Les "principistes" ont perdu le sens des mots
- André Touboul

- 22 juin 2021
- 3 min de lecture

L’auteur de la gifle à Macron a été jugé en comparution immédiate. Le Monde titre sur le « suspect », Le Point lui préfère le « présumé », d’avoir giflé le Président. On croit rêver. La France entière, le monde aussi, tout un chacun a pu voir en boucle la gifle et son auteur l’administrer. On peut hésiter sur le vocabulaire : gifle, baffe, torgnole, soufflet, calotte… mais une chose est indubitable, c’est la personne de l’auteur. Il n’est ni « suspect », ni « présumé », c’est lui !
L’abus de précaution tue la précaution. Ce galvaudage d'un principe de présomption d'innocence, préjudicie à tous les présumés innocents, en devenant une figure de style. Il relève surtout d’une perte de contact avec le sens des mots. Dans L’extension du domaine de la lutte, Houellebecq dénonce, en l’illustrant, ce divorce sémantique devenu un fait culturel.
En utilisant des qualificatifs qui deviennent des clichés, les journalistes affichent non pas une saine prudence, mais montrent qu’ils respectent un haut principe, quand il n’a pas lieu d’être. S’il y a flagrance, comme en l’espèce c’est indiscutable, l’auteur est connu, il n’est ni présumé, ni suspect. La présomption d’innocence n’a pas de place dans ce cas. La responsabilité pénale est autre chose. Mais l’auteur de la gifle est auteur et non suspecté, et le récipiendaire de la gifle était bien le Président de la République. Ce sont les faits, ils sont patents, et mettre en doute une évidence est un premier pas vers le déni.
Mais il y a pis. Ce travers, qui consiste à se prémunir d’éventuelles critiques en se réfugiant derrière des principes non applicables, est un mal profond de l’univers médiatique. Il consiste en une méconnaissance de la portée des principes que l’on invoque.
Quand François Hollande, alors Président, envisage de déchoir de leur nationalité des terroristes, le chœur des "principistes" a invoqué l’impossibilité de créer des apatrides. Il écartait aussi cette mesure concernant les doubles nationaux, une incongruité moderne du droit international privé (la nationalité ne se divisant ni ne se multipliant), et il ignore ceux qui ayant fait allégeance à l’Etat Islamique, leur nouvelle patrie, ont brûlé leurs passeports. La France est bonne fille, elle doit tout pardonner à ses enfants, même ceux qui ont adopté d’autres parents et se retournent contre elle. Sans courage, Hollande s'est incliné.
Il avait pourtant raison. Les Djihadistes nous ont déclaré la guerre, nous n’y pouvons rien, rien d’autre que de les combattre. Nous aurions préféré l’éviter, mais ils ne nous ont pas laissé le choix. Aux grands maux, les grands principes. Tel est le refuge de ceux qui refusent de se battre. Ce sont nos valeurs qui nous lient les mains, peut-on lire, ici ou là. Ce dévoiement des principes peut être qualifié de "principisme", car c'est une habitude pernicieuse.
Le principisme qui fleurit de nos jours consiste à invoquer des principes à contre temps et à contre sens. On dira que les grands principes, comme ceux de liberté individuelle sont intemporels. Mais c’est faux, les libertés sont légitimement suspendues en temps de péril collectif majeur. Dans le cas de pandémie, la liberté d’aller et venir n’est plus de mise. On peut même contester que celle de se faire vacciner, ou pas, puisse être une question individuelle.
Le point central est là. La liberté de chacun s’arrête là où elle devient nuisible aux autres. Ceux qui agitent les grands principes à tout propos, perdent de vue que tout droit se perd quand il dégénère en abus. Les principes constitutionnels ne font pas exception à cette évidence juridique.
Bien entendu, l’on doit, pour raison garder, observer une proportionnalité dans l’écart que l’on prend avec les principes, en fonction du danger effectif. C’est ce qui régit la légitime défense.
Le piège de la guerre dissymétrique est que l’agressé ne l’est pas suffisamment pour répondre par une guerre totale. Il croit que les opérations de police suffiront. Or c’est justement l’erreur que la guérilla exploite. Elle vise la déstabilisation du corps social. Et souvent elle gagne.
Quand les militaires font des pétitions, les policiers des manifestations, quand l’Etat est haï, sa parole honnie, quand la France n’est plus la partie des Français, quand elle n’est plus chez elle dans certains quartiers, il n’est pas nécessaire d’être alarmiste pour constater que la stratégie paie.
Ce n’est pas se renier, ni violer les valeurs que l’on considère comme essentielles que de connaître leurs limites. Bien au contraire, faute de réalisme, nous risquons de les compromettre à tout jamais.
La plus grande force des barbares est la faiblesse des civilisations qu’ils détruisent, et cette faiblesse consiste à vouloir appliquer les règles d’un jeu civilisé à des gens qui ne le sont pas. Ainsi les protections de la démocratie s’arrêtent vis-à-vis de ceux qui veulent la détruire.
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