La logique du guichet, hors de contrôle, avec en face celle de la grève générale
- André Touboul

- 20 juil.
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Trop petit mon ami ! Ce titre de roman de James Hadley Chase semble avoir été pensé pour François Bayrou.
Certes, le Premier ministre a clairement, et avec émotion, décrit la situation catastrophique des finances publiques ; il a même esquissé de timides critiques de l’’organisation de l’État en évoquant la multiplication de ces Agences dont on ne connaît même pas le nombre et qui ont une nécessité qui reste à prouver.
Mais l’examen de conscience en est resté là. De l’organisation de l’Etat, il n’a pas été question. Sans doute, l’annonce d’un plan de non remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur trois sous-entend que l’on devra faire des choix entre les opérationnels de terrain (dont on manque) et les administratifs de bureau (en surnombre). Toutefois, le diagnostic n’a pas été posé.
François Bayrou n’a pas prononcé les mots fatidiques de « Statut de la Fonction publique », ni de « justification des missions ». Même quand le Premier ministre ose dire que le pronostic vital est engagé, ces mots tabous ne lui sortent pas de la bouche. Pourtant, c’est là le cœur du réacteur nucléaire qui est à l’origine du Tchernobyl financier qui nous menace.
Avec un ensemble touchant de gamins pris les doigts dans la confiture, les partis politiques et les médias s’écrient tantôt : c’est pas juste ! Et tantôt : quel choc !
On connait la chanson. La justice, en matière économique et fiscale, c’est quand les autres travaillent, cotisent et payent des impôts… surtout pas nous.
Roulez tambours ! Les remèdes avancés par le Premier ministre comme des coups de tonnerre sont en vérité minuscules, autant vouloir soigner de la gangrène avec de l’acuponcture. Supprimer deux jours fériés ? La belle affaire. Une année blanche ? Soit. Et que fera-t-on l’an prochain ?
Les remèdes du docteur Bayrou font penser à un autre titre de Série noire, celui du recueil de nouvelles de Peter Cheyney cette fois : Minute papillon ! On l’a, en effet, vu voleter d’un sujet à l’autre pour passer la sébile. A votre bon cœur !
Ceux qui ont connu le temps où l’Etat pouvait tout, et qui, avec les dividendes de la Pax americana, vivaient dans la certitude que les bonnes décisions seraient prises par des gens sélectionnés parmi les plus compétents, ont désormais le sentiment que nos gouvernants font et feront toujours les mauvais choix. Soit ils ne font rien, soit trop peu et trop tard, quand ce n’est pas contre tout bon sens C’est ainsi que l’on perd les batailles, et, à force d’en perdre, ce sont les guerres qui sont perdues. Le mot que l’on entend à propos des finances de l’État est : hors de contrôle. La mécanique infernale est en route, impossible à arrêter.
Ainsi vient la tentation du dégagisme.
Macron a pointé la responsabilité de la haute fonction publique dans le déclin français, mais n’a pas su proposer une élite de substitution. Bayrou dénonce la gabegie d’argent public, mais il est impuissant à imaginer et surtout à articuler le moyen d’y mettre fin.
C’est toujours un Himalaya pour les politiques que d’annoncer à la population qu’elle vit au dessus de ses moyens. Mais il est impossible de se faire entendre quand l’on ne fait rien pour mettre fin aux goinfreries de ceux qui vivent du système.
Il y a pour cela la bonne et la mauvaise méthode. La mauvaise est celle de l’italien Matteo Renzi, qui déclarait « jouissif » pour lui de supprimer les voitures de fonction de l’Administration ; ce type d’économie ne rapporta rien, car les bénéficiaires de prébendes restèrent en place, habiles à tirer parti des complexités de l’Etat.
La bonne pratique est celle de Javier Milei , en Argentine, qui a fait de la tronçonneuse son outil favori pour lutter contre les dépenses inutiles, et pour cela, il n’a pas hésité à élaguer les dépensiers eux-mêmes. Sa méthode a été remarquablement efficace.
Sachant qu’il aurait à faire supporter les conséquences des hausses de tarifs douaniers aux Américains, Trump a commencé par s’en prendre aux « improductifs » de l’Administration fédérale. Tel était l’objet du DOGE. Cette politique a scandalisé les bons esprits, surtout en France, où l’on a pourtant le même problème de dette publique.
Inverser le cours d’un fleuve qui mène la France à la falaise, n’est pas seulement une question de train de vie des Français, mais tient à un système prodigue qui conduit à de la redistribution d’une production non produite.
Ce ne sont pas tant les Français qui réclament des allocations, que le système bureaucratique dont le rôle est de distribuer, et qui ne peut s’arrêter sans rendre patente son inutilité.
L’exemple de « MaPrimeRénov », soit-disant suspendue pour fraudes, en est l’illustration. Les propriétaires de maisons individuelles sont depuis des mois relancés au téléphone pour en faire la demande, plusieurs fois par jour, et sans désemparer malgré les refus des supposés intéressés. Le signataire de ces lignes a ainsi reçu plusieurs dizaines d’appels, sous de multiples numéros impossibles à bloquer. Quand l’intelligence artificielle est en marche, nul ne peut l’arrêter. Le plus fort de café aura été de recevoir un appel pendant l’allocution du Premier ministre qui prônait des économies tous azimuts.
Bien entendu, chaque subvention crée un système de parasites qui en vivent, mais le problème est que pour une production utile limitée, il faut entretenir une armée de fonctionnaires dont le coût ne peut plus être assumé par les finances de l’Etat.
Chapeau bas à Kak qui, encore une fois clairvoyant, présente François Bayrou en nouveau membre d’une assemblée d’AA, soeur jumelle de celle des Alcooliques Anonymes, les Accros à l’Argent public.
Il ne s’agit pas, ici, de jeter l’opprobre sur les Fonctionnaires, qui accomplissent de leur mieux les tâches qu’on leur confie, ils n’en sont pas responsables. Il faut dénoncer ceux qui organisent un système qui recrute des agents publics, les prenant en charge à vie, et leur fixent comme travail de jeter l’argent public par les fenêtres.
Derrière ce phénomène qui conduit à un Etat boule de neige toujours en manque de manches de lustrine et ronds-de-cuir, se cache une idéologie, celle de la lutte contre les inégalités. Certes, il est nécessaire que l’Etat corrige les dysfonctionnements du libre jeu des marchés, mais la redistribution, érigée en idéal social, devient un mécanisme diabolique. Plus on redistribue, moins il y en a à redistribuer, et cette pénurie augmente la demande de redistribution. Telle est la logique du guichet. Un tonneau percé que les Danaïdes cessent de remplir.
Il ne faut pas tirer sur le pianiste Bayrou, pourrait nous dire Oscar Wilde, mais s’il est vrai que celui-ci fait de son mieux, ce vieux routard de la politique n’est pas pour rien dans la toxicité d’un système devenu fou. Peut-on oublier que c’est lui qui a favorisé la venue au pouvoir de Macron, l’homme au mille millards de dette supplémentaire et au « quoi qu’il nous en coûte » ?
Que le mal Français soit le Statut de la fonction publique, peu de dirigeants l’ignorent ; toutefois, c’est l’éléphant dans la pièce dont personne ne veut parler, car tous sont persuadés que l’évoquer déclencherait la grève générale dont on ne sortirait que par un changement de République.
André Président !