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Parler pour ne rien dire




Quand il fit irruption dans la politique française, en passant directement par le haut de l’édifice, selon ses propres termes « par effraction », Emmanuel Macron était crédité d’une intelligence acérée qui lui permettait de faire la synthèse des problèmes en retenant le meilleur de chaque solution par un « en même temps » qui surmontait les obstacles idéologiques de gauche comme de droite.


Ce que les Français comprenaient en vérité, c’est qu’il allait enfin les libérer du carcan des dictats de la gauche, car l’idéologie de droite n’existait pas ; la Droite dite de gouvernement étant entièrement acquise aux conceptions d’une gauche pour qui le mot « libéralisme » était une grossièreté.


Le monde nouveau, annoncé par un candidat très promettreur, fustigeant le monde d'avant, avait l'allure d'une nouvelle Libération, rompant avec la France bureaucratique installée par le Conseil National de la Résistance, lui-même dominé par l'idéologie communiste.



Dans ses premiers discours, le Président Macron a surpris par une pensée complexe aux circonvolutions inattendues. Le plus clair de ce discours pouvait être trouvé dans sa critique implicite de l’élite de pouvoir qui dirigeait la France depuis un demi siècle. En effet, les énarques, dont l'école avait été fondée par une décret signé par Michel Debré mais préparé par Maurice Thorez, avaient pu, en une génération, prendre possession de l'Etat.


Leur avénement, coïncidant avec le septennat de Giscard d’Estaing, avait, depuis lors, fait de l’Etat un monstre impotent. En effet, Léviathan podagre, le fameux Etat "Tout puissant" bien au-delà de la simple Providence, du propre aveu de Lionel Jospin, ne pouvait pas tout, et désormais n'y pouvait plus rien.


Cette vision parfaitement lucide du mal français conduisit Emmanuel Macron à supprimer l’ENA et décider "l'extinction" (i.e. fin du recrutement) de la plupart des Grands Corps, y compris l'Inspection des Finances dont, pourtant, il était issu. L'idée était dans les deux cas de réunir dans une même formation et une carrière unique tous les hauts serviteurs de l'Etat, devenus ainsi interchangeables, et plus adaptables aux mutations technologiques.


Le vice fatal du système de l’Administration en silos, comme voie royale de la réussite individuelle, était de drainer pendant plusieurs générations la fine fleur  de la jeunesse française vers des carrières de Grands commis de l’État, aux parcours protégès, dont la religion du Service public légitimait les privilèges et l’impunité.


Des prébendes, en effet, ils les trouvaient dans la jouissance des biens publics immobiliers et mobiliers, quand ce n’était pas monétaire, la main de l’Etat s’étendant désormais sur les grandes entreprises nationalisées ou non. Quant à la responsabilité, le système d’entre-soi de chaque Corps a garanti que jamais un énarque ne serait poursuivi. Ainsi, les joies de la judiciarisation ont été réservées aux intrus qui n’avaient pas été promus dans la Grande école. Sarkozy, Cahuzac, Fillon, entre autres politiques « tous pourris » en ont fait les frais.


Les énarques ne dédaignaient pas la politique, mais ne perdaient pas leur temps au Parlement, on y comptait, d'ailleurs, très peu d’entre eux. Leur cible était l’Elysée. Giscard, Chirac, Hollande, avec succès ; Royal, sans ; et Macron enfin. Là haut, la Constitution accorde l’irresponsabilité chère à leurs cœurs .


Avec Emmanuel Macron qui boutait, définitivement (?), les politiques du « monde d’avant » hors du champ du pouvoir, l’Administration s’est retrouvée nue, en première ligne. Ses tares et ses échecs sont apparus en pleine lumière.

Ses maladresses ont mis les Gilets jaunes dans la rue. Son incurie a sévi dans le système hospitalier incapable de faire face au covid, et toujours au bord de l’apoplexie même indépendamment de la pandémie. Les Français ont soudain pris conscience que leur santé, qui leur coûtait très cher, était de moins en moins garantie, vu le temps nécessaire à l'obtention un rendez-vous médical. Ils ont aussi constaté que malgré la redistribution record, le "pognon de dingue" qui y était englouti ne faisait pas disparaitre la pauvreté.


Macron, le disrupteur, aurait pu renverser la table, continuer une Révolution par le haut de l'Administration et, par là, de la France. Il a choisi de s’affadir. Sa parole s'est simplifiée, jusqu'à devenir simpliste, tels ses disours à l’eau de rose sur les « jours heureux », dont les sonorités étaient saugrenues dans la bouche de celui qui dans les gares ne voyait que des "gens qui ne sont rien".


Alors qu’il pouvait tenir le langage de l’effort après le nécessaire « quoi qu’il en coûte », Il a préféré administrer aux Français des anesthésiants, multipliant les chèques et les subventions, creusant toujours plus la dette publique. Ce Macron mou n’était plus celui de la startup nation. Cherchant sa voie, il déroutait par ses hésitations.


On aurait tort de croire que cette abdication lui fut imposée par les urnes qui en 2022 ne lui accordaient qu'une majorité relative. Au plan international, où il était seul maitre à bord, et où la politique de la France se flattait d'être dans la continuité de lignes claires et invariables, quelque soit le Président, « macroner » est devenu synonyme de parler pour ne rien dire.


Soudain, depuis le vote de la motion de rejet de la loi Darmanin, il semble qu’Emmanuel Macron ait encore changé de chasuble. Il se crispe et devient cassant, voire de mauvaise foi.


Le Président dit et répète que les oppositions ont refusé le dialogue sur la loi sur l’immigration. C’est un artifice indigne de la fonction. En effet, il n’a échappé à personne que la Commission des lois ayant fixé les termes du texte à examiner, il n’était plus question de revenir aux dispositions introduites par le Sénat. Dès lors, le dialogue ne servait à rien. C’était parler pour ne rien dire. L’idée de manœuvre était de prendre les LR au piège, celui de devoir laisser passer le texte du Gouvernement, ou d’endosser la responsabilité du refus d’agir contre l’immigration.


Le rejet d’examen du texte, tel qu'accommodé à la sauce de la gauche macronienne  de la Commission des lois, a redonné la main au LR, et le stratagème s’est retourné contre son auteur.


En menaçant de renoncer au texte de loi sur l’immigration le Président a alors adopté un comportement d'enfant gâté, et prit le risque de choquer la France profonde, qu'il connait si peu. La question n’était, en effet, pas de celles que l’on peut remiser d'un geste de la main, pour passer à autre chose. Elle était et reste le sujet primordial qui intéresse aujourd'hui les Français, car il la confondent avec le problème de l’échec de l’intégration des immigrés.


Il ne leur échappe pas en outre que l’immigration illégale est un gouffre financier pour l’Etat, qu'elle joue sur le chômage, qu'elle rend plus encore nécessaire le besoin de redistribution, et qu'elle aggrave la pauvreté chez les populations immigrées qui deviennent de moins en moins intégrables. De son fait, la santé est aussi à la peine, car il faut prendre en charge des non-cotisants, quand les assujettis  ne peuvent plus être traités dans des délais raisonnables.


L’éducation est aussi mal en point. Son socle d’enseignement étant de moins en moins partagé par des groupes sociaux aux racines diverses et que l’on se refuse à unifier. Certes la diversité est comme le sel de la terre, elle relève le plat, mais au-delà d’une pincée mesurée, elle le rend immangeable.


Quand ils ont appris que 400.000 travailleurs étaient en situation irrégulière, les Français ont été sidérés. Que fait l'Administration ? Elle si prompte à les verbaliser pour tout et rien.


Il est en outre désormais non discuté que l’immigration n’est pas pour rien dans l’insécurité, et dire qu'il s'agit d'un ressenti n’arrange rien, cela enrage ceux qui en sont les témoins.


Il n’y a qu’en économie que l’immigration, pourvoyeuse d’une mains-d’œuvre à bas salaires, peut se prétendre positive. Mais sur le plan moral, cette exploitation cynique est plus que contestable.


Maladroitement, le Président a prétendu à la fois que la loi était un bouclier nécessaire et qu’il espérait que le Conseil constitutionnel la censure. Certes, il parlait de certaines dispositions, mais sans dire lesquelles, de sorte que nul ne sait aujourd’hui ce qu’il veut vraiment. On peut aussi douter que la loi soit réellement appliquée par une Première Ministre qui n’en voulait pas.


Dans ce jeu d’apparences et de dupes, les protestations indignées et surdouées de la Gauche donnent le sentiment d’une mauvaise comédie destinée à un peuple jugé trop stupide pour voir que l’on se moque de lui.


Comme d’habitude, Emmanuel Macron annonce de grandes initiatives. On est fondé à rester sceptique.



Un référendum sur l’IVG n’arrangera rien ; avancée en trompe-l'œil, puisque nul ne remet en question cette liberté des femmes, la consultation risque même un résultat surprenant, vu que l’on répond bien plus à qui pose la question qu’à celle-ci.


La loi sur l’euthanasie, gageons-le, suscitera plus de déchirements que de consensus.


Ces hochets ne feront pas tomber l'irritation d’un peuple qui ne se sent plus gouverné.


Quant à la dissolution, le Président serait bien avisé d'attendre le sondage grandeur nature des européennes pour se lancer dans l'aventure..



Sans doute, Emmanuel Macron devrait renoncer à disperser façon puzzle les LR qui forment le dernier bastion de la Droite non démagogique, et envisager de traiter avec eux pour continuer à bouger, c'est-à-dire à exister. C’est la seule voie qui lui reste pour éviter de continuer à parler pour ne rien dire, et écrire un nouveau chapitre au fameux "Un Président ne devrait pas dire cela", best seller de François Hollande. Dans un pays où le verbe est roi, et un régime où la parole du monarque républicain est sacrée, ce serait un comble de l'inexistence.


Toutes les nuances de leur Président désorientent les Français. Certains ont le sentiment qu’il fait tout pour ne laisser derrière lui qu’une Vème République en cendres.


L’échec le plus cinglant de l’ère Macron aura été son incapacité à créer un mouvement de pensée, comme le fit De Gaulle. Les députés Renaissance sont incolores, inodores et sans saveur ; ils se présentent dans les médias comme de simples copycats au rabais d’un Macron déjà dévalorisé, récitant une leçon apprise dont ils ne semblent pas comprendre tous les éléments de language.


Ce n'est pas un excès de talent du chef qui a fait obstacle à la fondation d'un véritable parti, mais son manque d'une certaine force, celle que l'on nomme de caractère. En vérité, Emmanuel Macron est pareil à un caméléon sur un tartan d’Ecosse, son « en même temps » le met au supplice. Faute de tempérament pour choisir un cap clair, et fermement s’y tenir.


Il est stupéfiant de constater avec quelle vitesse le monde nouveau de Macron qu’il promettait est devenu obsolète. Mais la caractéristique de notre époque n'est-elle pas l'accélération ?





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