La faute du petit Nicolas
- André Touboul

- 22 mai 2023
- 6 min de lecture

On pense ce que l’on veut de Nicolas Sarkozy, sa condamnation à trois ans de prison dont un ferme, à exécuter bracelet à la cheville, pour corruption d’un magistrat à la Cour de Cassation est pour un juriste une décision bizarre.
Les faits sont simples, l’ancien Président poursuivi dans une affaire dite Bettencourt, souhaitait apprendre la tendance de la Cour de Cassation qui devait se prononcer sur le dossier en confirmant ou non la saisie de ses agendas. Il en parle à son Avocat habituel qui le défend dans cette affaire, Me Herzog. Celui-ci lui indique qu’il pourrait sonder le terrain par un magistrat de cette juridiction, non chargé du jugement, mais pouvant s’informer. Cet homme est M. Azibert, qui, dit Me Herzog, rêve d’être nommé à Monaco.
Dans cette conversation, M. Sarkozy déclare à son avocat qu’il peut en parler à qui de droit.
Voilà toute l’affaire, car cela n’ira pas plus loin. Ni candidature de l’intéressé, ni démarche du Président Sarkozy. Aucun renseignement fourni par M. Azibert, aucune intervention de Nicolas Sarkozy, qui est in fine blanchi par l’arrêt de la Cour.
Le Tribunal correctionnel, puis la Cour d’appel sont entrés en voie de condamnation contre le trio, pour infraction à l’article 433-1 du Code pénal.
Ce texte réprime le fait de « proposer sans droit » un avantage quelconque à une personne d’accomplir ou s’abstenir d’un acte de sa fonction ou facilité par celle-ci.
Contrairement à ce que des journalistes pourtant sérieux, comme Jean-Marie Colombani, peu suspects d’être des soutiens de Sarkozy, la condamnation intervenue ne vise pas « une intention », mais un fait « la proposition ».
Une simple proposition suffit à caractériser le délit. C’est ce que les juges ont retenu. Leurs décisions de première instance et d’appel sont cependant contestables.
Littéralement d’abord. Un ancien Président de la République a-t-il le droit d’appuyer une candidature ? Il est évident que oui. A-t-il le droit de la proposer à l’intéressé ? Pourquoi pas.
Celui-ci avait-il droit à postuler ? Cela n’est pas contesté.
On objectera que le texte est mal rédigé et que la mention « sans droit » signifie autre chose (?) que ce qu’en Français elle veut dire. Mais le droit pénal s’interprète de manière restrictive.
En outre, en l’espèce, il ne s’agissait pas d’évidence d’un acte de la fonction de M. Azibert. La question se pose de savoir s’il s’agissait d’un acte facilité par sa fonction.
On peut douter que fait d’être un collègue des magistrats chargés de juger l’affaire soit déterminant, à moins que l’on considère que les relations d’amitié entre magistrats soient consubstantiels à leurs fonctions. En effet, on ne voit pas pourquoi des juges feraient des confidences à l’un de leur collègues. Il est donc évident que si M. Azibert pouvait obtenir des informations, cela tenait à ses relations personnelles et non fonctionnelles. Or le texte précise que l’acte doit être facilité par la fonction.
Le second point qui interroge est la nature de l’acte sollicité visé par le texte répressif. Le fait d’intervenir ou tenter d’intervenir sur la décision serait clairement un délit, il en va différemment du fait de « prendre la température ». L’incidence d’un tel acte n’a en principe aucun effet, et le droit pénal sanctionne des agissements à raison de leur toxicité sociale. La curiosité est, dit-on, un vilain défaut, mais pas un délit.
Dans les recours en Cassation que Nicolas Sarkozy, son avocat et M. Azibert ont formés, la Cour suprême aura aussi à se prononcer sur la question des écoutes. Elle a déjà rejeté l’argument qui était invoqué pour annuler la procédure. Néanmoins, il n’est pas exclu qu’elle revienne sur cette décision. En effet, les écoutes de Nicolas Sarkozy et son avocat étaient effectuées dans une autre affaire, elles contreviennent de manière flagrante au droit fondamental de tout justiciable de s’entretenir confidentiellement avec son défenseur. Pour rejeter une première fois le recours la Cour de Cassation a observé que les écoutes « révélaient des indices de sa (Me Herzog) participation à des faits susceptibles de qualification pénale ». Cette motivation est absurde, en effet, elle conduit à permettre toutes les écoutes en éliminant uniquement celles qui ne révèlent rien. C’est là, la suppression pure et simple du droit à la confidentialité.
La lutte contre les crimes et délits justifie bien des libertés que prennent les juges avec les règles de droit en les appréciant par ce que l’on appelle la jurisprudence. On admet que les avocats sortent de leur rôle quand ils prêtent assistance à la commission d’une infraction. Mais il faut pour procéder à une écoute justifier d’un motif suffisant pour suspecter une telle situation.
En l’espèce, c’est lors d’une écoute « à tout hasard », pratique que l’on appelle « filet dérivant », que les « faits » ont été révélés. La question qui se pose, et sans doute la plus importante de toute l’affaire est celle de la nature même de la Justice. Les magistrats sont-ils tenus de respecter les libertés constitutionnelles, ou en vue de l’efficacité, sont-ils autorisés à s’en affranchir ?
Dans un Etat de droit, la loi protège l’individu, et en particulier le droit de communiquer avec son avocat, en privé.
La question de la pratique du « filet dérivant », si elle avait été instituée par une loi aurait dû être soumise à la censure du Conseil Constitutionnel qui aurait dû l’annuler comme contraire à la Constitution. Il serait bien venu de la part des avocats des trois condamnés de soulever devant la Cour de Cassation cette Question Préalable de Constitutionnalité. (QPC).
Cette initiative aurait au moins l’avantage d’extraire du petit monde judiciaire un dossier qui y est pollué par plusieurs considérations.
Bien entendu, il y a l’image de Nicolas Sarkozy, poursuivi de tous côtés, et ses déclarations sur le conformisme des juges. Les fameux « petits pois » que l’on se plait à rappeler, et dont on comprend mal comment cela pourrait justifier une telle haine.
En vérité, il y a bien plus grave. Les décisions sur les affaires Sarkozy, interviennent dans une situation politique où l’ancien Président est venu à la rescousse d’Emmanuel Macron pour rallier à lui les LR, une action politiquement stratégique qui a au moins l’avantage de les diviser.
Or, le Président Macron est dans les plus mauvais termes avec l’ensemble de la magistrature. La nomination d’Eric Dupond-Moretti a provoqué un séisme dans ce milieu. Les syndicats de juges, toutes tendances confondues, ont déposé des plaintes pénales contre le Garde des Sceaux, une grande première. Affront majeur, ce ministre de la Justice a remplacé la directrice de l’école de la magistrature de Bordeaux par… une avocate !
Il est clair que le petit Nicolas paie et payera encore son rapprochement avec Emmanuel Macron, tel est sa faute majeure pour les magistrats.
Au prétexte d’indépendance, les magistrats se barricadent dans une défense corporatiste qui interroge. En effet, ce que l’on demande et que l’on doit exiger des juges n’est pas l’indépendance mais l’impartialité. L’une peut et doit assurer l’autre, mais le lien n’est pas absolu. Quand les juges prennent des positions politiques par leurs syndicats, que l’on dit plus ou moins à gauche, l’indépendance n’est pas un gage d’impartialité. Bien au contraire.
Nous, citoyens, avons le droit d’exiger de ceux qui ont vocation à nous juger qu’ils soient insoupçonnables de partialité. Les dérives militantes de nombre d’entre eux permettent d’en douter.
Il est urgent que la confiance entre les justiciables et la Justice soit restaurée. Les moyens sont connus. Le premier consiste à instaurer un serment des magistrats qui intègre l’engagement d’impartialité. Ce n’est aujourd’hui pas le cas. Robert Badinter a eu le courage de reformuler le serment des avocats, en faisant une déclaration exemplaire : « Je jure, comme Avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité". A la différence des avocats, le juge doit, en outre et surtout, d’être impartial.
Aujourd’hui, les magistrats se contentent de la formule suivante : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat » (article 6 du statut de la magistrature).
On dira que d’autres règles déontologiques existent, mais le serment a une importance majeure. L’engagement solennel d’impartialité conduirait les syndicats de magistrats à revoir leurs statuts pour les rendre conforme à cet impératif.
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