Qu’une seule voix s’élève
- André Touboul

- 19 mars 2023
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Pour Charles de Gaulle, la France était éternelle. La somme de toute une histoire millénaire. Une langue parfaite, une littérature classique immortelle, la France valait la peine que l’on meure pour elle. En tant que politique il n’était pas parfait. Il a sacrifié des vies à des impératifs discutables. En fait, il n’aimait pas les Français. Des veaux. Des êtres, à ses yeux, tous trop petits et mesquins pour mettre l’intérêt de la France au-dessus du leur. C’était surtout les politiciens qu’il méprisait. Pour lui, la France ne pouvait commettre de faute. S’il y en avait de la part de ses dirigeants, c’est qu’ils étaient indignes d’elle. La France de Charles de Gaulle n’a jamais existé que dans son esprit, mais il a su faire croire qu’au delà des péripéties de l’histoire, elle pouvait se dresser, toute droite, belle et ferme dans les épreuves, et transformer les défaites en victoires.
La France de Georges Pompidou était bien différente. Une femme incarnée, moderne dans ses goûts de peinture, libre dans ses mœurs. On pouvait l’appeler Marianne, mais pas la tutoyer et les Français la sentaient maternelle. Elle veillait à ce qu’on ne les emmerde pas. Elle était protectrice, mais pas trop exigeante. On sentait qu’il devait être doux de se blottir contre sa mamelle. La France de Pompidou était glorieuse et généreuse. Hélas, soudain, elle a disparu avec celui qui lui donnait consistance bonhomme.
Avec Valéry Giscard d’Estaing, la France a changé. Plus question de facilité ni de laxisme. Marianne était une femme sévère. Elle ne plaisantait pas avec les impôts. L’argent du ménage. C’était une image guindée, et même ridicule quand Giscard se déguisait en accordéoniste, pour faire peuple. Cette France-là regardait les Français de haut. C’était la République, mais la République ce n’est pas rigolo. Elle avait de l’exigence, d’une autre que celle demandée par de Gaulle, elle n’imposait pas la grandeur, ni le style ou le panache, mais elle voulait de la discipline dans les boutiques et des comptes en ordre. C’est sans doute à ce moment que la France a commencé à s’effacer derrière la République, et la République derrière l’Etat.
François Mitterrand arrivé, ce fut une autre France, un autre République. Celle de l’Etat providence. On ne parla plus que du peuple à qui l’on doit donner la becquée. Sous Giscard, la France était une mère de famille dont les enfants devaient marcher à la baguette. Avec Mitterrand, c’est une nounou qui prend aux riches pour donner aux pauvres. Adieu les devoirs et les leçons, vivent les acquis sociaux ! La France nation n’avait pas disparu, elle s’est doucement endormie.
Jacques Chirac n’a pas rompu avec cette image d’une France assoupie et au fond rassurante, sans doute en lui donnant plus les traits de la mère Denis que de la Déesse d’Abondance, car l’on était dans les années piteuses.
Son successeur, le hardi Nicolas Sarkozy rêvait d’une France dynamique qui se retroussait les manches pour travailler plus et gagner plus. Mais c’était toujours la même ménagère distributrice de friandises. Généreuse, la France ? Oui. Mais sans autre consistance que celle d’un Etat omniprésent et boulimique. Telle le Léviathan de Hobbes elle continuait à dévorer ses enfants les plus productifs. Abandonné par son épouse à peine intronisé, le Président figurait un personnage plus pitoyable que plaint. Sa France ne l’aimait pas. D’ailleurs la France de Sarkozy n’aimait personne. Certes, il parlait enfin d’elle, et non plus seulement des Français, mais comme un amoureux transi, alors qu’elle, la France, attendait un amant fougueux qui la porte au septième ciel. Cette France désabusée ne pouvait que l’abandonner, car l’image qui s’était imposée fut celle du coq claironnant ses fanfaronnades sur un tas de fumier.
François Hollande, loin de vouloir sublimer la France n’avait pour ambition que de la normaliser. Président normal, il incarnait la dégringolade d’un pays qui ne se retrouvait plus que dans la médiocrité, la jalousie envers les riches, et le rejet d’un monde politique corrompu. La France a pris alors l’aspect d’une entité sans âme ni corps, un ectoplasme. Elle était devenue une pauvresse. L’Etat, lui-même, avait les poches vides.
Vint Emmanuel Macron, seul Président dont on ne connaît aucune aventure, ni feminine ni masculine, qui apparait comme asexué. Très souvent, il est qualifié d’adolescent. Son image de la France est ainsi peu sensuelle que possible. Un startup-nation, a-t-on écrit. Mais une nation peut-elle faire comme ces entreprises qui mettent en cas d’échec la clé sous la porte du garage.
Promettant un monde nouveau, une nouvelle manière de faire de la politique, de remettre le pays en marche, Emmanuel Macron n’a à aucun moment parlé de la France aux Français, qui se posent des questions sur leur identité. La France de Macron n’existe peut-être pas. Elle semble réduite à la dimension d’une entreprise dont le Président DRH n’aurait pour tâche que de gérer les ressources humaines. Loin d’être au sommet de ses valeur, la France n’est pas, il le répète à l’envi, le niveau adéquat de résolution des problèmes. Certes l’Europe est une nécessité vitale pour le pays, mais l’erreur magistrale est de ne pas voir que les Français ne veulent y accéder qu’à travers la souveraineté de la France, et non comme citoyens d’une nouvelle nation qui n’existe pas.
Le silence qui assourdit quand il s’agit de la France, l’idée la plus sacrée commune à tous les Français, n’est plus supportable. Les seuls propos que l’on entend sont subversifs. Contre la République, sa Constitution, mais aussi contre la France en tant que telle. Son histoire, sa langue, sa culture, ses rites fondateurs, tout ceci est bousculé, déconstruit, et son défenseur naturel, le monarque-président, reste coi, ou pis il se joint à la meute.
Depuis de Gaulle, les Présidents se sont acharnés à s’adresser aux Français, en oubliant la France. Ils n’ont pas compris que sans la France, les Français ne sont rien. Rien que des consommateurs de moins en moins solvables.
Qu’une seule voix se lève et parle enfin de la France qui est au coeur de tous les Français, la seule idée pour laquelle ils sont prêts à tous les sacrifices car elle est sacrée, et bien sur le peuple y reconnaîtra l’un des siens, bien plus sûrement que chez ceux qui lui parlent de pouvoir d’achat, de loisirs et d’égoïsme quotidien, de haine des étrangers quand ce n’est pas de sédition, subversion et autres billevesées.
Cette voix n’existe pas ? Sans doute. Mais il en est ainsi de toutes les personnalités providentielles, ce sont les événements qui le révèlent.
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