La métamorphose
- André Touboul

- 9 juil. 2022
- 3 min de lecture

Quand Emmanuel Macron disqualifie les extrêmes qu’il désigne comme partis de non-gouvernement et que néanmoins il charge Elisabeth Borne d’explorer les possibilités d’élargissement autour de sa politique, celle-ci convoque les NUPES et le RN, préalablement à la recomposition de son gouvernement. On peut se demander si la Première Ministre aurait mal compris les instructions présidentielles.
Pour sa défense, Elisabeth Borne pourrait arguer qu’elle ne fait que réitérer ce que le chef de l’Etat fit de même quelques jours auparavant. Mais, justement, à quoi servait ce second tour de consultations, les oppositions ne pouvant que se répéter et n’ayant aucune raison de se contredire.
Il eut été plus conforme aux institutions que ce soit Matignon qui dès le début tente de réunir une majorité puisque c’est en principe le Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation », ainsi qu’en dispose l’article 20 de la Constitution, alors que le Président, selon l’article 5, « veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État ».
En parlant de son programme, au demeurant bien flou et vague, bien qu’il le qualifie de clair, Emmanuel Macron a acté une dérive institutionnelle qui a progressivement fait passer de la Vème à la VIème République, puisqu'elle consacre un changement dans l'équilibre des pouvoirs.
Le Président n’est plus le Président de tous les Français, il n’est plus l’arbitre que prévoit la Constitution. Il est désormais un super Premier Ministre. Par une inversion logique, on a souvent suggéré que le Premier Ministre serait devenu inutile et devrait être supprimé. Dans la mesure où, dans la Constitution, le Président n’est pas responsable devant l'Assemblée qu'il peut dissoudre, la suppression du Premier Ministre permettrait au Président de venir en personne devant les députés, ce qui lui est actuellement interdit sauf dans des conditions très strictes. Cet encadrement, qui prévoit la présence des sénateurs dans une réunion en Congrès, est destiné à protéger les députés qui, au Palais Bourbon, n'ont en face d'eux qu'un Premier Ministre ne disposant pas de la menace de la dissolution. La dissolution entre les mains du Président-arbitre, ne doit pas être, dans l'esprit de la Constitution, un moyen de pression sur la représentation nationale, mais une solution de débloquer une situation. Or, le Président n'étant plus arbitre, la finalité de ce pouvoir est dénaturée. Cela est si vrai que certains n'ont pas manqué de déclarer obsolète l'interdiction faite au Président de se présenter devant l'Assemblée.
Sans en prendre conscience, les médias ont entériné le fait que le Président devait avoir un programme. Cette évolution a paru d’autant plus naturelle que dans le raccourcissement du quinquennat et dans le calendrier électoral, d’une part le mandat présidentiel n’est plus inscrit dans une durée longue, et d’autre part le couplage avec les législatives devrait assurer une identité de choix du corps électoral.
Il s’agit d’un changement de régime dont les Français ont en 2022 rejeté le déséquilibre. Qu’il le veuille ou non, Emmanuel Macron, privé de majorité absolue, sera contraint de redevenir un arbitre, et devra restituer ses responsabilités au Premier Ministre qui lui-même tient sa capacité d’action de l’Assemblée Nationale.
Pour se retirer sur l’Aventin, c’est-à-dire se tenir à l’écart du débat politique, le Président devra violenter sa nature bouillante, il devra mûrir, prendre du recul, de la hauteur… bref se comporter en Chef d’Etat et non en chef de bande. Les Français qui l’on reconduit semblent prêts à le voir opérer cette mutation, et même la souhaiter.
Cette métamorphose obligerait Emmanuel Macron à cesser ses simagrées de complaisance aux modes wokistes pour retrouver les fondamentaux d’une culture générale dont les Français ont la nostalgie. Il en a goûté le lait et le miel dans sa formation, auprès de Paul Ricœur, notamment. Le temps est venu pour lui de revenir à ce discours de haute tenue que les médias jugeaient incompréhensible, mais qui avait du fond et de la forme. Sans doute devrait-il rappeler sa plume d’alors, Sylvain Faure.
Ce serait une métamorphose inverse à celle imaginée par Kafka, non pas en insecte monstrueux, mais en sage protecteur des valeurs éternelles de la France.
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