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Les intellectuels en question

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 5 juin
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 6 juin



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Des intellectuels qui se sont fourvoyés dans des admirations ou soutiens politiques désastreux, et du fait de leur audience ont égaré leurs lecteurs, on peut dresser la longue liste où les noms les plus réputés sont nombreux. Ce fait, avec le recul du temps, bien peu le contestent, et certains se plaisent à en énumérer de célèbres, et même encore célébrés aujourd’hui.


On pourrait aussi en proposer une contre-liste, celle des intellectuels qui ont sauvé l’honneur. Le plus souvent à leur propos on regrette qu’ils aient prêché dans le desert.


Les listes ne sont pas en général des « tableaux d’honneur », comme l’on disait à l’époque où l’école était un lieu honorable, où l’on apprenait à apprendre.


On invoquerait en vain, pour expliquer ce phénomène, la  nature humaine qui se répartit dans toute société entre le bien et le mal, entre les gens de qualité et les saligauds. Les intellectuels ne sont pas un groupe, ils assurent une fonction nécessaire dans la société, et même s’ils aiment, pour se conforter, se regrouper en écoles de pensée, ils pratiquent une discipline par essence individuelle. C’est en leur nom qu’ils s’expriment.  Même les Manifestes, les Tribunes  ont des signataires ; et ces exercices sont rarement des prodiges d’intelligence. Asinus asinum fricat,  disaient les Romains, ce sont les ânes qui se frottent entre-eux. Cela les rassure.


L’intellectuel a une fonction sociale. Non pas évidemment de penser pour les autres, mais, d’éclairer le chemin.


Pourquoi ceux qui ont pour mission de penser pensent-ils mal ? Pas tous, bien entendu, mais tant et trop.


Parce que la morale est autre chose que l’intelligence ou la culture avance Luc Ferry dans un article du Figaro du 5 juin 2025. Vraiment ? On peut en douter, sauf si l’on définit l’intelligence comme une certaine agilité intellectuelle, et la culture comme un vernis qui n’a aucune profondeur. La morale est ce qui est censé déterminer nos actions ; dire que les intellectuels y sont étrangers, c’est affirmer qu’ils ne servent à rien ; bien pis, qu’ils sont aussi toxiques que le joueur de flûte qui conduit les enfants à la rivière.


En vérité, lorsque les intellectuels se fourvoient, c’est par une faille de leur intelligence. De la même façon que les intellectuels monistes n’acceptaient pas que Galilée remette en cause le fondement de la mécanique intellectuelle qu’ils maitrisaient, les virtuoses de la dialectique se refusent à penser le monde en termes différents de leur mode de représentation : celui d’une réalité qui est en devenir du fait de l’opposition de contraires.


Comprendre le monde ne se fait pas sans un système de pensée qui, généralisé, fonde les certitudes et réfute l’erreur. Ces guides du vrai et du faux ont une histoire.


Passer de Leibniz, qui clôt le monde immobile et éternel de l’Un que l’on doit aux philosophes grecs, à Hegel qui ouvre celui de la dialectique, dont s’empara Marx pour imaginer la lutte des classes, ne s’est pas fait en un jour, ni sans résistances.


La dialectique, mode de penser du conflit, a atteint ses limites au 20ème siècle. On peut, d’ailleurs, se demander si cette ère sanglante ne doit pas sa brutalité à cette façon de voir et d’interpréter le monde.


Les temps ont changé, mais il en subsiste des lambeaux. Nombreux sont les intellectuels qui appliquent des modèles dialectiques sur le présent en tordant les faits pour qu’ils se conforment à ce modèle.


L’instrument post-dialectique, qui n’est que la dialectique ripolinée, sied  bien aux intellectuels qui se sont égarés et qui se trompent aujourd’hui, comme le firent leurs prédécesseurs. C’est le chausse-pied. Grâce à lui, on fait entrer dans la chaussure n’importe quelle pointure. Une fois introduit de force, le pied en sort d’autant moins facilement qu’elle n’est pas la bonne.


En vérité, quand les intellectuels s’égarent, c’est parce qu’ils se raccrochent à un mode de pensée inadéquat.


Peut-on continuer à penser le monde, qui est de plus en plus petit, et où l’interdépendance est de plus en plus grande en termes de conflits ? Ce n’est plus la lutte des classses, mais celle des opprimés contre les oppresseurs.


Certes, dans un premier temps d’exiguïté de la planète, sa fragilité, provoque des réflexes de compétition, de concurrence, et d’agressivité pour les ressources... le mot qui domine la pensée d’aujourd’hui est celui de « guerre ».  C’est le triomphe de la pensée dialectique qui resurgit comme un Diable de sa boîte.


Mais les intellectuels doivent-ils suivre ou précéder l’esprit de leur temps ? Peut-on penser le réel d’aujourd’hui avec des concepts d’hier ?


S’ils veulent accomplir leur mission d’éclairer le présent pour construire le futur les intellectuels doivent penser autrement. Quand ils entendent « guerre », « conflit », ils doivent penser « harmonie », « concorde », « paix ». C’est à eux d’imaginer les voies et moyens, de dessiner un avenir qui réponde aux aspirations profondes, mais refoulées par les faiseurs de guerres.


Le rôle des intellectuels n’est pas de se rallier à tel ou tel leader ou régime, mais de proposer une analyse nouvelle de la réalité, sa forme, sa substance et sa dynamique. Ces trois éléments dont la combinaison est unique pour chaque objet, devraient servir à sortir de la fatalité du conflit généralisé.


Parvenir à l’exercice en commun de l’intelligence , qui est la  plus belle et noble  définition de la politique, suppose que l’intellectuel assume sa fonction de compréhension pour la faire partager. Tous ceux qui se sont déshonorés l’ont fait en suiveurs. Ils se sont perdus en se croyant supérieurs, alors qu’ils ne sont que des travailleurs forgerons de concepts. Quand Sartre déclare qu’il « ne faut pas désespérer Billancourt », il insulte l’intelligence de ce peuple qu’il prétend défendre.


Ouvrier solitaire du verbe, l’intellectuel doit avoir l’humilité de la limitation de sa pensée. Il doit se montrer critique, d’abord envers lui-même. Telle est la leçon majeure de Descartes qui doute de ses propres idées préconçues.  Il ne doit pas confondre cohérence et conformisme. Il doit marcher hors des passages protégés par le politiquement correct. Il lui faut être attentif aux perceptions de ses contemporains, non pour s’y soumettre, mais pour les sublimer. L’intellectuel doit, comme le penseur de Rodin, se mettre à nu pour exercer honnêtement sa fonction.


Reconnaissons que beaucoup de ceux que l’on considère comme des intellectuels, ne sont souvent que des intellos, qui se donnent bonne conscience en hurlant avec les loups. On ne demande pas aux intellectuels de dégouliner de bienveillance tous azimuts, mais ils doivent reconnaître qu’il n’existe pas de guerre juste, mais juste des guerres nécessaires parce qu’existentielles.




 
 
 

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