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Valéry Giscard d’Estaing, l’homme charnière, qui avait avalé un parapluie

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 5 déc. 2020
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 déc. 2020



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Terrassé par la Covid-19, Valéry Giscard d’Estaing est mort. Oui, pas disparu, mort car on sait bien où est le corps. A 94 ans, il faisait partie de personnes à risque. Il aura manqué de peu l’arrivée du vaccin. Mais à entendre les commentaires ici et là on comprend qu'il aura été l'homme des occasions manquées. Son Ambition de faire peuple ; manquée. son second mandat, manqué ; sa Constitution européenne, au pannier.


On lui doit cependant une modernisation de la France et la préparation de l’entrée dans l’euro. L'ivg, porté par Simone Veil, est à son actif. Mais au passif, on peut lui reprocher d'avoir permis l’avènement du Programme commun et des Communistes avec les nationalisations, et également à son débit une conception de l’Europe tellement ouverte qu'elle fut rejetée par les Français.

Le choix de l’Europe était pour Giscard la reconnaissance de l’impossibilité pour la France d’être une nation qui compte, sauf à prendre le leadership d’une Union européenne à bâtir. A cette époque, l'Allemagne n'était pas encore réunifiée, et l'illusion d'en faire un marchepied pouvait avoir du sens.

Giscard, c’était une intelligence brillante, comme le diamant dirent les humoristes. Certes l’épisode des diamants de Bokassa, fut déplorable, mais c’est surtout le terme « méprisant » qui accompagna le démenti que les Français prirent pour eux. Toutefois, l'analyse que se sont empressés de faire les médias de l’échec de Giscard à se faire réélire pour un second septennat, comme une conséquence de l’affaire des diamants, est une vision par trop superficielle de la société française. Ce fut évidemment la trahison du camp de la droite par Chirac qui fit élire Mitterrand.

Polytechnicien et énarque, Giscard, fut l’homme charnière entre le monde des ingénieurs à l’œuvre pendant les trente glorieuses et celui des administrateurs qui ont besogné aux cinquante piteuses ; il a ouvert la voie à l’ascension des technocrates d'Etat et à la captation du pouvoir par une élite de Grands Commis. Il fut suivi dans cette voie par Mitterrand, et Chirac, ainsi que tous les autres Présidents, y compris par ceux qui déclaraient vouloir s’en affranchir, comme Sarkozy. En 1975, on comptait 2,3 millions de fonctionnaires, il y en a le double aujourd’hui. Cette croissance quasi virale est due en partie à la régionalisation, à peu près pour la moitié, mais aussi par la volonté d’administrer la France à outrance et peut être, si les Français ne se ressaisissent, de l’administrer à mort.


Fils d’inspecteur des Finances, inspecteur de Finances lui-même, Ministre des Finances aussi, Giscard fut un collecteur d’impôt hors paire. Avec lui, les Français ont découvert que l’exactitude et la ponctualité la fiscale n’étaient pas une option mais une obligation. Nul ne devait échapper aux contrôles. Charles Aznavour en fit, à la fois, l’amère expérience et une chanson célèbre : "ses amis, ses amours, ses emmerdes". Cette rigueur, nécessaire en soi, ne fut cependant pas pour rien dans le ralentissement de la croissance. On se flattait à l’époque d’exécuter les lois de finances en excédent. Mais les déficits amorcés sous Giscard prirent ensuite une tournure abyssale. il est frappant de constater que la courbe des déficits a été directement inverse de celle de l’influence des Administratifs dans l'Etat.


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Le premier plan de stabilisation et le ralentissement du rythme de La Marseillaise ; avec Giscard, la France devait marquer le pas, pour être mieux maîtrisée et donc administrée. Il fut aussi le Président de l’inflation. Les taux d’intérêts avoisinaient les 15% sous son premier ministre Raymond Barre, selon lui, le meilleur économiste de France.

L’homme voulait faire peuple, mais il suintait le snobisme. Giscard d’Estaing, beau nom d’emprunt aurait dit De Gaulle, lors du lancement d’un emprunt par Giscard dont, Ministre des Finances, celui-ci exigeait qu’il porte son nom ; sans doute pour égaler un autre auvergnat : Antoine Pinay. De cet ajout paronymique, pourtant Giscard ne fut pour rien. Ce fut son père qui accola le “d’Estaing” à son Giscard, pour relever un nom en déshérence. Mais Valery lui-même qui semblait toujours avoir avalé un parapluie, se flattait d’être un descendant de Louis XV, pas moins, tout en se mettant en scène, jouant de l’accordéon, le piano du pauvre. Un régale pour les humoristes. Pour employer une expression d’aujourd’hui, il apparaissait d'une insincérité totale.

Quand il a avait à choisir un général Napoléon demandait toujours : est-ce qu’il a de la chance ? 1974, choc pétrolier. On dit que Giscard, à peine élu, n’a pas eu de chance, mais Sarkozy non plus en 2008, et Macron de même aujourd'hui. Avec Mitterrand et Hollande, ce sont les Français qui n’ont pas eu de chance.

Valery Giscard d’Estaing fut un académicien, en peau de lapin, plus connu pour ses révélations sur son tableau de chasse féminin que pour les qualités de sa plume.


Giscard fut la jeunesse des uns, et un dinosaure pour d’autres. Pour les premiers, il fut le premier des technocrates, alors porteurs de modernité, bousculant les habitudes, sans doute trop brusquement, mais n’est-ce pas la marque indélébile des énarques qui croient qu’il suffit de faire peuple pour en être proche, de distribuer des allocations pour avoir une politique sociale. Pour ceux d'entre nous qui sont nés sous Mitterrand, Giscard ne signifie rien. Il a pourtant ouvert la voie à une collectivisation massive de l’économie et à des institutions sociales, génératrices de chômage et de déficits publics.

La mort de Giscard marquera peut-être une autre charnière, celle du début de la fin de l’emprise des administrateurs sur la société française, qui, il faut s’en persuader, n’est pas une fatalité, mais une malencontreuse parenthèse dans l’histoire d’un pays qui mérite mieux.


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