La déroute des caméléons
- André Touboul

- 22 mai
- 7 min de lecture

Habemus papam ! La droite s’est enfin trouvée un chef qui devrait, vu le score sans appel obtenu, devenir bientôt son leader naturel. Il appartient au ministre de l’Intérieur de se saisir, à cet effet, de cette confiance d’autant plus spectaculaire qu’elle s’est produite à la faveur d’une multiplication par trois des adhérents au parti LR, qui avec ses 120 000 membres devient, à cet égard, le premier de France.
Ce mouvement, par son ampleur, est plus qu’une preuve de vie. Il pourrait être une résurrection de la droite et mettre fin à un singulier paradoxe qui veut que plus le pays est à droite, plus le parti de la droite de gouvernement est affaibli.
La clé de ce mystère bien français pourrait bien se trouver dans l’attitude de l’élite d’Etat qui, sans désormais se revendiquer de gauche, se refuse à basculer dans un discours de droite qu’elle définit toujours comme extrémiste. Ce positionnement ambigu des maîtres de la pensée correcte, qui définit qui est ou n’est pas dans « l’arc républicain », a émasculé le personnel politique de droite et rejeté son électorat habituel vers le Rassemblement National.
On peut le constater sur la question de l’Islamisme, où la police du vocabulaire, qui préfère le déni au réel, a tôt fait de cataloguer d’extrême droite quiconque aurait l’impudence de le déclarer « conquérant ». Un rapport sur l’entrisme, c’est-à-dire le noyautage, des Frères Musulmans, dans les institutions comme l’école, le sport et la vie quotidienne, précisément rendu public par Bruno Retailleau, au grand dam d’Emmanuel Macron, vient, à cet égard, de briser un tabou. N’en déplaise au Président qui devient périssable avant même sa date de péremption, jusques et y compris dans les rangs du parti dirigé par Gabriel Attal que l’on nomme macronistes mais qui ne se mobilisent plus pour le soutenir quand ils ne l’effacent pas de leurs affiches électorales.
La classe politique dont la parole se libère admet, enfin, que l’on est en présence d’une action de conquête destinée à établir la Charia comme régime politique en France, aux lieu et place de la République. Jusqu’ici, pour ne pas stigmatiser, ni amalgamer, le discours autorisé par les arbitres du vivre ensemble interdisait que l’on désigne comme tels ces ennemis de la France, et des Français y compris musulmans. Il exigeait que l’on qualifie de faits divers les agressions qui sont la conséquence d’un djihadisme d'atmosphère, entretenu pas des prèches incendiaires. Rares sont les politiques qui ont osé évoquer les liens entre l’Islamisme, et le narcotrafic dans les territoires perdus de la République, désormais concernant presque toutes le villes.
Emmanuel Macron, prince de l’équivoque, a fait voter une loi contre le séparatisme, mais quand il s’agissait de défiler contre l’antisémitisme, il s’est défilé pour ne pas froisser sa « rue arabe », comble de la séparation. C’est aussi par schizophrénie que des magistrats de l’ordre administratif ont récemment annulé, en invoquant la laïcité, une suspension de versement d’argent public à un établissement scolaire où se propagent les idées fréristes.
L’élite d’Etat qui se prétend l’élite de la Nation tient à marcher sur « ses deux jambes », mais désormais la dérive des opinions et des réalités rend ce grand écart intenable.
La déculottée administrée à Wauquiez par Retailleau est avant tout la déroute des caméléons. Comme l’écrit Pierre-Marie Quitard dans son Dictionnaire des proverbes : « C’est un caméléon, se dit d’un homme qui change d’avis et de conduite suivant les circonstances, parce que les anciens, de qui nous avons emprunté cette expression métaphorique, croyaient que le caméléon n’avait pas de couleurs propres et individuelles, et qu’il réfléchissait comme une glace toutes celles des objets environnants ».
Laurent Wauquiez, se dit anti-Macron, mais, comme lui, il est le pur produit de la sélection méritocratique à la française. Il est l’archétype de l’élite méritante. Le plus capé, mais aussi le plus représentatif de ces bons élèves qui constituent la fine fleur de notre système de sélection des meilleurs. Cette classe est formée pour servir l’Etat et non tel ou tel parti provisoirement au pouvoir. Elle n’a pas de conviction politique, et s’en fait une gloire, mais ce sont des girouettes qui se targuent d’orienter le vent.
A la différence des politiciens du Centre, qui se disent ni de droite, ni de gauche, la classe des commis de l’État, s’est toujours voulue, au dessus… donc apte à prendre le meilleur et de la droite, et de la gauche. Ce sont eux qui, avant Macron, incarnaient le « en même temps ». Grands prêtres de la religion du Service public, iIs détiennent, depuis un demi siècle, et bien plus que les élus, la réalité de fait du pouvoir politique.
Forts de leur position de permanents de la République, maîtres de la confection des dossiers, ils se pensent gardiens de l’intérêt collectif et à l’abri de leurs carrières protégées, ils ont développé un ensemble d’idées reçues, authentiques vérité alternative, que l’on peut qualifier de trumpiste avant Trump. Par un discours insidieux, ils ont déconsidéré les élus, réputés (par leurs soins, et ceux de leurs hiérodules) « tous pourris ». Ce sont eux qui ont fait faire des politiques de gauche à la droite et de droite à la gauche, dans l’intérêt de l’Etat, confondu avec l’Administration, c’est-à-dire, dans leur propre intérêt. Ce sont eux qui ont dénaturé la démocratie en vidant le vote de son efficacité et, pire encore, de sa sacralité.
Leur domination s’est étendue sur l’économie par le « pantouflage » et « l’essaimage ». Ces méthodes officiellement assumées par l’Ecole Nationale d’Administration leur ont permis de s’emparer des postes de commandement dans les grandes entreprises publiques ou privées et dans les médias. Une conquête sans grande difficulté, eu égard à la place prépondérante de l’État dans tous les aspects de la vie des Français, mais stratégique car elle permet d’imprégner les esprits en contrôlant la communication. L’ARCOM, ex Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, est l’un des organes par lesquels la haute fonction publique assure son pouvoir de bien pensance.
L’avénement d’Emmanuel Macron a constitué l’apogée de l’élite d’Etat, et consacré la défaite des partis traditionnels. Hélas, pour la France, au lieu de délivrer le meilleur du meilleur, leur arrivée sur le devant de la scène n’a fait que révéler leurs insuffisances et leur échec dans presque tous les domaines.
Edouard Philippe, l’homme qui a mis dans la rue les gilets jaunes, issu de la même barrique de bêtes à concours sans conviction que Wauquiez, qui sont bons en tout mais propres à rien, devrait lui aussi rencontrer la logique de ce mouvement de rejet d’une classe méritante qui a démérité.
Version bien de chez nous de la crise des élites, la méritocratie du diplôme, composée de hiérarques ambidextres, est en panne. On en connaît les raisons.
Sans modération, la caste des « meilleurs » a augmenté le nombre de fonctionnaires, une piétaille dont l’utilité n’était pas démontrée, mais qui protégeait l’intangibilité du Statut de la fonction publique. Après avoir fait les poches des Français riches ou réputés tels, et multiplié les impôts au détriment de tous les autres, ils ont endetté l’Etat dans des proportions telles que Lionnel Jospin devait avouer « l’Etat ne peut pas tout », puis François Fillon qu’il était « à la tête d’un Etat en faillite », et enfin, sous Macron, que totalement impécunieux, il ne peut plus rien.
Le surnombre entraînant la mauvaise gestion, et celle-ci la dégradation des services publics, la pensée correcte autorisée par les énarques, par nature infaillibles, a contourné le problème en attribuant cet effondrement au manque de personnel. Les services publics sont « à l’os », la formule choc imaginée par la haute Administration pour expliquer ses carences est audacieuse quand on sait que la France est sans rivale dans le volume des prélèvements obligatoires et celui de la dépense publique. Ainsi, s’est enclenchée la machine infernale qui conduira inéluctablement l’Etat à la cessation des payements.
Il y a deux raisons à l’échec de l’élite d’Etat à la française. La première tient à une formation déficiente, imperméable au monde moderne, au nom de l’exception française. L’autre réside dans un système d’irresponsabilité protégeant un entre-soi corporatiste délétère, générateur d’incompétence.
Nos têtes d’œuf, du haut de leur supériorité arrogante, ont longtemps professé que, par le volontarisme (entendre : la seule force de leur volonté), ils pouvaient plier la réalité à leurs vues. Ceux qui ont appris a avoir toujours raison, ne pouvant en aucun cas se tromper, ils ont pratiqué le déni du réel comme Monsieur Jourdain faisait de la prose.
Les Français savaient que leur Administration était loin d’être la meilleure du monde, celle que la planète entière était censée nous envier, ils en constataient chaque jour les manquements et les abus, ils dénonçaient l’absurdité bureaucratique, mais ils considéraient que cela était un état de fait auquel nul ne pouvait rien.
Si elle a échoué dans sa mission de gestionnaire, l’élite d’Etat est néanmoins parvenue, prétextant la défense de l’Etat de droit, à saborder la démocratie dans son fondement légitime qu’est l’élection. Ils ont ainsi organisé la destruction des partis de gouvernement, au profit de mouvements extrémistes. Ils ont porté Macron, l’un des leurs, au pouvoir. Cependant ce qui devait être une apothéose, s’est révélé pour eux aussi un fiasco total.
Au jour du Jugement Dernier Emmanuel Macron pourra, en effet, invoquer pour son salut :
« J’ai désigné les vrais responsables du mal français, même si c’étaient mes pairs et d’ailleurs ils me l’ont fait payer cher. J’ai supprimé les Grands Corps, en tout cas ceux qui pouvaient l’être n’étant pas inscrits dans la Constitution. J’ai ainsi ouvert les carrières et donc introduit une forme de responsabilité dans l’Etat. J’ai cautérisé l’ENA, cette machine à décérébrer, comme disait Fabius, qui s’y connaissait.
« J’ai aussi fait modifier, avec l’aide de Dupond-Moretti le serment des magistrats qui est passé, le 22 novembre 2023, de : Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. Light ! N’est-ce pas ?
À Je jure de remplir mes fonctions avec indépendance, impartialité et humanité, de me comporter en tout comme un magistrat digne, intègre et loyal et de respecter le secret professionnel et celui des délibérations ».
« Impartialité… j’en connais qui au syndicat de la Magistrature vont se demander s’ils ne risquent pas des poursuites pour parjure ! », pourra plaider Macron.
Mais quelle mouche l’a piqué ? Telle est la question que l’on se pose discrètement dans les rangs de la haute Administration et encore plus en secret chez les Magistrats syndiqués. La réponse est pourtant très évidente. Le titre du livre publié par le futur Président en 2016 était Révolution. Et ces mesures peu médiatisées sont certainement les plus révolutionnaires et nécessaires qui soient. .
L’auto-citation n’est pas une saine pratique, mais on fera ici une exception. Dans Les Cinq Mille, Fortune et faillite de l’élite française, publié en 2014, puis dans La trahison des invisibles, publié en 2020, votre serviteur avec Thierry Merle avions dénoncé l’énarchie, matrice des 5000, comme responsable du naufrage français. Nous plaidions pour la suppression de l’ENA et des Grands corps, et réclamions aussi la révision du serment des magistrats pour y introduire l’obligation d’impartialité. Bien peu défendaient ces mesures. Emmanuel Macron a réalisé ce programme, qui a dû faire son chemin dans les esprits jusqu’au sien. En cela, il aura sans doute sauvé quelque chose de ses mandats, par ailleurs entachés de tant de médiocrité et mauvaises actions, dont la dernière sur la promotion de l’euthanasie n’est pas la moindre. Preuve que même un écureuil aveugle trouve parfois une noisette.
Commentaires