Macron, Attal, un duel et un divorce à prévoir
- André Touboul

- 1 févr. 2024
- 5 min de lecture

On présente souvent Gabriel Attal comme le clone d’Emmanuel Macron, une sorte de mini-moi, choisi pour sa docilité. C’est bien entendu ce dernier trait qui a motivé la décision du Président de le nommer Premier ministre, mais ce faisant il a peut-être promu, sans y prendre garde, le plus redoutable anti-Macron.
Le tempérament est ce qui détermine l’essence de l’action d’un animal politique, or sur ce plan le Premier ministre est l’antithèse du Président. La suite et fin du second mandat Macron pourrait être la chronique d’un affrontement entre les deux têtes de l’exécutif.
Pour illustrer l’antinomie de personnalités entre Macron et Attal, on peut faire référence à la course d’obstacle que constitue l’exercice du pouvoir.
Le refus d’obstacle est pour Emmanuel Macron plus qu’une seconde nature, c’est un naturel qui inévitablement revient au galop.
Les férus d’équitation diront qu’Emmanuel Macron est un crack qui ne finit jamais un parcours. Brillant dans son analyse, clinquant dans son discours, il se fait peur au pied du premier mur à franchir, et retourne au paddock en feignant d’avoir changé d’avis. C’est ce qu’il appelle le « en même temps » dont il apparait que c’est une théorisation de la reculade.
Sa palinodie face à Poutine qu’il ne fallait pas humilier, ses retournements sur la réforme des retraites tantôt non paramétrique, tantôt purement financière, et finalement minimale, son abstention à la manifestation sur l’antisémitisme par crainte de choquer les musulmans supposés anti-juifs, son absence d’hommage pour les Français victimes du pogrom du 7 octobre, alors qu’il déclarait vouloir organiser une coalition anti-Hamas assimilé à Daesh, tous ces « en même temps » ont la même explication, le refus de franchir l’obstacle.
On peut attribuer ces renoncements qui sont des sorties par le bas à une faiblesse de caractère, celle de la peur de l’échec.
On oublie trop souvent que le premier mandat d’Emmanuel Macron est celui d’un Président jamais élu auparavant, et qu’il redoute les réactions d’un peuple qu’il ne connait pas. Dans les gares, il voit « des gens qui ne sont rien », alors que, pour les vrais politiques, ces individus anonymes sont tout, étant la substance de leur légitimité. Dans le Grand débat, que l’on a présenté comme un exploit, il n’est pas allé écouter les Français, mais faire la leçon à un public de notables prudemment sélectionnés.
Ce déficit de légitimité, comme un fond de personnalité non aboutie, explique qu’Emmanuel Macron ait tant et toujours reculé. Et ces abdications successives, qui ne sont pas des « en même temps » mais des volte-face, ont permis aux adversaires du Président de le qualifier, non sans raison, de grand diseur et petit faiseur.
En fait, les actions de Macron qui marqueront l’avenir sont : une réforme de la haute Administration qui aura des effets dans dix ou vingt ans, et ses décisions sur l’ISF et la flat tax, pris dans les premiers jours de son premier mandat. Ces mesures fiscales, qui ont permis de conjurer la fatalité du chômage de masse, ne rencontraient aucune opposition populaire, et n’intéressaient pas les petites gens que craint Emmanuel Macron. Mais la peur n’évite pas le danger, elle le précipite. Ainsi Macron a connu les Gilets jaunes, les émeutes des banlieues, la révolte agricole, mais surtout il n’a pu conjurer l’impuissance de l’Etat.
A l’opposé, Gabriel Attal est de ces cavaliers qui jettent leur cœur par dessus l’obstacle. Primaire, parfois simpliste et peu nuancé dans ses analyses, il croit en l’action. Au lieu de pérorer sur les solutions, leur avantages et leurs risques, il décide. Sous son aspect frèle et juvénile, sa force est de ne pas flancher.
Attal parle à la droite, car il sait que le pays est à droite, ce qui montre qu’il est à l’écoute, non pas de sa propre intelligence comme Macron, mais des Français. Dans « paysan », il y a «pays », dit -il comme le dit Zemmour. À l’Assemblée il reprend la formule de l’économiste Arthur Laffer, conseiller de Ronald Reagan : « Trop d’impôt, tue l’impôt ».
Mais au-delà de son positionnement politique, c’est sa personnalité entière qu’il expose. Il sait que les Français, qui ont compris que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, ne croient plus dans les discours, et prennent les effets d’annonce comme les plus fieffés des mensonges. Ainsi, s’exprimant, devant les agriculteurs avec une botte de paille pour pupitre, Gabriel Attal a convenu qu’en politique comme en amour, il faut donner des preuves.
La question qui se pose, aujourd’hui, est de savoir si le courage sera la marque de fabrique du plus jeune Premier Ministre de la Vème République. Un indice de son profil psychologie peut être trouvé dans le fait qu’il ait dans son discours de politique générale déclaré assumer son homosexualité. Il fallait de l’estomac pour faire cela. Il l’a fait très simplement, sans militantisme ni ostentation, et l’Assemblée l’a applaudi comme une preuve de sa volonté de ne rien déguiser.
En parlant de débureaucratiser la France, Gabriel Attal, que l’on doit créditer de sincérité, ne vise plus la Haute Administration, mais descend d’un cran. Il s’attaque aux normes, et à travers elles à une armée de fonctionnaires de second rang qui les produisent comme des pommiers les pommes.
« La France est un pays extrêmement fertile. On y plante des fonctionnaires, il pousse y des impôts. » disait Georges Clemenceau. Cette saillie est d’un actualité brûlante. On peut la paraphraser et l’élargir en disant que l’Europe est un terre fertile, on y sème des fonctionnaires et l’on récolte des normes.
Dans ce concours Lépine de la réglementation la plus stupide, inutile et contre productive, l’Administration française en rajoute sans cesse, Attal semble déterminé à mettre un terme à cette surenchère.
S’il était possible de réformer la Haute Administration, sans qu’elle ose se rebeller, autre chose sera de s’attaquer aux petits chefs, bien plus nombreux et tout aussi toxiques, protégés par le statut d’érain de la fonction publique.
Certains prédisent qu’Attal se brisera les os sur les épreuves que réservent l’Enfer de Matignon, mais il est plus probable encore que ce soit Emmanuel Macron lui-même qui le désavouera, comme leurs caractères antinomiques le laissent prévoir. On n’attendra pas longtemps un « lui c’est lui, moi c’est moi », dès que pris à contre-pied par le Président, le Premier ministre devra choisir entre son avenir politique et une obéissance aveugle.
Dans les salles de billard d’antan on pouvait lire : « le premier accroc coûte cent Francs ». Il sera facturé beaucoup plus cher à Emmanuel Macron.
Dans ce divorce prévisible, le Président aura le dessus, car ainsi le veulent les institutions. Mais l’opinion lui donnera tort. Dans le désamour qu’il connaît, Emmanuel Macron doit le plus profond de l’hostilité à la déception suscitée par ses reculades. Les Français détestent les tyrans qui les forcent, mais ils méprisent plus encore les faibles qui ont la main qui tremble et du mou dans le genou.
On se souvient qu’en 1995, lors de la grève sur les retraites du secteur public, Jacques Chirac lâchant son Premier ministre Juppé, pourtant droit dans ses bottes, crût habile de ne pas passer en force ; il a connu une terrible défaite aux élections qui ont suivi la dissolution de 1997. La suite a été calamiteuse pour la France… les 35 heures, le quinquennat… et le début de l’irrésistible ascension d’un parti nommé Le Pen.
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