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Triangle incommode, ou ruban de Möbius ?



En géométrie, on apprend qu’il existe quatre types de triangles : le triangle quelconque, l’isocèle, le rectangle, l’équilatéral, et le plat dont les côtés sont alignés. On oublie presque toujours le triangle de Penrose, dit triangle incommode, pour ne pas dire impossible.


C’est à Roger Penrose, prix Nobel de physique 2020 qui a décrit l’effondrement des étoiles sur elles-mêmes, que l’on doit cette curiosité, en quelque sorte inverse du ruban de Möbius qui ne comporte qu’une seule face alors qu’un ruban normal en a deux.



On ne rencontre pas dans la nature de triangle non-euclidien, mais il est assez fréquent dans le domaine de la politique, car en politique on ne respecte pas Euclide et l’on est coutumier des figures impossibles en proposant des solutions toutes bancales.


Le vice de la situation décrite par le ruban de Möbius est de laisser croire qu’il existe deux solutions alors qu’il n’y a pas réellement de choix.



Dans le débat public qui assaille aujourd’hui la France, on peut se demander si l’on se trouve dans l’une ou l’autre cas d figure. Il faudrait apparement choisir entre la paix sociale en France et le soutien à l’Ukraine.

C’est dans ce triangle incommode qu’Emmanuel Macron vient de situer les élections européennes.


L’incapacité d’assurer la sécurité et la cohésion sociale autour de l’identité française est le lot des partis de gauche et du centre. Les uns s’en réjouissent, les autres s’en accommodent. Tous déclarent que l’on n’y peut rien, sauf à contredire les principes mêmes de l’état de droit qui sont le socle de nos valeurs.


La droite extrême, que rejoint à pas mesurés, mais de plus en plus pressés, une droite jusqu’ici molle, ne détient sans doute pas la solution miracle, mais elle déclare le sursaut possible. Son postulat, juridiquement correct est que l’abus de droit écarte le droit. Ainsi ceux qui usent des protections de notre civilisation, contre la société qui les accueille, ne peuvent s’en prévaloir. Par ce simple rappel disparaît beaucoup de l’impossibilité d’agir.


Ce que la gesticulation d’Emmanuel Macron sur l’Ukraine a pour effet, sinon pour objet, de mettre en exergue est que l’extrême droite, attachée à son socle électoral, est plus que réticente à l’engagement de défendre l’Ukraine agressée par le régime impérialiste de Poutine. En cela le RN se distingue du reste du paysage politique français qui est convaincu, avec raison, que cette défense d’une terre étrangère est nécessaire et même vitale, car une victoire russe ne s’arrêterait pas à Kiev, tant il est évident que disloquer l’Union européenne est un des objectif majeur de Moscou.


Ce débat est semblable outre-Atlantique. D’un côté, les excès des wokes qui mènent un combat anti-blanc, et de l’autre un isolationnisme qui met en danger la paix mondiale.


Joe Biden veut faire voter (sans succès) une aide pour l’Ukraine, mais il ne dit rien quand des présidentes d’universités déclarent devant le Congrès qu’il faut contextualiser l’appel à l’extermination des juifs. Il rejoint Macron qui ne défile pas contre l’antisémitisme pour ne pas heurter les banlieues. Face à lui, Donald Trump est toujours politiquement vivant, malgré ses excès, et il manifeste son opposition au wokisme mais aussi son refus dangereux que les Etats-Unis assument leur rôle de gardien de la paix. Les Républicains US peuvent scander « le Maine, avant l’Ukraine », comme l’on disait en France préférer la Corrèze au Zambeze.


Sachant que le danger islamiste est en France de plus en plus menaçant depuis le 7 octobre et ses suites à Gaza qui ont permis aux radicaux de s’emparer des consciences d’un grand nombre de Musulmans, et qu’il préoccupe plus les Français que le péril russe qui reste abstrait et potentiel, Emmanuel Macron dramatise. Il monte artificiellement les enchères sur l’ennemi extérieur, jusqu’à faire tapis quand il évoque l’envoi potentiel de troupes au sol, c’est-à-dire une impossible entrée en guerre directe avec le Russie. Jusqu’ici le Président français n’a réussi qu’à désunir l’Union européenne, et donner des arguments aux esprits munichois.


Il est cependant vrai que le retrait américain, déjà effectif, rend urgent un réveil européen ; mais les maladresses du Président français ne vont pas dans le bon sens. Sauf à rallier à sa position jusque-boutiste les membres de l’Union continentale, elle sera perdante. Pour l’heure, les chefs d’État qu’il taxe de « lâcheté » ne sont pas incités à rallier un Macron arrogant et donneur de leçons.


Le dilemme qu’il propose aux Français est d’avoir tort avec lui à l’intérieur, ou tort avec le Rassemblement National, contre les Russes et l’Union européenne.  Son enchère est imprudente, car il offre de miser sur une Europe qui n’existe pas au détriment d’une France en souffrance.


L’Union que souhaitent les Français les plus europhiles n’est pas celle des technocrates de Bruxelles, mais la puissance que pourrait conférer une potentialité économique sans comparaison avec ses ennemis extérieurs. Si, au lieu de jouer de l’ambiguïté stratégique qui ne convainc personne, il avait insisté sur la nécessité pour l’Europe de se mettre en économie de guerre, on n’aurait pu que louer sa prudence et sa lucidité. Nul n’a pu contredire Thierry Breton qui œuvre en ce sens, d’autant plus opportunément que les dépenses militaires seraient un excellent moyen de relancer l’économie européenne aujourd’hui en panne. Bien entendu, ces efforts ne seraient bénéfiques que si les budgets étaient consacrés à des commandes à l’industrie domestique et non à des achats d’armes américaines. On vante le dynamisme économique des USA, il est en partie lié aux colossaux marchés du fameux complexe militaro-industriel.


Se mobiliser résolument pour lutter contre le séparatisme islamique, affronter les mauvais génies bureaucratiques de la France et s’engager dans une vision nouvelle de l’Union européenne aurait été une meilleure stratégie, pour Emmanuel Macron qui a dénoncé ces maux dont il est convaincu de l’importance. Il est vrai, cependant, qu’il n’a pas à cet égard la possibilité de se targuer d’une action efficace au bout de sept ans de Présidence.


Gabriel Attal semblait le Premier ministre idoine pour mener ces combats. Il disposait d’un crédit qui rendait l’entreprise envisageable. Hélas, au lieu de le laisser agir sur sa lancée, le Président l’a embarqué dans sa diatribe contre le parti lepéniste. Qui peut croire que le Rassemblement National est l’agent de l’étranger, et ferait partie  des « troupes russes » comme l’a affirmé à l’Assemblée le Premier Ministre ? La théorie de la cinquième colonne a surtout décrédibilisé le malheureux Attal, qui affirmait il y a quelques semaines que ce parti ne pouvait être exclu de l’arc républicain.


La martingale choisie par Emmanuel Macron, en vue des élections du mois de juin prochain, est doublement perdante. Elle dessert l’Ukraine qui n’attend pas des déclarations mais des munitions, et il déconsidère son Premier Ministre, supposé mener la campagne des européennes, mais sans cesse éclipsé par un Président qui ne peut s’empêcher d’occuper le devant de la scène.


De tout ce charivari, ce qui parait le plus inquiétant est que le Président Macron, qui prétend jouer l’ange protecteur, ressemble de plus en plus à un Diable qui se débat dans un bénitier. Le pays attend de lui qu’il fasse avant tout preuve de sang froid, qu’il agisse utilement et parle plus chichement.


Les élections européennes n’étant pas susceptibles de changer le gouvernement de la France, mais seulement la gouvernance de l’Europe, le cas de figure semble plus à un ruban de Mobius qu’à un triangle de Penrose. De quelque côté que l’on retourne le ruban, on est sur la même face… devinez laquelle…












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