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La liberté est un gaz inflammable



La liberté a les propriétés d’un gaz ; elle occupe tout l’espace disponible, et comprimée à outrance elle devient explosive à la moindre étincelle. Elle est, en revanche, quand ses molécules sont au plus large, bien difficile à enflammer. Il importe donc pour les gouvernants d’éviter de restreindre les libertés s’ils veulent éviter les explosions dévastatrices. Ils font cependant tout l’inverse. La plupart de ceux qui exercent le pouvoir sont convaincus que celui-ci s’userait s’ils ne s’en servaient pas, et ne cessent d’œuvrer à la contrainte, alors qu’ils devraient s’employer à la liberté.



Prenons deux exemples qui montrent que la liberté se venge toujours d’avoir été malmenée.


Un pas des clercs.


Le Conseil d’Etat récidive. Excipant du pouvoir délirant de formuler des injonctions tant à l’Etat, qu’aux Autorités indépendantes, faculté qu’il s’est arrogée sans que nul ne songe à protester, il vient de donner des instructions à l’Arcom, gendarme de l’audiovisuel pour réaliser sa mission de contrôle de la pluralité de l’information.


L’indépendance de ladite Autorité en prend un coup, mais l’on peut admettre que l’Etat soit fondé à fixer les règles de son fonctionnement. Ce qui pose problème est que le Conseil d’Etat s’introduit dans la méthode que l’Arcom doit adopter pour réaliser sa tâche. Autant dire que pour la juridiction administrative, l’autorité en cause n’est que son exécutant.


On peut s’interroger sur la portée de cette immixtion, si l’Arcom ne s’y plie pas. Le Conseil d’Etat va-t-il la dissoudre, la suspendre ?


Mais tout ceci n’est rien, c’est sur le fond que le Conseil d’Etat déraisonne. En enjoignant à l’Arcom de lui présenter un contrôle de la pluralité d’une chaîne de télévision, en l’espèce CNews, il outrepasse la loi qu’il invoque et s’aventure sur un terrain extrêmement périlleux.


La loi comportant obligation de pluralisme pour les chaînes audiovisuelles bénéficiant de l’attribution d’un canal, fut portée par un certain Philippe de Villiers, et prévoyait que l’on devait décompter les temps de parole des « personnalités politiques ».  A cette fin, les opérateurs pouvaient se référer à l’appartenance aux partis politiques des élus invités à s’exprimer sur les ondes et les plateaux.


L’évolution du format des émissions qui font intervenir de nombreux experts, sachants, éditorialistes, simples personnes de la vie civile, rend la mission de peser au trébuchet les appartenances politiques très aléatoire. C’est néanmoins ce que les « sages » du Palais Royal exigent.


Doit-on pour complaire au Conseil d’Etat, veiller à ce que, pour équilibrer les opinions opposées, le temps de parole accordé aux musulmans soit égal à celui des juifs ? Et pour cela, doit-on examiner les  états civils de ceux qui seraient l’un ou l’autre à moitié. Cette méthode était celle utilisée par les Nazis pour décider qui devait aller en chambre à gaz ou pas. Doit-on demander à chacun sa profession de foi avant de la laisser s’exprimer ? Doit-on s’en remettre à un arbitre des élégances qui aurait autorité pour classer les gens, les étiqueter et dresser des listes ? La police de la pensée est en route, nul ne saura l’arrêter.


Ce n’est sans doute pas ce que souhaitent les membres du Conseil d’Etat qui ont rendu cette décision malvenue, mais habitués à ratiociner dans des domaines dont ils n’ont pas la moindre idée des conditions de terrain, ils s’en sont tenus à une apparence de rationalité, qui dans la pratique se révèle très périlleuse.


Les listes imprudemment dressées par les autorités pourront être utilisées par un Gouvernement moins respectueux des opinions des uns et des autres. Cette pratique n’est-elle pas contraire à la liberté de changer d’idées, ou de ne pas en afficher ? Et que devrait dire le Conseil Constitutionnel sur le fichage des citoyens ?


A mesure que la droite dure se rapproche du pouvoir, les tenants de la gauche tentent de lui faire barrage en lui imposant le silence et autres restrictions. Evidement, ces mesures sont contreproductives, elles n’éviteront rien, mais elles seront des armes redoutables quand le pouvoir changera de mains. Le nombre de ministres auteurs de lois sévères qui en ont eux-mêmes fait les frais devrait donner à réfléchir. La liberté que l’on malmène se venge toujours, tôt ou tard.


Le principe de pluralisme est antagoniste avec celui de la ligne éditoriale. Il ne devrait avoir cours de manière stricte que pour l’audiovisuel public dont la neutralité politique devrait être un impératif catégorique. D’évidence, le service public est en la matière notoirement et totalement partisan. France Info, France Inter, France Culture sont des organes de diffusion des idées de gauche, c’est ainsi même si les journalistes y prétendent se parer des plumes de l’objectivité. Le public le sait, il s’en accommode, mais n’est pas dupe. La prépondérance de la ligne éditoriale dans les médias privés devrait permettre de savoir ce que l’on écoute et voit sans que l’on oblige les rédactions à des contorsions peu honnêtes. Mais là encore, le citoyen ne s’y trompe pas, il sait à qui et à quoi il a affaire. La contradiction est utilisée comme une manière d’animer le débat, elle n’est pas une fin en soit, et ne peut l’être, sauf à ce que tous les médias soient identiques.


À l’heure où les informations circulent sans filtre journalistique dans les réseaux sociaux, c’est porter un mauvais coup à l’audiovisuel classique que de lui enjoindre de se conformer à une ligne de politiquement correct, dont l’ennui qu’elle suscite est la principale vertu.


On qualifie de « sages » les énarques qui peuplent les couloirs du Conseil d’Etat, mais de plus en plus cet adjectif est employé de manière ironique.


L’Etat de droit, n’appartient pas aux juges, ils en sont les serviteurs, et à chaque fois qu’ils s’en croient les maîtres, ils l’affaiblissent, croyant le renforcer.




Disproportion


Un assassinat parmi tant d’autres, mais celui de Navalny est un attentat direct contre la liberté puisqu’il est commis sur la personne d’un détenu.


Navalny n’était rien, sa mort dans la geôle où l’a jeté Poutine pour « extrémisme » devait être quantité négligeable. Cependant, cela pourrait bien être le crime de trop. Comparé aux centaines de milliers de Russes que Poutine a envoyé à la mort par son entêtement en Ukraine, et aux assassinats de quantifié de personnalités gênantes, la mort d’un seul homme parait dérisoire.


Cependant, Navalny n’était pas n’importe qui. Il avait forcé l’admiration de l’opinion publique mondiale en retournant volontairement en Russie après avoir échappé à une tentative d’assassinat par empoisonnement. L’homme avait toute la force tranquille d’un martyr. On sait que cette trempe d’être humains, depuis les premiers chrétiens, jusqu’au marchand de légumes tunisien s’immolant par le feu comme le firent des bonzes pendant la guerre du Viêt Nam, provoquent souvent des mouvements d’émotion qui parfois ont d’immenses répercussions.


Il est douteux que la liquidation de Navalny par Poutine ait, en Russie, un impact propre à déstabiliser le régime pourtant moins solide qu’on le dit puisqu’il s’inquiète du moindre détail,  jusqu’à éliminer un détenu isolé dans une colonie pénitentiaire du fin fond de l’Arctique. Il est vrai que les tyrans  sont des individus paranoïaques, et la rationalité n’est pas leur qualité première. Ils sont les premiers artisans de leur propre perte. Il reste que Poutine est solidement agrippé à un pouvoir qu’il veut absolu et exerce sans partage.


Mais ce grain de sable à Moscou parait être une montagne en Occident où l’impact de l’exécution sans jugement de Navalny, pourrait s’avérer de première importance. Non que l’opposant russe y soit apprécié comme une grand démocrate, mais son statut d’homme courageux, déterminé à mourrir pour le salut de sa patrie en a fait une icône de martyr. Et par conséquent, Poutine son tortionnaire effraye le bon peuple des Etats démocratiques qui jusque là rechignaient à prendre la mesure du danger.


Cette anxiété était ce que les gouvernants attendaient pour présenter des mesures dont les populations occidentales ne voyaient pas la nécessité.


Désormais, le maitre du Kremlin apparait aux yeux de tous pour ce qu’il est : un assassin fébrile. Cette image est d’autant plus forte et nette que le cas Navalny est d’une simplicité indiscutable. Un opposant qui meurt en prison est un certificat de tyrannie. Une marque indélébile qui flétrit la superbe que Poutine s’efforce d’afficher.


L’indigne successeur copycat  de Staline peut déchaîner ses usines de trolls, déverser des flots de fake news sur l’Occident, il restera l’abject bourreau d’un martyr. Navalny n’était rien, ou presque. Sa mort pourrait avoir des conséquences majeures. Cette disproportion est le signe de notre époque déréglée où règne l’émotion, Mais elle montre aussi que la liberté malmenée se venge toujours de ceux qui la violentent.





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