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Payer le prix de la liberté : de la mondialisation à la guerre mondiale

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 24 août 2022
  • 5 min de lecture

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Jean Bodin, économiste et grand humaniste du 16ème Siècle est souvent cité pour avoir écrit : Il n’est de force et de richesse que d’hommes. Vladimir Poutine n’est pas un humaniste, tant s’en faut. La vie humaine, fusse-t-elle russe, ne le soucie guère. Mais la question démographique, en tant que facteur de puissance, ne lui est pas étrangère.

Parmi ceux qui ont eu la patience de lire ou écouter ses discours, plusieurs ont relevé chez lui une obsession, celle de la chute de la population russe. Ce pourrait être là une des clés de sa tentative d’annexion de l’Ukraine, sinon la plus vraisemblable, tant il est évident que ce n’est pas la menace inexistante de l’OTAN qui pouvait justifier une telle aventure.

Encouragé par l’annexion de facto de la Crimée avec ses 2 millions d’habitants, réalisée sans encombre, et alléché par les 6 millions d’âmes du Donbass sécessionniste de fait, il s’est pris à rêver d’incorporer à la Fédération de Russie les 42 millions d’habitants de l’Ukraine au simple motif qu’ils seraient des « frères slaves ».

Mais le maître du Kremlin a eu les yeux plus gros que le ventre. Certes, la Fédération de Russie est le plus vaste pays du monde, en superficie, mais elle ne compte que 144 millions d’habitants dont, 115 millions seulement sont slaves.


Il est peu crédible qu’il y ait été invité par un « désir de Russie » de la population ukrainienne qui a massivement opté pour son indépendance lors de la dislocation de l'URSS, et qui depuis 2014 se bat pour récupérer le Donbass. Il était écrit que l’affaire ne pourrait être conduite que par la force. En lançant ses troupes sur Kiev, Poutine a essentiellement tablé sur l’effondrement du régime en place et la débandade de l’armée ukrainienne. Ce calcul procédait d’une profond mépris du peuple ukrainien martyrisé par Staline et, de son point de vue « corrompu » par la décadence occidentale.

L’opération a échoué. La sagesse aurait voulu qu’il en prenne acte et se retire. Il s’est au contraire obstiné en établissant un paradoxe : conquérir les cœurs par la violence, les bombardement, les assassinats, et les viols.

Désormais les Ukrainiens parlent de génocide. Cela signifie d'évidence que pour conquérir l’Ukraine les Russes devront exterminer les Ukrainiens. Ils pourront raser le pays, jamais gagner la population à la nation russe. On évoque parfois le cas de la Tchétchénie, matée par Poutine, mais on oublie qu’il s’agissait de 1,7 millions d’habitants, sans soutien ni défense.

Certes la possession de l’arme nucléaire donne au Kremlin un avantage sur Kiev. Mais seulement en ce que cela limite l’aide militaire des Occidentaux à l’Ukraine. En effet, utiliser l’arme atomique tactique contre les Ukrainiens serait militairement efficace, mais politiquement absurde. On ne massacre pas un peuple que l’on veut intégrer. Si le nucléaire a été utilisé par les Etats-Unis contre le Japon, il ne s’agissait pas d’en faire un Etat américain, mais de mettre fin à une guerre où celui-ci était l’agresseur.

Le problème existentiel de la Russie qui la pousse hors de ses frontières n’est pas territorial, mais démographique. La population y diminue de façon préoccupante. La question obsède Vladimir Poutine. Dans son esprit, la puissance d'un pays est liée à la taille de sa population. Plus elle est nombreuse, plus l'État est puissant. Cependant, malgré une politique fortement nataliste, le déclin démographique s’accentue, notamment en raison du fait que l’espérance de vie diminue.


Bien que marginales au regard d’un phénomène social profond de vieillissement, les pertes humaines du fait de la guerre n’arrangeront rien. Après six mois de guerre, la question pèse sur les décisions stratégiques russes. Poutine préfère aller chercher les combattants dans les prisons que de décréter une mobilisation qu’impliquerait un état de guerre déclarée. Il devient désormais nécessaire d’économiser les vies des soldats russes. Pourtant, le temps presse. Le découplage de l’Allemagne d’avec le gaz russe n'est plus qu'une question de mois. Augmenter la pression en le rationnant, pis en le coupant, ne fera qu’accélérer le moment où les Allemands retrouveront leur liberté énergétique et chercheront leur revanche.


En fait, la guerre de Poutine est déjà perdue, l’Ukraine ne sera jamais russe. Le viol est une très mauvaise manière de faire sa demande en mariage. Depuis la retraite de Kiev, le Président russe ne fait que chercher une « issue honorable ». Il n’en trouvera pas. Ses troupes sont allées trop loin dans la barbarie. Lui-même a déraisonné dans les menaces nucléaires, l’utilisation de bataillons de la mort tchétchènes ou syriens ou encore la milice Wagner. La haine s’est installée pour longtemps autour du Dniepr. Quant aux sanctions occidentales, elles dureront aussi longtemps que la méfiance envers un Etat qui aura montré son mépris des règles d’une vie internationale civilisée. Désormais, la guerre en Ukraine est d'abord un problème russe. L'URSS s'est retirée d'Afghanistan, la Russie devra en faire autant de l'Ukraine, et peut-être même de Crimée s'il s'y développe un mouvement de résistance à l'occupant.

Quelques géopoliticiens, qui se veulent très avisés et en avance, suggèrent qu’il faudrait cesser d’aider les Ukrainiens à se défendre pour les amener à négocier, c’est à dire capituler et abandonner les territoires conquis par Moscou depuis le 24 février 2022.


Indépendamment de la question morale, ce serait là une faute majeure, car ce serait se résigner à une forme nouvelle des relations internationales fondée sur la force. Ce serait ouvrir la voie à de nouvelles étapes de la conquête russe en Europe, mais aussi et surtout à une aventure du même ordre pour la Chine à Taïwan. Ce serait s’assurer de passer de la mondialisation à la guerre mondiale.

Emmanuel Macron a eu mille fois raison de déclarer aux Français qu’il faudra se préparer à payer le prix de la liberté et de la défense de nos valeurs, et dans un second temps d'évoquer la fin de l'abondance et de l'insouciance.


Les commentaires qui ont suivi sont consternants. Les uns feignent de ne pas comprendre (encore une fois, la pensée complexe), d'autres, les éternels pleurnichards, trébuchent dans les pieds de la lettre en relevant les termes "d'abondance" et "d'insouciance" pour les opposer au sort des Français qui selon eux n'en auraient rien connu et auraient été toujours lucides. Il est pourtant clair que le monde bascule et que c'est de la frugalité, voire de la pénurie pour tous que parle Emmanuel Macron. Ce langage de vérité tranche avec celui du déni de réalité qui a caractérisé notre classe dirigeante jusqu'ici. Les pires des démagogues sont ceux qui aujourd'hui laissent entendre que nous aurions le choix de revenir au monde d'avant, celui de s relations civilisées, sans avoir à faire le moindre sacrifice.


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