Wauquiez - Le retour des politiques en politique
- André Touboul

- 14 mai 2023
- 5 min de lecture

Les jocrisses du microcosme médiatique se plaisent à proclamer l’insincérité de Laurent Wauquiez. Leur argumentaire est singulier. Il serait coupable d’avoir changé en se droitisant. Bien entendu, s’il avait parcouru le chemin inverse, on aurait célébré son élévation vers la sainteté. On rappelle aussi, que devant quelques étudiants d’école de commerce, il y a quelques années, il avait parlé de « bull shit » pour qualifier la langue de bois des politiques dans les médias, en ajoutant qu’il allait leur parler vrai. Le dossier est mince, mais suffisant pour les ayatollahs qui règnent sur le PAF.
Réfugié dans sa région d’Auvergne-Rhône Alpes, ce major de l’ENA qui, s’il n’avait commis l’irréparable erreur de passer du centre gauche version catholique à la droite dite dure, avait tout pour intégrer la nomenklatura, a démenti une réputation d’incompétence politique par une réélection qui approuve massivement sa gestion de Président.
Meurtri, mais déterminé, il se construit une image de recours, en prenant du recul… parfois trop comme quand il reste muet sur la réforme des retraites. Pour néanmoins exister, le voici qui consent une longue interview à l’hebdomadaire Le Point. On en retiendra quelques éléments structurant, et notamment son appel au retour des politiques à la barre, c’est-à-dire en politique.
Technocrate repenti, rejoignant en cela Emmanuel Macron, Laurent Wauquiez dénonce l’Etat profond. En clair, il pointe le fait que les vrais dirigeants de la France ne sont pas, et depuis longtemps, les politiques soumis à l’élection, mais des bureaucrates sans aucune légitimité démocratique qui ont confisqué le pouvoir de décision. Fort de son élection de Président de Région avec un score de plus de 70%, il ne fait pas du Trump comme certains voudraient le faire croire, il analyse objectivement le mal français.
Les Français sont désabusés de la politique, s’abstiennent de plus en plus, et ont le sentiment, justifié, que leur vote n’aura aucun effet sur leur vie. Cela est de la responsabilité apparente du personnel politique, mais s’il est impuissants à respecter ses promesses, la raison vient de ce que les élus sont eux-mêmes dépossédés des pouvoirs qu’on leur prête.
On admet, en général que l’impuissance de l’Etat, tient au fait, dénoncé par les souverainistes, que les décisions sont de plus en plus prises au niveau européen, mais aussi en raison de ce que les traités internationaux limitent la liberté d’action. On pourrait y ajouter que l’interdépendance de l’économie mondiale empêche un pays qui n’est plus un empire de dicter sa loi.
La cause majeure de la dépossession n’est cependant pas là. En France, depuis la Libération, s’est développée une nomenklatura de hauts fonctionnaires qui ont pris les commandes de la sphère publique, mais aussi du plus important des grandes entreprises de statut public, semi-public ou privées. Par une Administration devenue obèse largement par l’action de cette élite, elle a réalisé un coup d’Etat en douceur. Un Etat providence s’est installé, mais ce n’est pas la corne d’abondance qui s’est déversée, c’est celle des allocations, des déficits et de la dette.
La croyance en l’infaillibilité de l’Etat s’est développée en même temps que la défiance envers les élus, réputés « tous pourris ». Cela serait un paradoxe si le pouvoir était entre les mains de ceux que le suffrage populaire a désigné. Mais il n’en est rien.
Le véritable pouvoir réside entre les mains d’une élite du diplôme, une aristocratie du mérite qui dans les différents organes de l’Etat se sont affranchis de la tutelle des ministres et des élus pour mener leur propre politique. Celle-ci est légitimée par leur excellence tamponnée d’une promotion des hautes écoles, et consacrée par une permanence contrastant avec la valse des politiques. Convaincus qu’ils sont l’ossature de la République, ils n’hésitent pas à traiter les élus comme des pantins, voire des marionettes.
Cette caste, n’a pas de chef, elle n’en a pas besoin tant leur formation a rendus ses membres homogènes. Les mots d’ordre qui sont le plus souvent subliminaux circulent de bouche à oreille. Quand on parle, ou qu’on entend la langue de ces petits marquis de la République, leurs prises de positions deviennent transparentes.
On ne détaillera pas ici toutes les erreurs que ce pouvoir détourné a engendrées. On remarquera néanmoins que l’esprit de corps (des Grands Corps, évidemment) a assuré l’irresponsabilité de ses membres. Et quand la responsabilité fait défaut, c’est vite l’incompétence qui s’installe. Mais pas seulement. Inévitablement, ce sont les intérêts personnels et catégoriels qui prévalent sur l’intérêt général. Inexorablement le Service Public, installé comme une religion, a été détourné en une façon de se servir des biens publics. Bien entendu, excepté quand ils font des incursions dans le privé, les méritocrates sont d’une prudence de Sioux. Leur jouissance des avantages de la fonction est toujours d’une discretion et d’un opacité digne d’éloges. Les primes, les logements de fonction, les aterrissages dans les grandes entreprises, les hautes autorités et autres annexes de l’Administration, sont là pour sécuriser leurs carrières.
Depuis longtemps les élus se plaignent de leur impuissance face à une Administration qui a sa propre volonté. Jusqu’à Emmanuel Macron, nul n’osait désigner la haute fonction publique comme responsable des malheurs de la France. Bien peu, au demeurant faisaient la différence entre la haute Administration et la basse, celle-ci étant considérée comme un bloc. Encore une habileté des hauts fonctionnaires protégés par une multitude d’agents, le plus souvent mal payés, ce qui donne une image de désintéressement à l’ensemble.
« La réforme administrative est à l’ordre du jour, et le restera », disait Jacques Chirac pour en signifier la nécessité, mais aussi l’impossibilité.
Emmanuel Macron était convaincu que tenter de réformer par la base est une erreur. Il s’en est pris au sommet. La suppression de l’ENA et des Grands Corps, n’a apparemment pas d’effet sur l’impotence administrative de l’Etat, mais ces mesures sont essentielles en ce qu’elles désignent les causes du mal. Personne ne l’avait fait avant. La pandémie covid où l’Administration s’est illustrée par son inefficacité, a favorisé cette prise de conscience collective. Le système hospitalier de santé, bien que coûteux, étant sur-administré et sous-médicalisé a frisé l’embolie. Il a fallu faire appel à des cabinets conseils pour gérer la vaccination. Si les hauts fonctionnaires n’ont pas pâli de rage, c’est que dans le fond, ils n’ont honte de rien, et se moquent de tout.
Laurent Wauquiez propose de franchir un nouveau pas. Pour rendre leur responsabilité aux responsables élus, il demande de remettre à leur place, le Conseil d’Etat, la Cour de Cassation, et moult Hautes autorités peuplées de technos non élus. Sur le Conseil Constitutionnel, il hésite car ce dernier est composé pour partie de personnalités légitimées indirectement par le suffrage populaire.
En pratique, cela consiste à refuser au Conseil d’Etat le pouvoir de juger de l’opportunité d’une décision de l’exécutif. Sur la question de l’immigration, le Conseil d’Etat s’est emparé du pouvoir en définissant le périmètre du regroupement familial. Sur certaines réformes comme celle de l’indemnisation du chômage, il s’est permis de suspendre un décret le considérant comme inopportun.
Le contrôle de la conformité à la loi des décisions du Gouvernement est nécessaire, mais le juge ne peut aller sur le plan de l’opportunité qui est strictement politique. Tout au plus, il peut au-delà de la régularité formelle, se prononcer sur la proportionnalité de la mesure avec l’intention de l’exécutif, mais en aucun cas il ne doit se substituer au Gouvernement pour décider de l’opportunité d’une mesure.
Les autorités qui, comme pour l’audiovisuel, font la loi, l’ARCOM qui regroupe, l’ex-CSA et l’HADOPI, sévissent sans contrôle des élus. Certes, il peut exister des enquêtes parlementaires quand des abus ou infractions sont suspectées, mais la théorie de l’indépendance mère de toutes les vertus fait de ces extensions de l’Administration autant de bastions sur lesquels les élus n’ont aucune prise.
S’il fait encore un effort, Laurent Wauquiez se rendra compte que c’est le statut de la fonction publique qu’il faut supprimer… mais ceci est d’une autre dimension.
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