La farandole des stupidités
- André Touboul

- 20 nov. 2022
- 5 min de lecture

Doit-on mettre cela au débit du déréglement climatique qui surchauffe les esprits ou du grand désarroi idéologique qui sévit en ce premier quart de siècle ? Qui le dira ? Le fait est là, jamais les gouvernements des hommes n’ont inscrit autant de bizarreries au menu de l’Histoire, qui, comme le disait Mao de la révolution, n’est pas un dîner de gala.
Aucun chef étoilé n’aurait pu imaginer une farandole des desserts aussi délirante que celle des stupidités qui nous sont servies par le maître-queue du Kremlin et qui nous font déguster à défaut de l’être.
Passons sur l’invasion de l’Ukraine à laquelle on peut encore trouver l’excuse de l’aveuglement sur un hypothétique désir de Russie d’un peuple qui ne souhaitait en réalité rien plus que son indépendance, et avait gardé un mauvais souvenir de son appartenance à l’URSS.
Plus étrange est la guerre dans laquelle Poutine s’est entêté. Inutilement destructrice, accompagnée de crimes odieux et aussi impardonnables qu’inévitables quand on sait ce qu’était la force armée mise en œuvre, c’était une authentique stupidité.
De même, était stupide la prétention de vouloir retourner à un monde d’affrontement bipolaire, dont personne ne veut, car tous les peuples de la Terre ne souhaitent que la paix et l’ordre, conditions impératives du développement économique. Au demeurant, ce qui manque aujourd’hui aux nations pour se dresser les unes contre les autres est l’idéologie. Mis à part les trublions islamistes qui fanatisent quelques esprits simples, les autres pays, et particulièrement les grands, ont des divergences de pratiques politiques internes, mais pas de querelle idéologique sur une philosophie qui devrait dominer le monde. Ni la Chine, ni l’Inde, ni même la Russie qui n’est qu’un épouvantail vide depuis qu’elle a perdu l’arme fatale du marxisme léninisme et sa promesse d’un homme nouveau, aucun de ces acteurs n’est mu par des idées qui demandent que l’on meure pour elles, à seule fin de les imposer aux autres.
La cerise sur le gâteau poutinien de la sottise est sans doute l’annexion d’oblasts ukrainiens dans l’intention de les placer sous protection nucléaire, comme faisant partie désormais du territoire russe. En effet, nul ne peut sérieusement envisager que cette feinte de balayeur va interdire aux Ukrainiens de continuer à contre-attaquer et tenter de reprendre leur terre. Poutine lui-même ne le pense pas, puisqu’il décrète une mobilisation partielle de 300.000 hommes. Une autre stupidité crasse, au surplus, car les intéressés ont bien compris qu’ils ne seraient que de la chair à canon, pour boucher, tant bien que mal, les trous dans les rangs d’une armée en déroute. Ils savent aussi que c’est plus de troupes d’élite que de contingent mal formé que leur armée aurait besoin pour sortir du guêpier ukrainien.
Par ce pas de clerc, qui n’a trompé personne, le maître du Kremlin s’est lui-même placé dans la situation de démontrer la vanité de sa menace nucléaire, étant évident qu’il ne pourra l’utiliser sur le champ de bataille où ses propres troupes en seraient victimes. Quant à détruire une ville ukrainienne éloignée du front, il ne peut l’envisager, car cet acte de barbarie qui horrifierait le monde, ne garantirait aucunement la reddition de Kiev, mais justifierait que des armes à longue portée soient fournies à l’Ukraine, sans restriction d’usage.
Stupide encore est la décision de Poutine, piètre stratège, qui refuse à ses troupes prises au piège de la poche de Kherson de se replier. Le spectre de Von Paulus à Stalingrad ainsi condamné par Hitler ne l’a pas visité.
On peut tout craindre des stupides, ils osent tout. Mais Poutine n’est pas stupide, il est simplement entraîné dans une spirale infernale où chaque échec en appelle un autre. Il subit cette surenchère plus qu’il ne la désire. La preuve de cette lucidité est son avertissement proféré : je ne bluffe pas ! Cette naïveté montre qu’il est parfaitement conscient de l’énormité de ce qu’il met sur la table.
On disait il y a quelques mois qu’il ne fallait pas humilier Poutine, désormais il s’est lui-même placé dans la situation où aucune autre solution que son départ n’est possible.
Il est facile et tentant de prêcher pour la paix, mais plus délicat de dire comment l’on pourrait y parvenir.
Cesser de livrer des armes à l’Ukraine ? En réalité, mis à part les canons Cesar, certes efficaces, la France compte assez peu dans l’équipement de l’armée de Kiev. En outre, eu égard à la détermination des Ukrainiens, moins d’armes ne signifierait pas la fin de la guerre, mais sa prolongation. Du Viêt Nam à l’Afghanistan en passant par l’Algérie, l’histoire récente montre qu’une force d’occupation est toujours perdante sinon sur le terrain, en tout cas politiquement. On pourrait objecter que les Ukrainiens sont trop occidentalisés pour avoir la volonté de se défendre, leur attitude héroïque montre jusqu’ici le contraire. Ils n’ont fait preuve d’aucune mollesse.
Lever les sanctions économiques ? Une telle décision nous couperait des États Unis et de plusieurs pays d’Europe, infiniment plus importants pour l’économie française que la Russie. De fait, le découplage de l’Union Européenne d’avec la Russie est en cours et irreversible. C’est en Allemagne qu’il a lieu, dans la douleur, mais inexorablement.
En vérité, la France seule n’a pas le choix. Elle n’a pas voulu cette guerre, elle ne peut qu’en subir les conséquences. Il est de la responsabilité de nos dirigeants de ne pas les aggraver inutilement.
Nul ne va jusqu’à proposer pour abréger la guerre de prêter la main à la Russie contre l’Ukraine, la vilenie a des limites. Mais quand il y a un agresseur et une victime d’agression ne rien faire est déjà aider le premier. Sans s’en prendre militairement à la Russie, on peut et l’on doit aider la victime.
Le plus indigeste du menu est certainement la bombe glacée qui est servie et resservie périodiquement par le maître d'hotel du Kremlin, et, ressassée par les médias, est censée obséder les opinions occidentales. Le risque de grande conflagration nucléaire à l’initiative de la Russie, est une spécialité au champignon dans la farandole des stupidités. Pour mémoire, Hiroshima c’était 20 Kilotonnes, la plus puissante des bombes française est aujourd’hui de 15.000 Kilotonnes, la Tsar bomb russe délivre 64.000 kilotonnes. En 2009 les Etats-Unis possédaient un arsenal d’une puissance totale estimée à 1.800.000 kilotonnes.
A cet égard, la rationalité montre que s’il n’est pas absurde de craindre une guerre atomique, il n’est pas raisonnable de se déterminer en fonction de celle-ci. Soit Poutine est assez dément pour déclencher l’apocalypse pour rester au pouvoir, et il le fera fatalement un jour, à propos de l’Ukraine ou pour un autre motif, sauf à mourrir en fonctions ; entre-temps, rien ne l’arrêtera dans sa politique de conquête ; donc Poutine porte en lui la menace et seule son éviction pourra la conjurer. Soit Poutine est assez sensé pour savoir que le nucléaire est une arme qui n’est efficace qu’à condition de ne pas s’en servir. Il sait que l’arme atomique est purement défensive. Elle n’est pas celle du conquérant, dès lors qu’elle n’est pas exclusivement détenue par lui. Cela explique le discours de Poutine qui prétend que la Russie est menacée par l’OTAN, mais c’est d’une menace théorique qu’il s’agit, non réelle. C’est pourquoi il y répond par de la réthorique.
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