitude volontaire qu’à la suite d’un événement malencontreux. Pour les Français, ce fut la débâcle de 1940. Dans le camp des vaincus en 1945 par l’existence d’un gouvernement légal à Vichy, la France Libre en fut réduite à mendier sa représentativité auprès des Alliés, et pour cela donner des gages aux soviétiques, les premiers vainqueur du nazisme, l’URSS à Stalingrad.
On sait que les Américains entendaient administrer la France comme un territoire conquis, qu’ils avaient créé l’AMGOT, et commencé à battre une monnaie spécifique pour remplacer le Franc. On dit moins que de Gaulle, qui entretenait des relations suivies avec les Communistes (cf. Le livre de JC Giraud “De Gaulle et les Communistes”) négocia avec Staline (cf. Helene Carrère-d’Encausse, “De Gaulle et la Russie”) son aide pour voir reconnaître le Gouvernement provisoire comme légitime.
La contrepartie de cet appui décisif de l'homme fort de la victoire fut la décision de Charles de Gaulle d’accepter des ministres Communistes dans son premier gouvernement.
La suite et les conséquences de cette concession sont exposés dans “La trahison des invisibles”, publié en août 2020, que l’on trouve dans les bonnes librairies actuellement fermées par un pouvoir qui déclare, du haut de son inculture abyssale, le livre comme non-essentiel.
C’est à cette époque que, sous l'égide du Conseil National de la Résistance, sont nées les structures collectivistes qui ont permis à une bureaucratie omnipotente de prendre progressivement le pouvoir. La France ne fut pas la seule proie de Staline. En juillet 1945, il fait battre Winston Churchill et son successeur Clément Atlee met en place un système de sécurité sociale universel qui n'est pas pour rien dans l'état catastrophique que connut le système de santé britannique.
Pendant les Trente Glorieuses (1944-1974), les polytechniciens ont reconstruit la France, et l’ont développée. La technologie était leur atout maître : la bombe atomique, le Concorde, et pour le quotidien des français l’industrie automobile, le logement, les machines à laver... tous ces ustensiles de la vie facile dont Boris Vian fit une chanson "les arts ménagers, la complainte du progrès".
La charnière de ces années fastes avec celles que l'on peut dire piteuses, fut 1974. Choc pétrolier, certes, mais surtout élection de Valéry Giscard d’Estaing polytechnicien, mais aussi énarque. Par la suite, les énarques seuls assumèrent le pouvoir. Seul Francis Mer, polytechnicien fut un bref Ministre des finances, présenté comme représentant la société civile.
Le règne des administrateurs a été rendu inévitable pour servir les structures étatiques mises en place à la Libération et qui ne firent que s’amplifier avec les nationalisations. L’élite d’Etat qui en est résulté a patiemment, poussé dehors les élus qu’ils ont déconsidérés et éliminés, pour prendre le pouvoir suprême lors de l’élection de 2017.
Ce mouvement joint à une mise à l’écart des contre-pouvoirs institutionnels a sonné le glas de la démocratie que l'on qualifie de représentative, comme s'il en existait une autre.
Se comportant comme le clergé d’ancien Régime, la Magistrature, désormais politisée s’est prêtée à cette conquête. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui est un pugilat entre partenaires, au sein de la haute fonction publique. Entre la Santé et Bercy, l'affrontement est rude, il l'est aussi entre l'Administration et la Magistrature. La meute se dispute la dépouille d'une France à terre.
Froidement Alain Minc, porte-voix de Bercy , assassine les fonctionnaires de la Santé, d'une pique: "ce sont les plus mal classés qui y vont". Il parle du rang de sortie de l'ENA, évidemment.
Les Magistrats ne sont pas en reste. Perquisitions chez MM. Philippe, Salomon et Véran, interrogation des Président du Sénat et de l’Assemblée sur leur relations avec le Président Macron au moment des municipales, d’un côté. Et de l’autre désignation de Me Dupond-Moretti comme Garde des Sceaux. Dans les combats entre la noblesse, ne fût-elle que du diplôme, et le clergé tout judiciaire soit-il, c’est toujours le clergé qui a le dernier mot, car il dispose de l’arme suprême de l’ex-communication politique. Il n'est pas surprenant que, pour ramener la paix, le rapport Thiriez propose de créer entre les membres de l'élite d'Etat une formation commune de six mois. Telle est la réponse de celui à qui le Président Macron avait demandé un rapport pour supprimer l'ENA.
Il appartient au citoyen de tirer parti de ce combat des rapaces et des voraces. La prochaine élection présidentielle se fera sur la question de la dictature des technocrates. Ce sera en tout cas un des thèmes majeurs. Le candidat le plus crédible pour libérer la France du fléau bureaucratique raflera la mise.
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