La voie du sous-développement
- André Touboul

- 2 avr. 2023
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Dans le pays qui se vantait au siècle dernier d’avoir la meilleure administration du monde, il faut aujourd’hui trois mois pour refaire son passeport, ou obtenir un rendez-vous médical. Bientôt l’on reverra la pratique de la « prompte » qui consiste à glisser un billet au fonctionnaire de guichet pour accélérer le traitement de son dossier. Il faut se rendre à l’évidence, en France, malgré les progrès de l’informatique, le sous-développement est en marche.
Sur l’autoroute de l’avenir les Français semblent voués à prendre les bretelles de sortie, celles de la voie de garage des pays en cours de déclassement. Parfois même, sur la bonne route, ils roulent fièrement à contre sens en fermant les yeux, on appelle cela l’exception française. On refuse de voir que l’on s’engage sur l’impasse du sous-développement économique, mais aussi culturel, et c’est plus grave encore car irrémédiable.
Les 35 heures, la retraite à soixante ans, les acquis sociaux qui sont gravés dans le marbre pour l’éternité et bloquent toute adaptation, ces contresens ont coûté à la France son industrie, et une grande partie de ses services publics. L’Hôpital ne s’est jamais remis de l’absurdité de la RTT. Sa soi-disant bonne gestion a conduit à un déficit de soignants avec pléthore d’administratifs. Telle est la gestion par l’Etat, elle multiplie la bureaucratie et augmente l’impéritie.
Les Administrations d’Etat et celles des collectivités locales ont sans cesse cru, et parallèlement les services se sont dégradés. De ces aberrations les raisons sont connues. La principale est que, depuis la Libération, la fine fleur de la jeunesse française a été aiguillée vers la haute Administration sous la bannière de la fiction d’une religion du service public. Très naturellement, cette armée mexicaine (cf. Les Cinq mille) a multiplié ses subordonnés et ceux-ci ont étoffé leurs cohortes de collaborateurs. Sous couvert du statut d’airain de la fonction publique, l’élite administrative a accru le nombre des agents qui les protègent, comme les pions le font pour les pièces majeures de l’échiquier.
Dans un pays où l’égalité de traitement de tous et partout est un principe fondamental, la régionalisation ne pouvait être qu’un leurre. Sous prétexte de spécificités régionales contre lesquelles l’Etat jacobin se fait cependant un devoir de lutter, elle a créé 1,5 millions d’agents publics territoriaux sans que les fonctionnaires de l’Etat lui-même diminuent. Et le millefeuille est devenu dix fois plus épais, un cauchemar en cuisine. Très largement, c’est ce boulet qui entraine l’économie française vers le fond.
Privée d’industrie, de productions agricoles exportatrices, et de services financiers performants, la France ne sera bientôt plus qu’un musée, un gigantesque Puy du fou, dont les habitants joueront les figurants mimant un art de vivre d’un autre âge. Nos dirigeants, conservateurs de ces glorieux patrimoines, veilleront simplement à ce que les visiteurs étrangers ne les dégradent pas trop.
La vie réelle sera bien différente de ce pays factice. Les Français seront de plus en plus pauvres. Chaque jour où les taux d’intérêts augmentent, la dette se creuse, et le niveau de vie diminue. L’inflation rogne les retraites inexorablement comme la mer les rivages de craie. Cette perspective est aggravée par son aspect démoralisant, car il est plus douloureux de s’appauvrir que d’être pauvre.
Typiquement, les Français désabusés refusent de travailler plus longtemps, en effet la marque des pays sous-développés est la reluctance au travail. On préfère vivre d’allocation, appelant cela de la politique sociale, alors que ces pratiques qui ont démusclé l’économie, coûtent de plus en plus cher, et sont de moins en moins satisfaisantes.
La résignation chez un peuple cultivé prend souvent la forme d’une idéologie. Ainsi resurgit le droit à la paresse. Malgré leurs soutiens médiatiques, les syndicats n’ont toujours pas expliqué pourquoi et comment les Français pourraient travailler moins longtemps que leurs voisins sans réduire drastiquement leur niveau de vie.
L’idéologie d’une nation qui meurt se caractérise aussi par des accès de violence que l’on nomme colère populaire. On entend ici et là affirmer que la violence est le seul moyen de se faire entendre et d’obtenir satisfaction. Chacun serait légitime à arracher des lambeaux du cadavre de cette pauvre France, au mépris de l’Etat de droit, ou plus précisément en invoquant un état du droit contre le droit. En somme, c’est la loi quand je veux. La mission des médias serait de remettre les pendules à l’heure. Ils n’en font rien. La plupart délirent dans un militantisme anti-flics, au point d’inventer des crimes de violence policière afin de prouver que le système est pourri.
On justifie parfois la carence des journaux, tous médias confondus, à éclairer de manière objective le débat des retraites, entre autres, par la prolétarisation du métier d’informer qui rendrait les rédactions solidaires des contestations de tous ordres. On doit certainement plus encore incriminer la polarisation gauchisante de tout l’audiovisuel public qui jouit du privilège de l’emploi garanti, et aussi les rémunérations hors normes de journalistes vedettes du privé, qui favorise un snobisme affiché de bourgeois bohèmes, les Bobos. Tous ces professionnels commentent l’actualité politique et économique tel un match de football à sensation, comme s’ils n’étaient pas concernés par le résultat. Mais il faut surtout pointer la paupérisation intellectuelle d’une génération, mazoutée par des expériences pédagogiques, qui la prive des références historiques nécessaires et de toute culture économique. Que peut-on attendre d’intellectuels qui n’ont pour crédo que le partage du travail. C’est Malthus qui gagne, et avec lui la décroissance, la déconstruction et en fin de compte la misère.
Intermittents du spectacle qui miment leur propre vie sans trop d’efforts, les Français ne comprennent pas que le monde est désormais, et pour longtemps, devenu peu propice au tourisme culturel. Le mode de vie à la française risque de n’être qu’un lointain souvenir à inscrire au patrimoine immatériel de l’humanité, disparu comme la plupart des sept merveilles du monde.
On dit qu’une majorité de Français ne veut pas travailler plus, et une autre, parfois la même, ne veut plus d’immigration, telle est l’équation absurde du RN. Alors, qui va faire le boulot ? La sagesse des nations est un article en voie de disparition. L’atomisation et la panurgisation de l’opinion occultent le bon sens.
Si l’on ne stoppe pas l’immigration, la France deviendra prochainement un pays sous-développé, du point de vue culturel, argumentent les extrémistes de droite. Mais le patronat réclame toujours plus de main d’œuvre à bas coût. Le travail dans la restauration, le bâtiment, les travaux publics, le ramassage des déchets, etc … tous ces métiers pénibles rebutent les Français. Avec une pudeur qui frise la mauvaise foi, le Gouvernement appelle cela des métiers en tension. Pour duper l’opinion on invoque le manque de médecins, une pénurie que l’on a organisée.
La vérité toute crue est que si l’on arrête l’immigration, ce n’est pas 64 ans qui sera l’âge légal de départ à la retraite, mais bientôt 70 ans. Entre l’homogénéité culturelle et la société de loisirs, il faut choisir. Ou alors se retrousser les manches.
Ce triangle incommode oblige à trier les migrants, non pas selon leurs qualifications professionnelles (le plus souvent leur absence de qualification), mais de leur compatibilité culturelle. Pour parler sans filtre, leur religion. Dans une France laïque, qui osera avouer ce dilemme ? Et qui en assumera le choix ? Qui a envie de vivre dans un pays qui fait de la religion une condition d’accès à la citoyenneté ? Mais comment ne pas voir que les théocraties, de par le monde, n’ont pas ce genre de scrupules ? On se demande s’il est possible d’éviter les impairs sur ce sujet sensible.
Pour échapper à l’impasse du sous-développement culturel, il suffirait pourtant d’ouvrir les yeux, de prendre enfin le monde tel qu’il est, c’est-à-dire compétitif, et de cesser de s’emprisonner dans des principes que les malintentionnés sont habiles à retourner contre nous. En venir, somme toute, à une attitude pragmatique. Être tolérants avec les tolérants et intraitables avec les intolérants. L’idée de la réciprocité devrait faire son chemin. Pour l’heure, on fait l’inverse, l’on accueille les migrants en provenance de pays non démocratiques et intolérants, au nom du droit d’asile, ici dévoyé.
De cette révolution culturelle nécessaire naîtra le sursaut qui, offrant enfin une perspective crédible de progrès, redonnera aux Français le goût de l’effort qui les a quittés.
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