Le masque et la plume
- André Touboul

- 14 juin
- 4 min de lecture

De faits divers en faits divers, on en vient à dénoncer un fait de société. La jeunesse est violente. Notre société permissive aurait engendré des sauvageons allergiques à toute autorité.
Une fois de plus, on pointe la responsabilité des réseaux sociaux. Une manière, mauvaise, pour dédouaner les responsables de ne pas prendre les leurs de responsabilités. Mais surtout une nouvelle ode à l’impossible qui n’en déplaise à Napoléon 1er est de plus en plus français.
Interdire aux mineurs les écrans où ils ont accès à toutes sortes de dégueulasseries ? Oui, mais l’on dit que c’est illusoire, car les interdictions cela se contourne ; et même néfaste, car, c’est sur le net, bien que trop souvent pas net, que les jeunes ont accès à l’information désormais.
Privés d’écrans les petits seront comme orphelins. Sans doute, la démission des parents qui devraient contrôler leur fréquentation, peut être invoquée, mais où pourraient-ils puiser l’autorité qui le leur permettrait dans une société où chacun réclame ses droits en refusant le moindre de ses devoirs. L’Etat peut-il sérieusement exiger des parents une autorité à laquelle il a lui-même renoncé ? Est-il crédible de tout attendre des familles que l’on n’a rien fait pour les dissuader de se décomposer ?
Le combat des Yakas, fiers -à-bras, et des impuissants, mous du genou, bat son plein, à grand coups d’arguments aussi définitifs que fragiles.
Il reste de tout ce vacarme dérisoire que les réseaux sociaux sont une zone de non droit. C’est une jungle propice aux mauvaises fréquentations et aux pires rencontres, où l’anonymat assure l’irresponsabilité et l’impunité.
Vainement, on invoquerait la liberté d’expression pour justifier l’anonymat, car celle-ci n’est en rien incompatible avec la responsabilité de chacun quant aux propos qu’il tient.
La liberté du corbeau, maniant la lettre anonyme, est par nature un poison social. Son principe est de s’affranchir des règles de la civilité, de la morale, de la vérité et, de fait, de toute loi pour laisser parler ses instincts basiques, c’est-à-dire assouvir les plus bas.
La véritable motivation de l’obstination des plateformes à s‘arc-bouter sur le pseudonymat (autre nom des anonymes qui avancent masqués) est purement commerciale. Il est évident que l’obligation de s’exprimer sous son nom réel, et d’avoir donc à assumer la totalité de ses paroles diminuerait considérablement le nombre d’utilisateurs. Et l’on sait que la quantité de clics est ce qui fait la valeur d’un fournisseur de réseau social, apparemment gratuit, mais infiniment lucratif. Derrière le faux principe se cache le vrai dollar.
Certes, il est désormais possible, en cas de délit manifeste, de s’adresser à la Justice pour lever l’anonymat. Mais cela se fera longtemps après les faits, car les plateformes résistent. Cette réluctance ne fait que conforter l’utilisateur lambda dans la conviction que son anonymat sera protégé par les meilleurs (comprendre les plus retors) des juristes, qui savent jouer des failles entres les droits des différents pays, et de celles qui sont béantes dans chacun.
Il n’est pas contraire à la liberté d’expression que de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, cela permet de réfléchir aux conséquences de ses prises de position.
Plus loin que l’anonymat qu’il faut évidemment, non seulement lever mais interdire comme un délit en soi, il faut d’urgence appliquer aux fournisseurs de réseaux sociaux le statut d’éditeur. C’est-à-dire les rendre coresponsables des écrits qu’ils véhiculent.
Ils diront que le taxi qui a conduit à destination un assassin n’est pour rien dans le crime, mais cette affirmation est fausse quand le chauffeur a pu constater que son passager était armé et ne faisait pas mystère des ses intentions délictueuses. Telle est la définition de la complicité par fourniture de moyens.
Il n’est pas surprenant que les entrepreneurs du numérique soient des libertariens convaincus. La liberté du renard dans le poulailler a toujours été le crédo des tenants de techniques nouvelles. En vérité, la liberté qu’ils prétendent offrir est celle dont ils veulent jouir. Elle conduit à leur assurer une domination économique monopolistique, qui devient assez vite un pouvoir tyrannique sur les esprits. La soumission la plus complète est celle à laquelle on croit souscrire volontairement.
Il ne s’agit pas de lavage de cerveau, mais de souillure, par une rupture avec les principes de la rationalité. Ceux qui, en meute, participent à un harcèlement sous couvert d’anonymat, ont cédé à leur part d’ombre. Ils en restent salis. Et, en profondeur, à leurs propres yeux. C’est cette abdication du sur-moi qui est la clé de la soumission, laquelle suppose la perte de l’estime de soi.
Cette liberté totale qui menace la liberté réelle, rejoint l’individualisme consumériste, qui isole le mouton pour mieux le tondre. Elle est plus pernicieuse encore, car elle tend à déconstruire l’humain dans ce qu’il a du plus précieux, son aspiration morale. Sous le masque, c’est la dignité de la personne qui disparaît, et la prédispose à l’esclavage mental. Les première victimes de cette liberté débridée sont les médias et autres communicants qui vont chercher la vérité du peuple sur les réseaux sociaux. Ils s’en imprègnent et restituent une image désolante de l’être humain. Le plus singulier est qu’ensuite, ils s’en étonnent.
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