La peur des mots, le mensonge des photos sont les deux mamelles de la colère du peuple
- André Touboul

- 28 nov. 2020
- 6 min de lecture

Nous vivons au siècle de l’image. "Un petit dessin vaut mieux qu’un long discours", disait Confucius. Le verbe est pourtant à l’origine de tout. L’humanité commence par la parole. « Au commencement était le verbe », dit le Prologue de l’Evangile de Jean. Pour protéger l’écrit, qui seul est sacré, les Juifs prohibent les images dans les lieux de culte, et les Musulmans se limitent à des motifs géométriques. On peut trouver des exceptions à cette règle, mais l‘aniconisme est majoritaire chez ces enfants d’Abraham.
En total contraste avec eux, le monde chrétien magnifie l’image dans tous les domaines et en particulier le religieux. Ce combat entre l’image et l’écrit a été perdu par le verbe. Cette déroute de la communication est résumée dans le fameux "Bras d’honneur de Gutenberg" au publicitaire Mc Luhan.
Loin d’être un progrès ce mouvement est une régression, car il consacre la suprématie de l’émotion sur la raison. A l’image, en effet, fait écho le sentiment, le cerveau reptilien, le binôme attirance /répulsion, alors que les mots introduisent des idées et des réflexions.
Pourtant nous nous défions de ces signes écrits ou prononcés qui sont nos amis, car ils peuvent trahir.
Avec quelque raison, les « langages » employés par ceux qui nous gouvernent et qui sont repris servilement par les médias, n’ont pas pour but de désigner les faits, mais de les travestir, de rendre l’inacceptable banal. On appelle cela langue de bois. Mais cet habillage n’est pas toujours efficace.
Quand la loi sur le « séparatisme » annoncée par le Président devient la loi pour « conforter les principes républicains », on peut s’interroger. Bien entendu, on dira que c’est pour y intégrer des dispositions complémentaires comme celle qui réprime la mise en danger de la vie d’autrui par la divulgation d’informations personnelles. Mais le sens, au départ, clair et net du texte est perdu, et avec lui le message adressé aux factions islamistes dont la séparation des musulmans du reste de la population est l’objectif. Une fois encore, l’intention macronienne est édulcorée, voire détournée.
Lorsque l’on déclare fermer les commerces « non essentiels » en y classant les librairies, où la cohue est, on peut le déplorer, chose rare*, les mots perdent leur sens, à moins que ne ce soit les dirigeants qui déraisonnent.
Les discours sont à prendre avec circonspection. Quand le Président Macron dit qu’il luttera contre la pandémie « quoi qu’il en coûte », il faut comprendre : « quoi qu’il vous en coûte », car ce n’est pas lui, ni l’élite d’Etat qui paieront la note finale.
Nous devrions même avoir peur des mots. Certains sont des prisons. Ils enferment mieux qu’une camisole. Ils renvoient à une condition qui n’a plus rien d’humaine, dont on ne peut plus sortir et qui condamne à jamais.
Certaines circonlocutions sont des remèdes pires que le mal, car elles font naître un sourire amer ; elles dénotent une délicatesse qui pour ne pas blesser souligne une connotation péjorative. Ainsi, l’on se fourvoie en employant le mot « israélite » après une hésitation pour ne pas dire « juif ». Il en est de même quand on parle d’une personne « de couleur », pour éviter « noir »... ou que l’on emploie le verlan « beur » pour éluder « arabe », comme si ce mot était une insulte. Idem pour « feuje » à la place de « juif ».
Quand un Obama, à l’élégance de dandy, se moque, dans son livre plus alimentaire que nécessaire, des talonnettes de Sarkozy, il montre les limites du personnage qu’il s’est construit ; mais il est stupide de lui reprocher un pseudo racisme pour avoir indiqué que l’ancien Président français était « moitié hongrois et un quart juif ». Il n’y a là rien d’insultant, ni de dénigrant. Ce procès est aussi stupide que celui qui est fait au même Sarkozy pour avoir employé le mot « nègre », ce caractère dont Léopold Sangar a tiré, avec raison, la fierté de la négritude.
A force de miner les discours de mots tabous, il devient impossible de dire, improbable de raisonner, et illusoire de conclure quoi que ce soit d’utile. Les sensitivity readers, correcteurs employés dans l’édition aux Etats-Unis veillent à stériliser les ouvrages publiés. Ils ne peuvent, à leur grand regret, agir sur les livres déjà en circulation, mais déjà s’attaquent aux rééditions d’ouvrages devenus classiques. Pour ne froisser personne, le titre du roman d’Agatha Christie « Les dix petits nègres » est modifié en « ils étaient dix ». Ce conformisme de mauvais aloi fait envier Samy Davis Junior, qui s’enorgueillissait d’être à la fois, nègre, juif... et borgne.
Mais les mots ne sont pas les seuls coupables. Méfions-nous des images, par leur puissance même, elles peuvent aussi nous leurrer. Une photographie peut condamner une guerre, une cause, un peuple, une politique. Une image retourne l’opinion, elle s’adresse aux tripes, et sans que nous n’ayons le temps de réfléchir, elle envahit le champ émotionnel.
Les images sont sans réplique. On peut discuter un terme, une expression, une phase, mais une photographie est, elle affirme du haut de son objectivité. Une fillette nue fuyant les déflagrations, la guerre du Vietnam est perdue. Un homme seul devant une colonne de tanks place Tienamen et le régime chinois, un instant, vacille. Plus prosaïquement, la photo d’un plat de homards coûte sa place à un Président de l’Assemblée Nationale.
Même si elle est dessinée l’image cogne. Adolphe Thiers s’écriait devant l’Assemblée : "Il n'y a rien de plus dangereux que les caricatures infâmes, les dessins séditieux, il n'y a pas de provocation plus directe aux attentats" (Le Moniteur universel, 30 août 1835) . Quand Daumier, à la rescousse de Philipon, créateur de la caricature en France, croque Louis-Philippe en poire, tout est dit du risible de la monarchie de juillet. Si Charlie publie un ridicule Mahomet pour moquer les terroristes qui disent l’adorer, on devrait comprendre qu’il ne s’agit pas de celui qui est révéré par des centaines de millions de musulmans, mais de celui que les islamistes ont détourné. Philipon a été condamné à une forte amende, Charlie assassiné. Sorties de leur contexte des caricatures peuvent se révéler explosives.
Les photographies, les dessins font choc, mais ils ne disent pas toujours la vérité. Que d’ambiguïté dans un dessin, que de traficottage dans une photo.
Les soviétiques n’ont pas attendu photoshop pour truquer les images au gré des disgraces politiques. Les plus célèbres photos réputées prises dans les moments historiques ont été posées et recomposées, ainsi le drapeau soviétique sur le Reichstag, la bannière étoilée dressée par des soldats US à Iwo Jima, sont des reconstitutions.
Aujourd’hui, un pas de plus est franchi avec les fake-vidéos. Par la magie du numérique, on peut attribuer un propos à qui ne l’a jamais tenu, réutiliser sa voix, son visage pour nous rendre témoins visuels de ses faits et gestes. On aura beau ensuite affirmer, et démontrer le montage, le fait s’est inscrit dans les esprits. Tout à fait comme les personnages imités deviennent plus vrais que leur modèle, pour peu que l’imitateur ait du talent.
Le vraisemblable supplante le vrai. Cette addiction au monde des apparences est suscité par un sentiment de méfiance envers les médias dont la responsabilité est de véhiculer les faits et les idées, il s’explique par le rejet du discours qu’elles tiennent. Ce que l’on nomme pensée correcte ou unique est un parti pris qui sélectionne les faits et les présente selon une lecture conforme à un consensus médiatique. Hélas, de plus en plus, ces présentations convenues s’écartent de la réalité vécue et constatée par le public, et ce qui est une interprétation devient un déni de voir la réalité en face. Comment donc pourrait-on faire confiance à des aveugles pour nous guider ?
Ainsi s’est répandue sur l’agora du net, une contestation de l’idéologie périmée qui infecte les médias installés. Ceux-ci ont beau courir derrière les réseaux sociaux, ils y pratiquent les même errements ringards, car on y trouve tout mais essentiellement le reste.
Dans cet intervalle d’incertitude se faufilent les prêcheurs de contre-vérités. Il y aurait désormais non seulement des interprétations diverses, mais des faits alternatifs. Ce que l’on devrait plus justement appeler des contre-faits, car un sage a dit un jour, je ne sais pas ce qui est vrai, mais je sais ce qui ne l’est pas.
Ainsi Donald Trump, le Président tweeteur, s’affranchi de la Presse, il parle directement au peuple. Mais cette proximité électronique qui fait enrager les bons esprits n’est pas exempte de péril. Elle le force aujourd’hui à refuser l’évidence de sa défaite, quitte à se brûler les ailles, et compromettre l’avenir.
Quand les orateurs ont peur des mots, quand pour nommer un chat, ils parlent de mammifère familier ronronnant, quand ils contournent le verbe pour détourner les faits, la confiance populaire est rompue.
Le peuple peut accepter bien des épreuves, mais ils ne supporte pas d’être privé de perspective que seuls ceux qui parlent pour lui peuvent lui fournir. Il est inquiet, et à l’anxiété bientôt succède la colère, cette émotion qui emporte tout, surtout quand par la dictature de l’image on l’a conditionné pour ne plus réfléchir.
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* Il aurait été très facile d'exiger que l'on ne touche pas aux livres, en exposant la 4 de couv. à côté de la une.
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