La pieuvre et le lion
- André Touboul

- 18 juin
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Quand en 1979 l’Ayatollah Khomeyni quitte Neauphle-le-Château où il avait trouvé refuge et protection de la France, pour l’Iran, bien peu imaginaient les conséquences tragiques de cet événement.
Emprisonné, puis exilé par le Shah, le religieux chiite bénéficiait, à ce titre, de la sympathie d’intellectuels de gauche comme Sartre ou Michel Foucault. Certes, il ne faisait pas mystère de sa volonté d’instaurer une révolution islamique, mais celle-ci étant nourrie par une haine farouche de l’Occident démocratique, avec au premier rang les Etats-Unis, qualifié de Grand Satan, le « camp du bien » ne voyait pas d’inconvénient à vanter les mérites d’un pouvoir religieux, dès lors qu’il était anticapitaliste et révolutionnaire.
La Révolution n’est pas, en soi, un régime politique. Il s’agissait pour Khomeyni d’établir à Téhéran une théocratie qui se superpose à une apparence de démocratie, où le pouvoir séculier est élu, mais est entièrement subordonné aux religieux dont il n’est que l’exécutant.
C’est en qualité de Guide, suprême autorité religieuse, que Khomeyni, dès son retour en Iran, y a instauré par un référendum obtenant 98% des suffrages, sa Révolution islamique, dans laquelle les Gardiens de la Révolution ont été chargés de la force armée et de la police politique.
Le socle de ce régime a été constitué par les Mollahs, des érudits en science coranique. Dans le chiisme où les plus éminents sont appelés Ayatollahs, ils forment un clergé fortement hiérarchisé, à la différence de la religion sunnite (90% des musulmans) où, tel le rabbin dans le judaïsme, chacun ne doit son autorité qu’à son aura personnelle d’interprète de la foi.
Le régime des Mollahs s’est ainsi construit en opposition avec le monde des infidèles, et il s’est donné pour vocation de dominer le monde musulman, afin bien entendu d’étendre son emprise sur le monde entier.
Dès 1980, la menace d’extension de l’islamisme iranien poussa l’Irak de Saddam Hussein, où une minorité sunnite dominait une majorité chiite, à initier une guerre qui durera huit ans, et se terminera sans vainqueur ni vaincu.
Au cours des années qui ont suivi, les Mollahs ont constitué autour de l’Iran un réseau d’affidés que beaucoup comparent à une pieuvre. Cette image est trompeuse, car l’octopode marin dispose de neuf cerveaux et de huit tentacules ; chacun des appendices de ce mollusque étant ainsi doté d’un système nerveux qui le rend indépendant.
Le Hamas (sunnite), le Hezbollah (chiite) et les Houthis (majoritairement chiites), ces organisations, dont les deux premières sont vouées exclusivement à la destruction d’Israël, n’ont pas été créés par l’Iran, mais elles n’ont pu prospérer que par les armes et l’appui fournis par Téhéran.
On désigne ces milices armées sous le nom de « proxys » de l’Iran, terme emprunté au langage informatique qui peut être traduit par « mandataire », mais il serait plus exact de les qualifier de marionettes, obéissant à la main invisible, mais ferme, de la Révolution islamique de Téhéran.
Après avoir détruit, mais pas éradiqué, le Hamas, et maté le Hezbollah, les Israéliens ont compris qu’il était vain de couper les tentacules qui sans cesse repousseront, tant que la tête de la pieuvre reste active. Telle est sans doute la raison profonde de l’opération du lion (de Juda) qui se dresse contre l’Iran. Se dispenser de frapper le commanditaire rendait aussi provisoire qu’illusoire la victoire sur les proxys.
Au même titre que le Grand Satan américain, Israël est l’ennemi des Mollahs. Les relations entre Israël et l’Iran avant l’avénement de Khoméyni étaient excellentes, un bon motif de détestation pour Khoméyni. L’Etat juif constitue, aux yeux des Mollahs, un corp étranger, une tête de pont occidentale dans une région où la religion d’Allah a rempli le vide politique laissé par la faillite de l’idéologie communiste. Israël représente un mauvais exemple dans toutes ses dimensions. Pour la théocratie iranienne, une démocratie effective, non soumise au Coran, est intolérable. Inacceptable, aussi, un pays progressiste où les femmes impudiques sont libres et égales aux hommes. Pire encore, Israël est une économie moderne qui réussit. Et comble de l’affront , c’est un Etat juif, donc, pour les Mollahs, de sous-hommes.
Cet ennemi est commode, car il est facile à faire haïr par l’environnement musulman… dès lors que même chez les Sunnites, la « rue arabe » est viscéralement anti-juive. Il n’est pas difficile de trouver dans le Coran des invitations à se méfier de Juifs, ou à les tuer. Et ce n’est guère surprenant, puisque les « emprunts » de l’Islam au judaïsme et à la Bible hébraïque en forment une large part, sinon la substance. Se déclarer investi de la mission d’exterminer les Juifs est donc une manière très efficace de prendre l’ascendant sur les esprits de tout le Monde musulman, comme cela l’a été longtemps pour la chrétienté.
Le peuple iranien, qui a vainement tenté de se soulever contre les Mollahs, est la première victime de la théocratie tyrannique qui l’étouffe, et réprime toute opposition dans le sang. Cependant, l’Occident a toujours considéré l’Iran et ses 87 millions d’habitants, comme l’héritier de l’empire perse, et, par le fait, adulte et légitime à se faire gouverner comme l’entendent les maîtres qu’il se choisit.
En cherchant à se doter de l’arme nucléaire, le régime des Mollahs a cependant commis une erreur majeure. Il a inquiété l’Occident qui s’est mobilisé afin de lui interdire ce pas décisif qui serait le signal d’une dissémination dans toute la région.
Le 7 octobre 2023, l’un des proxis de l’Iran, le Hamas, mobilisé pour contrecarrer les Accords d’Abraham, a dépassé par son ignominie les attentes de ses tuteurs ; illustrant le fait qu’une fois sortie de la boîte des mauvais instincts, la sauvagerie ne connaît pas de limite.
Les maîtres de Téhéran ont d’abord misé sur la pression internationale pour brider la réaction d’Israël, et préféré agiter les Houthis, plus menaçants du commerce international que de l’Etat hébreux ; laissant en attente le Hezbollah pourtant menaçant Israël à sa frontière nord, et prêts à en découdre.
En effet, la situation de champion de la foi convenait bien aux Ayatollahs. Bien mieux que celle de belligérants directs. Grâce à cette posture « morale », ils assuraient la docilité d’une population iranienne, car on ne discute pas les ordres de celui qui parle au nom de Dieu.
L’obstination d’Israël à « éradiquer » le Hamas, comme la stupidité de cette milice sans cervelle à conserver des otages, a surpris le Gardiens de la Révolution. Plus encore, la facilité avec laquelle Tsahal et le Mossad ont pulvérisé le Hezbollah, les a pris de court.
Le régime de Téhéran comptait sur l’acquisition subreptice de la bombe nucléaire pour se maintenir à jamais, à l’image de la dictature de la Corée du Nord, mais un rapport de L’AIEA, a dénoncé ce projet, et son avancement.
Israël, avec quelque raison, puisque l’Iran appelait à sa destruction, et persistait à lui contester le statut d’Etat, le désignant par le terme « d’entité sioniste », a estimé qu’il lui fallait agir avant que la bombe destinée à le détruire soit opérationnelle.
Vainement, les Mollahs invoqueraient-ils une violation du droit international, puisqu’ils ne reconnaissent pas l’Etat d’Israël. En niant le droit d’exister de l’Etat juif, Téhéran, situe lui-même ses relations avec celui-ci hors du champ du droit. Ainsi les successeurs de Khoméyni sont pris à leur propre piège idéologique, comme ils le sont à celui de leur dialectique appelant à l’extermination des Juifs, par le fait, en état de légitime défense. Il est aussi indiscutable que l’attaque du 13 juin contre l’Iran est une conséquence directe du pogrom du 7 octobre 2023 qui n’aurait jamais pu avoir lieu sans l’appui ou le feu vert de l’Iran, si ce n’est sans son ordre.
Les Etats européens tout en affirmant le droit d’Israël à mener une attaque pour conjurer une menace existentielle, se tiennent hors du conflit, dans l’idée de lui conserver une légitimité au regard du droit international. Pour les mêmes raisons, les Etats-Unis se gardent bien de s’impliquer directement sans avoir été provoqués. Les Mollahs seraient fort mal inspirés de s’en prendre aux Américains, lesquels n’attendent que ce cela pour leur administrer la preuve que l’on ne plaisante pas avec la première puissance militaire du monde. Une sorte d’avis aux amateurs. Les Républicains ont compris que sans la pusillanimité de Jimmy Carter qui s’était fait humilier par les Gardiens de la Révolution, ils auraient conservé leur autorité au Moyen Orient. Rappelons-le, du 4 novembre 1979 au 20 janvier 1981, pendant 444 jours, cinquante-deux diplomates et civils américains ont été retenus en otages par des « étudiants » iraniens dans l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran. Comme par coincidence fortuite, c’est ce 20 janvier que Ronald Reagan prenait ses fonctions de Président.
Sans cette première preuve de faiblesse des Etats-Unis depuis 1945, imputable à Carter, l’Iran n’aurait pu acquérir la place prééminente qui est encore aujourd’hui la sienne au Moyen Orient. C’est ce même Carter qui a, dans un livre publié en 2006, accusa Israël de pratiquer l’apartheid du fait que l’État hébreux avait érigé un mur entre lui et la Cisjordanie, sans voir que cela propageait tout autant cette dernière des colons juifs. Ce Président fallot oubliait aussi qu’Israël est une démocratie où les arabes israéliens ont une représentation à la Knesset. Depuis Carter, l’influence dans le monde des Etats-Unis n’a cessé d’être contestée. De libérateurs admirés du nazisme, les Américains ont été de moins en moins des héros, jusqu’à être parfois honnis, tels un gendarme incapable de faire régner l’ordre.
Pour contester l’opération « Rising lion », les jocrisses qui sévissent dans nos médias invoquent aujourd’hui le désir de Téhéran de négocier avec les Américains. Mais négocier quoi ? Il faudrait, et il suffirait que le régime des Mollahs déclare renoncer à la bombe pour contenter les démocraties occidentales. Il ne le fera pas. Et cela arrange Israël qui vise par dessus tout à une reconnaissance par l’Iran de son droit à exister. En effet, la destruction des sites nucléaires n’est qu’un gain de temps limité, alors que l’abandon de la doctrine qui nie l’État juif, ouvrirait une ère nouvelle de coexistence au Moyen Orient. Pas pour l’éternité, car depuis plus de 5000 ans les Juifs savent que la paix qui leur est accordée est provisoire. Seul l’Eternel a l’éternité devant lui, dit-on là-bas.
Ceux qui sont, à juste titre (comment ne pas l’être ?), émus des souffrances des Gazaouis devraient comprendre que sans l’Iran, la main qui agite et arme les pantins, ceux-ci ne représentant plus de danger, la paix reviendra à Gaza. En effet, à la différence de la pieuvre qui a neuf cerveaux, le régime des Mollahs n’a qu’une seule volonté, et celle-ci est dans la tête de son Guide suprême, l’Ayatollah Khamenei qui depuis trente ans règne sur l’Iran.
Désolant est le spectacle des hypocrites qui appellent à la désescalade et à la négociation sans vraiment croire que cela est possible, et qui en vérité ne souhaitent que la défaite de l’Iran, sans avoir à en payer le prix politique ou économique. Les mêmes ne manqueront pas de voler au secours de la victoire, de quelque côté qu’elle se produise.
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